L’affaire Bettencourt : quelle « investigation journalistique » porter aux nues ?
Se passe-t-il une semaine, voire un jour, sans qu’on entende un journaliste encenser un collègue, appelé « confrère », ou sa confrérie professionnelle tout entière ? Si encore c’était à bon escient ! L’affaire Bettencourt a servi de prétexte, par exemple, à un journaliste, dans « Les Matins de France-Culture », jeudi 15 décembre 2011, pour célébrer l’action salutaire d’un site Internet d’informations. Hubert Huertas qui aime d’ordinaire manier l’humour, en a manqué singulièrement en célébrant les mérites de Médiapart, le site de M. Plénel, qui a publié des extraits des écoutes téléphoniques clandestines de Mme Bettencourt réalisées entre mai 2009 et mai 2010 par son maître d’hôtel (1).
Étaient ainsi mises sur la place publique des secrets échangés entre la milliardaire et le gérant de sa fortune, qu’il eût été impossible de connaître sans un de ces moyens d’accès à l’information extorquée que sont des écoutes clandestines : le gérant, apprenait-on, entretenait d’excellentes relations avec le ministre du Budget de l’époque dont il avait embauché la femme et qui lui avait remis la Légion d’Honneur ; l’honorable milliardaire, découvrait-on aussi, pratiquerait la fraude fiscale et elle serait entourée d’un cercle de gens cupides lorgnant avidement son magot. Et de fait, depuis, quelques jours, certaines de ces personnes ont été mises en garde à vue puis en examen pour, selon les cas, abus de faiblesse et abus de confiance ou complicité d'abus de confiance et d'escroquerie aggravés par état de vulnérabilité.
L’investigation journalistique magnifiée
Certes, le journaliste dénonce avec raison « les accusations de « méthode fasciste » lancées par M. Xavier Bertrand contre la Rédaction de Mediapart ». On lui accorde aussi volontiers que les journalistes ne peuvent se limiter à « (aller chercher des) informations dans les services de com’ » et qu’il leur faut pénétrer « dans les arrières cuisines ». Nul ne conteste non plus que la publication de ces écoutes téléphoniques de Mme Bettencourt ont sans doute empêché l’étouffement de l’affaire.
Mais faut-il pour autant magnifier, comme l’a fait H. Huertas, "le travail d’investigation" des journalistes de Médiapart ? Il serait, selon lui, à rapprocher de celui des journalistes du Washington Post entre 1972 et 1974, qui a déclenché l’affaire dite du « Watergate », du nom de l’immeuble du Parti Démocrate que le président Nixon avait fait espionner. « L’enquête », menée par Bob Woodward et Carl Bernstein, a été si fouillée qu’elle n’a laissé aucune issue à la défense de Nixon, acculé pour finir à la démission en août 1974. « C’est vrai, chante H. Huertas, Mediapart est descendu dans les égouts, comme Woodward et Bernstein sont descendus dans les parkings du Watergate, pour en remonter la vérité. Les poubelles font partie du métier. Les interdire aux journalistes reviendrait à les museler. Ce serait comme accuser un médecin quand il voudrait procéder à une analyse d’urine, parce que le pipi serait une liqueur impure... »
L’investigation dans l’affaire du Watergate ? Celle du directeur adjoint du FBI
Dans son élan promotionnel, H. Huertas pouvait-il trouver pire comparaison ? Ignore-t-il que cette fameuse « investigation » dont aiment à s’enorgueillir les journalistes, même ceux rivés au siège de leur studio de radio ou de télévision, peut se réduire à pas grand chose ? Avant de mourir, le Numéro 2 du FBI, Mark Felt, a souhaité révéler publiquement lui-même dans le magazine américain Vanity Fair, le 31 mai 2005, qu’il était la source des deux journalistes, sous le pseudonyme de « Deep throat » (Gorge profonde). L’investigation tant vantée n’était donc qu’une transmission d’informations par le directeur adjoint du FBI qui n’appréciait pas les méthodes de Nixon et lui en voulait de ne l’avoir pas choisi pour remplacer son supérieur Hoover à sa mort.
Replacé dans ce contexte, « le travail d’investigation » des journalistes du Whashington Post mérite-t-il d’être porté aux nues ? Jamais ils n’auraient pu, semaine après semaine, contrer les leurres de Nixon sans les révélations de première main de ce chef du renseignement américain.
L’investigation dans l’affaire Bettencourt ? Celle des adversaires de Mme Bettencourt et de son cercle
Ne retrouve-t-on pas le même cas de figure avec les écoutes téléphoniques de Mme Bettencourt, réalisées par son maître d’hôtel et publiées par Médiapart ? Cette information extorquée n’a pu être « donnée » aux journalistes que par ceux qui avaient intérêt à ce que ces conversations privées fussent mises sur la place publique. Ce ne sont évidemment pas Mme Bettencourt ni le cercle qui vibrionnait autour de son magot. Au service de qui travaillait le maître d’hôtel ? On peut supposer, sans crainte de se tromper, que c’était au profit des adversaires de Mme Bettencourt et de son cercle.
Dès lors, Médiapart n’a jamais été que l’intermédiaire choisi par leurs soins pour diffuser tous ces secrets. L’investigation se réduit à pas grand chose. Sans ces sources attachées à prouver publiquement que Mme Bettencourt, affaiblie par l’âge, était l’objet de pressions de la part de son entourage lorgnant une part de sa fortune, jamais Médiapart n’aurait eu accès à ces secrets.
Faut-il alors tresser des couronnes aux journalistes pour ce « travail d’investigation » qui se limite à n’être que les porte-parole de sources désireuses de dévoiler des secrets ? C’est trop d’honneur. Dans le cas du Watergate, comme dans celui de l’affaire Bettencourt, les journalistes n’ont pas fait grand chose pour découvrir ces secrets qui leur ont été « donnés » de la main à la main. Il s’est seulement trouvé que les intérêts de leurs sources coïncidaient avec ceux défendus par ces organes d’informations, car… nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Paul Villach
(1) « Les matins de France Culture », chronique d’Hubert Huertas - 15.12.2011 - 07:36
« Affaire Bettencourt : l'accélération
Passons sur le fait qu'après la publication par Mediapart d'enregistrements ravageurs, le seul souci d'un certain procureur ait été d’essayer de faire interdire leur utilisation par la justice.
Passons sur le fait que le même procureur ait jugé bon d’enquêter sur un témoin de l'affaire Woerth-Bettencourt plutôt que sur les protagonistes.
Passons sur le fait que l'un de ces protagonistes, gestionnaire de la fortune de la vieille dame ait été l'employeur de la femme du ministre du budget.
Passons sur le fait que ce ministre du budget ait décoré l'employeur de sa femme.
Passons sur le fait que la veille dame ait pratiqué la fraude fiscale à grande échelle, sa fortune étant gérée par l'employeur de la femme du ministre du budget.
Passons sur le fait qu'un photographe ait reçu des sommes inimaginables de la vieille dame dont le procureur ne voulait pas faire expertiser l’affaiblissement mental.
Passons sur le fait que le photographe a été interpellé lundi, et mis en examen le surlendemain, avec son compagnon.
Passons sur le fait que l'ancien gestionnaire et ancien employeur de la femme de l'ancien ministre a été mis en garde à vue hier.
Passons sur ces faits concordants, qui mêlent l'argent, les affaires, l'abus de faiblesse, la fraude fiscale, la politique. Passons, car les faits ne sont pas jugés et que la présomption d'innocence doit protéger tous les protagonistes.
Mais souvenons-nous quand même, alors qu'un journal disparait, le journal France-Soir, de cette affaire dans l’affaire, à propos des enregistrements, et qui a culminé avec les accusations de « Méthode fasciste » lancées par M. Xavier Bertrand contre la Rédaction de Mediapart.
Les protagonistes de l'affaire Bettencourt
Méthodes fascistes qui consistèrent à diffuser des enregistrements pirates, qui racontaient non pas des fables mais des réalités, que la suite a vérifiées, l’Ile d’Arros, les comptes en Suisse, le ballet des amitiés autour de la milliardaire affaiblie par le grand âge…
Méthode fasciste parce que ces confrères travaillant sur Internet étaient allés chercher leurs informations dans des arrière-cuisines plutôt que dans les services de comm.
C’est vrai. Mediapart est descendu dans les égouts, comme Woodward et Bernstein sont descendus dans les parkings du Watergarte, pour en remonter la vérité.
Les poubelles font partie du métier. Les interdire aux journalistes reviendrait à les museler. Ce serait comme accuser un médecin quand il voudrait procède à une analyse d’urine, parce que le pipi serait une liqueur impure... »
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