L’Airbus des batteries
L’Europe a décidé une politique de reconquête industrielle avec le lancement d’un « Airbus des batteries » (lire basé sur une collaboration franco-allemande), batteries indispensables pour stocker l’énergie électrique éventuellement renouvelable. 5 à 6 milliards d’euros seraient investis pour construire les premières lignes de production. Le marché mondial des batteries Lithium-Ion est de plusieurs dizaines milliards de dollars et la Chine possède plus de 70% des capacités mondiales de production. Si l’effort est louable, le manque de coordination des Européens met en péril l’aventure. Pourquoi ces renoncements apparemment programmés ? Par manque de talents, d’inventivité, de goût d’entreprendre des Français, des Européens ? Deux inventeurs ont connu une aventure identique à trente ans d’intervalle : ils illustrent parfaitement les raisons des échecs.
Durant les temps sombres de l’occupation allemande, en 1941, un ingénieur français réussit à mettre au point un nouvel accumulateur Argent-Zinc cinq fois plus léger que l’accumulateur au plomb conventionnel. Henri André n’est pas un inconnu dans les milieux scientifiques bien qu’il ne possède aucune formation, aucun diplôme. Son laboratoire se tient dans sa cuisine, son assistante est sa femme. Son accumulateur fut très tôt utilisé pour mouvoir une automobile et les performances du véhicule sont ainsi décrites en 1954 : « Grâce à ce dispositif, la première électro-auto à grand rayon d’action roule en France : elle peut parcourir 400 km sans recharge ! ». Les Etats-Unis récupérèrent le brevet de l’accumulateur par l’intermédiaire de la firme Yardney, qui étendit le brevet au monde entier et assura sa commercialisation après l’avoir perfectionné. L’exploitation de brevets concernant d’autres inventions a permis à Henri André de continuer ses recherches sur la batterie zinc-argent. Toutefois il ne s’attira en France que scepticisme et les « milieux autorisé » lui répondirent « restons au plomb : il a fait ses preuves ».
L’accumulateur Zn-Ag se révélera toutefois limité par le faible nombre de cycles charge-décharge qu’il pouvait supporter. Malgré tout, les piles à base d'oxyde d'argent conduisaient à la plus haute densité d'énergie avant l'arrivée des piles au lithium. Les piles Zn-Ag ont été utilisées dans les années 1960 pour certains voyages spatiaux dans les fusées Saturn ou le module lunaire Apollo. En 2008, selon l’entreprise ZPower, des batteries Zn-Ag auraient montré jusqu'à 40 % d'autonomie supplémentaire par rapport au système Li-Ion. En 2012, les piles à l'oxyde d'argent constituent environ 20 % des ventes de piles au Japon.
En 1972, Michel Armand présente à une conférence une nouvelle famille de composés d’intercalation dérivés du graphite en soulignant leur caractère prometteur comme matériau pour batteries. En 1974, il rejoint le CNRS et se tourne vers les polymères de type PEO (oxyde de polyéthylène) comme milieu servant à séparer les deux électrodes et assurant une conduction ionique. En 1978, il souligne l’intérêt de systèmes Lithium-PEO pour la réalisation de batteries solides. Il dépose dans le même temps un brevet mentionnant le Lithium comme électrode négative, divers matériaux dont le soufre ou des sels de métaux de transition comme électrode positive et un matériau plastique comme le PEO comme membrane. Le brevet débouche sur un projet associant le CNRS, la compagnie Elf-Aquitaine et le service public d’électricité canadien Hydro-Québec. Entre 1980 et 1986, une trentaine de brevets seront déposés. Le CNRS cède alors la propriété des brevets à Elf-Aquitaine, qui à son tour les cède à une compagnie japonaise, Yuasa. Hydro-Québec qui tente de faire valoir ses droits se trouve finalement obligé de collaborer avec Yuasa.
Le CNRS a donc cédé la propriété des brevets de Michel Armand, EDF et ELF se sont retirés du projet et l’invention s'est finalement retrouvée en développement à Hydro-Québec et à l’Université de Montréal. Michel Armand passera finalement huit ans au Québec, "prêté" par le CNRS. Toutefois, quand il apprend en 2003 que le CNRS a décidé de céder les brevets dont il était le co-inventeur « pour une bouchée de pain » à une entreprise canadienne Phostech lourdement subventionnée, il rentre en France pour protester auprès du Directeur de Cabinet de la ministre de la Recherche Claudie Haigneré. Il attaquera en justice le CNRS pour « non-protection de brevets ».
De fait ses brevets se sont ‘éparpillés’ partout dans le monde. Par exemple, les Autolib sont équipées de batteries au lithium sous licence canadienne, et pourtant l'inventeur est un Français.
Le prix Nobel de chimie 2019 a été attribué aux innovateurs de la batterie lithium-ion : l’Anglais Stanley Whittingham, l’Américain John B. Goodenough et le Japonais Akira Yoshino. Il est possible de s’interroger sur l’oubli de Michel Armand.
La France se prête bien à la germination d’idées, d’innovations. Par contre, elle est devenue particulièrement indolente lors des récoltes. Il faut dire que celles-ci dépendent beaucoup plus des rapports de force que l’on peut établir que d’éclairs de génie ou d’ingéniosité. Il est rare que les deux aspects cohabitent chez le même individu. Depuis toujours, disons depuis Colbert, ce sont les grands monopoles d’État qui ont fourni les armes pour équiper la France : EDF, GDF, CEA, France Télécom, CNET… Pour s’adapter à l’air du temps on a détruit ou affaibli ce qui fonctionnait pour mettre en place ce qui ne fonctionne pas. Il est devenu interdit de faire confiance à un homme, on doit confier son destin à une commission, une assemblée, un cénacle qui choisira de ne pas choisir, pour ne brusquer personne, pour préserver l’avenir, pour préserver son avenir. Il restera possible de disserter sur les mérites comparés de l’horizontalité et de la verticalité tandis que ceux qui souffrent des non-choix, qui ne savent même plus déterminer qui sont et où sont les décideurs dont leur sort dépend, tandis que ceux qui souffrent donc manifestent et se battent pour pouvoir travailler, pour pouvoir vivre.
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