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L’entomologie légale & l’odorologie canine

Le jeudi 15 février, une partie du corps et des vêtements de Maëlys disparue dans la nuit du 26 au 27 aout 2017 étaient découverts sur les indications de Nordahl Lelandais et avec le renfort de chiens de recherches de restes humains, dans une ravine du massif de la Chartreuse (Savoie). Au delà de la découverte du corps et de son identification, il s'agit de confirmer quand le corps a été déposé à cet endroit, qu'il n'a pas été déplacé, et de faire la différence entre une blessure ante ou perimortem avec des traces laissées par des charognards. Plusieurs mois s'étant écoulés entre la disparition de Maëlys et la découverte de son corps, celui-ci et les lieux ont subi bien des altérations. La destruction des tissus mous, les aléas climatiques, le développement de la végétation, la présence de charognards, la déclivité du sol, l'érosion, ont contribué à la dissémination des os du squelette et finis par modifier la position du corps postmortem.

Toute mort est suivie par la thanatomorphose ; la plupart des bactéries vivent dans le sol, l'eau et les tissus en voie de décomposition dont elle tire leur nourriture, entraînant la putréfaction des tissus morts, transformation responsable d'un fort dégagement d'hydrogène sulfurée. Les bactéries se reproduisent par division cellulaire à un rythme extrêmement rapide, les défunts porteurs de certaines maladies (VIH, typhoïde, choléra, etc.) sont potentiellement contagieux... La réfrigération ne détruits pas ces micro-organismes, elle empêche leur prolifération.

Mise en garde, certains détails relatifs à la décomposition d'un corps peuvent choquer.

Quelques minutes après le décès, les cellules privées d’oxygène sont détruites (stade 1 de la décomposition) par leurs propres enzymes (phénomène d'autolyse) ; au stade 2, le corps change de couleur, une tâche verdâtre apparaît au niveau du gros intestin vers la 24° heure de la mort avant de s'étendre à tout l'abdomen et à l'ensemble du corps. Au stade 3 : « La matière cérébrale devient une masse visqueuse, les poumons s'affaissent et forment deux masses brunâtres entourées d'un liquide rougeâtre ; le muscle cardiaque est aplati, le foie présente des bulles de putréfaction. Quelques semaines plus tard, le corps est noir, les cheveux et les ongles s'en détachent, des liquides exsudent par les orifices dégageant une odeur pestilentielle  ». L'odeur d'un corps en état de décomposition avancée est atroce, il exhale une odeur d'excréments et de viande avariée insupportable qui peut nous faire vomir ! C'est une odeur que l'on oublie jamais, pour l'atténuer et pouvoir continuer à travailler, les techniciens en scène de crime placent une petite quantité d'une pommade mentholée à la base de chaque narine.

L'entomologie légale (étude du cycle de vie des insectes) pour dater une mort est apparue en Françe vers 1848 avec les travaux du docteur Bergeret d'Arbois repris par le professeur Balthazar. Cette discipline a permis pour la première fois, en 1882, de dater la mort d'un enfant survenue deux années plus tôt et d'orienter les soupçons sur la mère qui l'avait enfermé dans une malle. Le corps privé de vie devient source de nourriture et lieu de ponte pour la faune cadavérique. Le corps de la victime va faire partie de l'écosystème et permettre à chaque insecte (diptère, coléoptère, pédofaune) de s'en nourrir et de s'y reproduire et de mourir. Sur les cent quarante espèces nécrophages, huit (calliphora vicina, sarcophaga, coléoptere, piophila caséi, ophyra, acarien, coléoptères, anthrènes) vont vivre du corps de la victime, chacune de participer à la décomposition du cadavre et de s'y succéder.

Les insectes pondent des œufs, « la larve mange avec voracité et se débarrasse de sa carapace plusieurs fois au cours de sa vie. Lorsqu'elle a subi sa dernière mue, elle cesse de s'alimenter, elle devient une pupe, son corps se transforme pour prendre sa forme finale d'adulte (imago), c'est la métamorphose.  » Au stade adulte, les insectes peuvent s'accoupler et les femelles pondre des œufs ; une mouche peut pondre 500 à 1000 œufs qui donnent naissance à des larves (asticots). Moins de cinq minutes d'exposition du corps suffissent pour coloniser un cadavre. Chaque espèce est attirée par une odeur caractéristique. La mouche verte qui apparaît la première, est capable de repérer l'odeur du corps à une dizaine de kilomètres de distance, elle pond dans les tissus les plus fragiles comme l'angle interne de l'œil ou une blessure (pouvant la faire disparaître), le cycle de la vie de se poursuivre.

Les escouades qui vont se succéder sont attirées puis repoussées par les dégagements chimiques successifs. La deuxième escouade arrive au bout d'un mois attirée par les fèces, la troisième (dermestes et lépidoptères) entre le 3° et 9° mois, la quatrième (coryétienne) vers le 10° mois, la cinquième (silphienne) 2 ans, la sixième entre 2 ou 3 ans. L'ordre d'apparition est invariable, seule la durée du développement des insectes peut varier en fonction des conditions météorologiques (températures, hygrométrie, ensoleillement). On sait que ces insectes ne pondent pas en dessous d'une certaine température ni la nuit. Le technicien prélève des insectes (cocons, larves et adultes) vivants qu'il plonge dans l'alcool à 70°, ils lui permettront d'apprécier le degré de développement propre à chaque espèce et confirmeront l'ordre d'apparition des escouades de coléoptère et diptères. Il prélève ensuite des spécimens vivants pour les placer en incubation dans des conditions insitu jusqu'à leur maturité, afin de déterminer le stade de développement et identifier de façon catégorique chaque espèce.

Chaque cycle : ponte, incubation, stade larvaire, construction du cocon, éclosion est parfaitement documenté pour chaque espèce ; chez la mouche bleue par exemple : incubation 12 à 24 heures, croissance de la larve en 6 jours, la pupaison (libération de l'insecte adulte) entre 5 à 20 jours, (durée de vie une vingtaine de jours), cela permet d'établir le temps écoulé, donc une date. La datation repose sur la croissance par unité calorique, s'il faut 100 heures à 15 degrés centigrades à une espèce pour atteindre un stade de développement défini, il lui en faudra 50 h à 30°C. Cette technique permet de dater une mort remontant à plusieurs années avec une précision de quelques mois, seules les trois premières escouades permettent une datation précise. L'entomologue peut même faire la différence entre une mouche des villes et mouche des champs et ainsi établir si un corps a été déplacé d'une région à une autre (l'indication géographique peut être confirmée par la présence de sédiments ou de végétaux transportés sur un effet vestimentaire) !

Chien de recherches de restes humains & odorologie

En 2002, le Groupe national d'investigation cynophile de la gendarmerie décidait après une période d'évaluation de cinq années, de la création d'une unité dédiée. Cette décision faisait suite à l'affaire Marc Dutroux, dans laquelle deux chiens avaient permis la découverte au mois d'août 1997, des corps de Julie et Melissa enterrés le 27 mars 1996 à 4 mètres sous terre !

L'idée d'utiliser des chiens pour reconnaître une odeur humaine puis l'apparier à un lieu ou à un objet est née dans le cerveau des policiers de la Stasi (police politique Est-allemande). Avant d'entendre certains opposants politiques au régime, l'interrogateur plaçait un linge stérile sur la galette du siège avant de faire entrer la personne, l'interrogatoire terminé, la pièce de tissu était placée dans un flacon en verre portant le nom de l'individu et les références du dossier. Des chiens spécialement dressés à reconnaître une odeur humaine étaient conduits sur place pour confirmer si l'individu était venu en cet endroit ou non.

L'homme vivant est le siège permanent de dégradations bactériennes à l'origine d'un cocktail d'odeurs plus au moins désagréables provenant : du cuir chevelu - la sueur - l'urine - les fèces - l'haleine - les pieds - l'alimentation. Les éléments minéraux, l'acide lactique, l'urée, les acides aminés, les protéines, et les glandes sébacées (tri-glycérides et squalène) contribuent à délivrer de chacun de nous une odeur très caractéristique. Si la justice française ne reconnaît pas cette discipline comme preuve légale, une personne suspectée ne peut cependant s'opposer à la collecte d'odeurs sur elle ou ses effets (article 55.1 du Code de procédure pénale).

On distingue différents stades de putréfaction : cadavre frais - odeur rancie de graisse - fermentation caséique - fermentation ammoniacale - fermentation jusqu'à la déshydratation post-mortem (momification) qui entraîne une dessiccation responsable d'une perte de la masse corporelle qui dépend de la température, de l'hygrométrie, de l'aération et de la corpulence de la victime. La durée de décomposition d'un corps exposé à l'air libre peut être appréciée par la formule de A. Vass (2001) ; le nombre de jours pour aboutir à l'état squelettique (stade 5) est égal à 1285 divisé par la moyenne des températures en degré Celsius.

Le chien possède près de 900 récepteurs olfactifs dans son génome, et il est capable de différencier l'odeur entre deux jumeaux ! L'acuité olfactive d'un chien diffère avec : l'espèce (anatomie nasale), l'individu, l'apprentissage, l'état de vigilance et le sexe, la femelle semble plus performante que le mâle, sauf s'il a reçu une dose de testostérone... A la différence des chiens de décombres dressés pour localiser les survivants d'une catastrophe, les chiens de recherches de restes humains le sont pour marquer en présence d'un cadavre. A. Vass a établi (2007) que 424 composés volatils étaient libérés lors de la décomposition d'un corps, principalement des : acides, aldéhydes, cétones, esters, sulfure et composés aromatiques dont les proportions changent lors du processus de décomposition. Il n'a cependant pas détecté de diamines (cadavérine C5H14N2, putrescine C4H12N2, saprine C5H16N2), molécules souvent mentionnées dans la littérature et utilisées lors du dressage.

Ces chiens ne peuvent donc être mis à contribution efficacement que quelques jours après le décès. Lors de la décomposition, les fluides s'écoulent dans le sol jusqu'à l'imprégner pendant des années, et les molécules odoriférantes de remonter en surface à travers le sol (s'il s'agit d'un noyé, elles remontent en surface, et certaines brigades de sapeurs-pompiers disposent de chiens spécialement éduqués aux recherches nautiques). Selon les spécialistes cynophiles, peu de substances peuvent être utilisées pour masquer l'odeur de cadavre, hormis l'envelopper dans une enveloppe hermétique et étanche destinée à en contenir les odeurs. Cela appelle une remarque, une substance peut s'opposer au passage de certaines molécules, mais en laisser filtrer d'autres (latex)...

La mère de la petite Maddie disparue le 3 mai 2007 en Algarve (Portugal) fut suspectée, car un chien avait flairé une odeur cadavérique sur le vêtement qu'elle portait ce jour là... Sachant cela, l'assassin (préméditation) animé du soucis de dissimuler un corps pourra se tourner vers plusieurs classes de polluants capables d'entraîner une dysosmie (troubles de l'olfaction) : solvants, herbicides, insecticides, fongicides, ou d'autres molécules provoquant de faux marquages.

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2 réactions à cet article    


  • ZenZoe ZenZoe 22 février 2018 15:55

    Tout ça est fascinant. Merci pour cet article. On se dit que tant d’affaires d’autrefois auraient pu être résolues aujourd’hui (l’affaire Grégory peut-être ?).
    L’important en tout cas est que ces technologies aient toujours un temps d’avance sur les criminels !


    • gorguetto gorguetto 23 février 2018 11:22

      Cet exposé peu ragoutant reste intéressant. Il nous concerne tous, après le mercredi des cendres, nous savons le devenir de notre dépouille mortelle si elle n’a pas été incinérée. Nous comprenons à quoi servaient les fours crématoires dans les camps de concentrations. J’ai une pensée pour nos pères qui dans les tranchées ont du vivre et côtoyer cette horreur et putréfaction chaque jour pendant quatre années. Et voilà qu’il faut étudier l’évolution de ce pourrissement des corps pour tâcher de découvrir les causes d’un crime éventuel. Dur métier mais nécessaire. nous sommes tous concernés, parce que au bout du chemin, ce peut être majoritairement notre dernière transformation. A bientôt petites vermines, et bon appétit !

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