L’extrême-droite s’en prend au rappeur Médine
Black M, Mennel, Médine : ces trois personnalités de la musique ont pour point commun d'être issues de la diversité républicaine et d'avoir fait l'objet de l'ire de la fachosphère qui ne supporte décidément pas de voir des artistes noirs et/ou musulmans être en tête d'affiche. Mais, si bête soit-elle, la fachosphère ne s'en prend pas directement aux origines ou à la foi de ces artistes, elle préfère créer la polémique en déterrant d'anciens propos glanés sur twitter ou dans des conversations privées afin de leur nuire : un racisme à la française.
Après avoir fait retirer Black M du concert qu'il aurait dû tenir à Verdun en 2016 et après avoir déversé sa bile haineuse sur la jeune Mennel qui a dû abandonner l'émission The Voice, la réacophère a trouvé une nouvelle cible : Médine.
Âgé de trente-cinq ans, l'artiste normand d'origine algérienne est un rappeur particulièrement apprécié par la jeunesse des banlieues. Ses chansons touchent souvent à la religion, à la philosophie, à l'histoire. Bien loin des adolescents attardés pseudo-rappeurs dont la performance artistique se borne à s'afficher torse nu avec des bimbos huilées et lascives, le tout en chantant des platitudes sur la drogue, le sexe et les embrouilles de cité…
Cette différence artistique explique sans doute la différence de traitement médiatique : là où ces rappeurs bling-bling sont diffusés en boucle à la radio et à la télévision, Médine est persona non grata. Vous ne le verrez jamais invité sur Skyrock, pas plus que vous ne verrez ses clips sur C-Star ou MCM. Pensez donc, un rappeur musulman qui ose s'assumer comme tel et dénonce le maccarthysme dont sa religion est victime en France…
Depuis l'annonce de son prochain concert au Bataclan, les dextrogyres sont sortis de leur torpeur et réclament sa tête. Officiellement, les raisons de cette protestation sont sa chanson Don't Laik sortie après les attentats de Charlie Hebdo et son album intitulé Jihad datant de 2005. Le ban et l'arrière-ban de la droite y voient un outrage à la mémoire des victimes des attentats. Les élus et activistes d'ultra-droite ont été les premiers à s'en émouvoir sur twitter : "Aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies au lieu même du carnage du Bataclan", a ainsi tweeté Marine Le Pen en toute finesse. Les élus de la droite prétendue républicaine lui ont vite emboîté le pas, à l'instar d'Éric Ciotti qui "dénonce avec la plus grande fermeté" la programmation de ce concert jugé "indécent".
La palme d'or revient à Valérie Boyer, l'ancienne directrice de campagne de François Fillon. La députée s'émeut de certains textes de Médine où il critique les dérives de la laïcité : "Laisserons-nous ce rappeur prononcer ces mots au Bataclan" ? demande-t-elle, presque en pâmoison. Pour rappel, Boyer est cette députée qui est apparue sur la télévision publique en arborant une grande croix autour du cou. La voici reconvertie en hébertiste ! Sans s'en rendre compte, ces élus qui invoquent la laïcité dès qu'il s'agit d'islam (tout en défendant les crèches et les croix) valident la thèse de Médine selon qui la "laïcité à la française" est une croisade déguisée contre l'islam, une croisade qui ne se fait plus au nom du Christ mais au nom des Lumières… ce, même si lesdites Lumières étaient dans de bonnes dispositions envers l'islam comme en témoignent les magnifiques textes de Voltaire et de Montesquieu sur l'Orient.
Quant aux propos de Médine, qu'y a-t-il de choquant ? Est-ce le mot "Jihad" qui hérisse les poils chauvins de ces dextrogyres ? Ce sont les mêmes qui se réjouissent quand un auteur ultranationaliste remporte des prix littéraire pour avoir ridiculisé Anne Frank, ce sont les mêmes qui se mobilisent pour un rappeur tradi qui a chanté des chants anitisémites dans un cimetière juif en proférant des menaces de mort contre des ministres, ce sont les mêmes qui s'offusquent quand le collabo Maurras est rayé des commémorations nationales. Oui, l'extrême-droite n'est qu'une extrême-gauche qui s'ignore, et vice-versa. "La liberté d'expression, c'est seulement pour les nôtres".
Pour rappel, l'album intitulé Jihad date de 2005, il est donc très antérieur à la vague d'attentats qui a ensanglanté notre pays. En outre, le nom complet de l'album est Jihad : le plus grand combat contre soi-même. En effet, en arabe, le mot "jihad" signifie "effort", cela désigne le combat nécessaire que le croyant doit livrer contre le mal. Il existe en fait deux jihads : le "grand Jihad" qui est le combat armé contre les ennemis de l'islam (où il s'agit de défendre un pays musulman attaqué par des non-musulmans, jamais d'attaquer soi-même un pays pour le conquérir ou en assujettir la population) ; le "petit jihad" désigne quant à lui la lutte du croyant contre ses propres tentations et démons intérieurs. C'est bel et bien de ce dernier que parlait le chanteur dans son album. Laurent Wauquiez, parfaitement arabophone, ne peut ignorer la signification et les sens multiples de ce mot.
Pour se faire une idée de cet artiste et de ses chansons, nous ne pouvons que conseiller au lecteur d'écouter ces dernières. La chanson Alger pleure est un de ses textes phares. Il s'agit d'un clip sur la guerre d'Algérie : l'auteur n'est aucunement dans une logique revanchiste mais s'attriste au contraire de ce conflit et de la rupture qui en a résulté entre les différentes communautés qui vivaient jusque là en harmonie.
Si cette chanson est choquante, que dire de celles d'Amalek, Kroc Blanc et autres braillards natios qui se sont improvisés artistes ? "Je veux voir le jour se lever, finir dans la cuvette / Je serai tellement déchiré que je ferai à côté des toilettes"... Voilà un beau chant patriote, chanté (ou criaillé) par un rockeur identitaire de chez nous ! Mais assumer sa foi musulmane dans une chanson, vous n'y pensez pas !
Ce n'est pas être suspicieux que de se demander (comme pour Black M, Mennel, Oulaya et Meklat) quelle est la vraie raison de la haine que le jeune Médine suscite chez les dextrogyres. Puisque pour lui nuire, ces derniers sont prêts à déterrer des polémiques vieilles de treize ans, ou mieux, à en inventer.
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