L’homme, cet inconnu, a la capacité unique du moins jusqu’à ce stade de la connaissance humaine de « penser seul l’univers »
« Que puis-je dire ? Je ne peux que me soumettre à cette analyse mais voilà, il me faut admettre que le libre-arbitre de l’homme est donc tout-à-fait relatif. Du coup il me faut donc admettre que la prédestination prévaut et commande nos actes. »
C’est le post d’un ami qu’il m’a envoyé qui, après avoir lu un article (1) paru sur le Quotidien d’Oran, s’est interrogé sur le sens la marche de l’histoire.
Il est vrai que le libre-arbitre de l’homme est tout-à-fait relatif. En effet, on remarque que les actes paraissent toujours déterminés lorsqu’on les considère après l’action lorsqu’ils font partie du passé. Mais lorsqu’on les considère dans leur développement même, surtout si on essaie de les déduire avant les événements à venir, on s’aperçoit que ce ne sont que des projections hypothétiques que nous pouvons mener mais sans jamais s’assurer de leur réalisation.
En clair, l’homme ne peut que conjecturer. H. Bergson appelle « liberté, le rapport du moi concret à l’acte libre qu’il accomplit. » Mais qu’est-ce que le moi ? Sinon tout ce qui fait l’existence dans le temps. Une liberté, une causalité qui est toujours au présent lorsqu’il est ; mais ce moi demeure indéfinissable ; on a beau le cerner ce « je », il demeure qu’il y a beaucoup d’inconnu en lui. C. G. Jung appelle l’« ombre » qui personnifie pour le sujet « le côté inconnu, inquiétant, de lui-même, comme un être à la fois étranger et apparenté ».
Mais ces ombres noires, sinistres, relèvent de l’existence. Dans le quotidien, l’homme n’est pas toujours objectif, pris par son égoïsme, souvent cette pensée qui pense en lui pense qu’au fond il n’est pas égoïste. C’est simplement sa nature qui est ainsi. Bon quand il est dégagé, mauvais quand le côté négatif de sa nature prend le dessus. Celui qui fait du mal sent-il qu’il fait du mal ? Aussi, comment nous connaître ? Comment prendre prise sur soi, sur notre existant ? Comprendre nos joies, nos angoisses et apprendre à les maîtriser ?
Et c’est important pour notre sérénité intérieure, pour lutter contre les projections des autres, contre nos propres problèmes refoulés de l’existence qui remontent à la surface et prennent le pas sur nous. Combien même on est serein, ou paraissant l’être, intérieurement on ne l’est pas et on ne le montre pas. Comment faire pour comprendre ce mal-pensé ? Qui, au fond, quoique l’on dise, est naturel puisqu’il prend en nous, et nous ne pouvions le plus souvent lutter contre.
Nous sommes simplement ce que nous sommes, et le monde est ainsi fait. Un aspect important est de penser que l’homme n’a pas de liberté réelle, au sens propre du mot, puisque le libre-arbitre lui est donné par l’Essence. On n’a pas le choix pour définir l’homme autrement que par l’Essence. Il n’est pas homme de lui-même ; il a été créé homme. Et cette vérité est très importante parce que si on ne la met pas en avant, en tant qu’elle le définit, l’homme restera toujours un être indéfinissable. On épiloguera longtemps sur le « je » et le moi, mais nous n’arriverons pas au cœur du problème de l’homme.
Dès lors le seul lien tangible qui peut nous exprimer est notre libre-arbitre dans notre essence d’être ; il joue un rôle cardinal dans notre existence. Dans un essai sur le libre arbitre, Arthur Schopenhauer enseigne :
« L’hypothèse du libre-arbitre doit être absolument écartée, et que toutes les actions des hommes sont soumises à la nécessité la plus inflexible, nous l’avons par là même conduit au point où il peut concevoir la véritable liberté morale, qui appartient à un ordre d’idées supérieur.
Il existe, en effet, une autre vérité de fait attestée par la conscience, que j’ai complètement laissée de côté jusqu’ici pour ne pas interrompre le cours de notre étude. Cette vérité consiste dans le sentiment parfaitement clair et sûr de notre responsabilité morale, de l’imputabilité de nos actes à nous-mêmes, sentiment qui repose sur cette conviction inébranlable, que nous sommes nous-mêmes les auteurs de nos actions. Grâce à cette conviction intime, il ne vient à l’esprit de personne, pas même de celui qui est pleinement persuadé de la nécessité de
l’enchaînement causal de nos actes, d’alléguer cette nécessité pour se disculper de quelque écart, et de rejeter sa propre faute de lui-même sur les motifs.
Bien qu’il soit établi que par leur entrée en jeu l’action dût se produire d’une façon inévitable. Car il reconnaît très bien que cette nécessité est soumise à une condition subjective, et qu’objectivement, c’est- à-dire dans les circonstances présentes, par
suite sous l’influence des mêmes motifs qui l’ont déterminé, une action toute différente, voire même directement opposée à celle qu’il a faite, était parfaitement possible, et aurait pu être accomplie, pourvu toutefois qu’il eût été un autre : c’est de cela seulement qu’il s’en est fallu. Pour lui-même, parce qu’il est tel et non tel, parce qu’il a tel caractère et non tel autre, une action différente n’était à la vérité pas possible ; mais en elle-même et par suite objectivement, elle était réalisable. Sa responsabilité, que la conscience lui atteste, ne se rapporte donc à l’acte même que médiatement et en apparence : au fond, c’est sur son caractère qu’elle retombe ; c’est de son caractère qu’il se sent responsable. » (2)
Ce qu’énonce Arthur Schopenhauer est assurément une vérité. Tout homme est responsable de ses actes, même si pour lui, subjectivement il dit que son libre-arbitre n’est pas engagé, que le choix dans son action relevait de son caractère dont il n’est pas responsable. Cet homme est conçu ainsi, en clair cela relève de ce qu’il est, donc nécessairement ce qu’il est par son essence. Schopenhauer poursuit son analyse :
« Et c’est aussi de celui-là seul que les autres hommes le rendent responsable, car les jugements qu’ils portent sur sa conduite rejaillissent aussitôt des actes sur la nature morale de leur auteur. Ne dit-on pas, en présence d’une action blâmable : « Voilà un méchant homme, un scélérat, » ou bien : « C’est un coquin ! » – ou bien : « Quelle âme mesquine, hypocrite, et vile ! » – C’est sous cette forme que s’énoncent nos appréciations, et c’est sur le caractère même que portent tous nos reproches. » (2)
Allons plus loin dans le raisonnement sur l’essence de l’homme. Qu’est-ce qui différentie un méchant homme d’un scélérat ? Ou simplement un honnête homme d’un malhonnête homme ? Nous devons d’abord considérer ce qui meut l’honnête homme et le malhonnête homme, sur le plan de l’essence ? Il est évident que ce sont leurs pensées respectives de ce qu’ils font de leur liberté dans leur existence ou leur libre-arbitre qui vont régir leurs actions.
Car, dans le fond, le libre-arbitre comme leurs pensées qui les différentient, chaque homme a sa propre pensée – on parle ici du contenu de sa pensée et non la pensée elle-même qui n’est que le véhicule du vouloir de l’être. Donc de par son libre choix de faire, d’agir, qui est donné à l’homme par une essence dont il ne sait rien. Qu’Emmanuel Kant appelle une causalité puisqu’elle est celle qui « cause tout ». Quels que soient les hommes, ils ne pensent que par leurs tendances dans l’existence, ils pensent donc et agissent de par ce qu’ils sont foncièrement.
Pour avoir une idée de la pensée au travers de laquelle l’homme tire son libre arbitre, il faut d’abord définir l’homme intérieur avec son monde extérieur. Supposons qu’il n’a pas les cinq sens sensoriels, que serait-il l’homme ? Il ne serait rien ; il n’entend pas ; il ne voit pas ; il ne sent pas. Dès lors même qu’il a une pensée, sa pensée lui est inutile. Il ne peut penser ce qu’il ne voit pas, ce qu’il n’entend pas, ce qu’il ne sait pas. En clair, il existe sans exister. Ou simplement pourquoi il existe seulement pour exister alors qu’il n’a aucune prise ni sur lui-même ni sur le monde extérieur.
Le monde qui l’entoure aurait-il un sens ? Le monde animal, chat, tigre, lion, etc., ou le monde végétal, arbres, fleurs, herbes, etc., ou simplement la nature qui l’entoure, le jour avec le soleil, la nuit avec ou sans lune.
Et tant de choses du monde extérieur. Le monde extérieur aurait-il un sens ? A quoi servirait-il ? Pourquoi existerait-il ? S’il n’y a pas l’homme qui témoigne de son existence. Le sourd muet aveugle qui a le sens du toucher a besoin des hommes et du milieu dans lequel il est pour prendre conscience de son existence.
On comprend dès lors pour que le monde existe, il a besoin de l’homme. Du moins, cette affirmation vient de la logique de sa raison. Évidemment, le monde peut exister sans l’homme si la Création l’a voulu ainsi ; mais se poserait toujours la question sur la finalité de la Création qui aurait existé à l’infini sans l’homme. Bien entendu, à cette question l’homme n’a pas de réponse. L’homme ne peut savoir l’absolu de l’Essence, i.e. Dieu ; il n’est pas « fait » pour savoir l’Essence par lequel il est ; tout au plus le sentirait-il cette Essence qu’elle existe en lui ; l’homme lui doit sa pensée en terme de véhicule et de contenu et ses cinq sens sensoriels qui communiquent leur contenu à sa pensée qui les traduit pour lui. N’est-ce pas un
processus existential par lequel l’homme existe et dont il ne sait rien ?
Et même les sens sensoriels dont il est doté sont limités, ils ne lui disent pas tout. Ses yeux, sa vision, ne sont qu’une merveilleuse « machine », un « merveilleux organe biologique optique ». Il ne voit par eux que les fréquences autorisées, i.e. les fréquences visuelles octroyées à l’homme ; il ne voit pas l’infiniment petit. Pour cela il a besoin d’un microscope optique, ou d’un microscope électronique qui fait grossir plus de 100 000 fois l’objet qu’il examine. Et encore cet examen optique est limité ; il ne voit pas l’infiniment petit qui n’a pas de limite. De même, il ne voit pas l’infiniment grand. Il ne peut voir ce qui se passe, par exemple, sur la planète Mars, ou sur une autre planète lointaine ; tout au plus il spécule sur des photographies de ces planètes prises au moyen de télescope dont il pousse l’agrandissement à l’extrême.
Pourtant ce paradoxe si on peut appeler cette limitation paradoxe, ces moyens techniques que sa pensée lui construit ne lui fait voir que ce qu’il lui est autorisé de voir par l’Essence. D’autant plus que si on fait le compte, les yeux, instrument optique biologique, le microscope optique et électronique et les télescopes les plus perfectionnés qui sont le produit de son intelligence véhiculée par sa pensée, ne lui appartiennent pas en propre, dans le sens de l’« absolu ». Certes, doté de sens et de pensée, l’homme a produit mais lui aussi est le « produit » de quelque Force Infinie créatrice de l’Univers. Et souvent l’homme ne s’aperçoit pas qu’il est un « miracle » de la Création et dans la Création.
Pourquoi ? Parce qu’il a cette capacité unique du moins jusqu’à ce stade de la connaissance de l’humanité de « penser l’univers ». Seul à le penser, ce qui implique que l’homme n’existe pas seulement pour exister, et malgré ses facultés « limitées », et qui lui permettent de les « augmenter », il a aussi à marquer de son empreinte le monde.
Une destinée en quelle que sorte ? Un monde qu’il met à son niveau, qu’il y construit selon sa raison. Dès lors, n’est-ce pas que ce qu’il fait entre dans sa destinée d’exister dans ce monde, et qu’il existe une dépendance entre lui et ce monde. Un monde dont il dépend sur tout alors que le monde qui lui est extérieur ne dépend pas de lui. Tout au plus il est dans un certain sens le « miroir » du monde extérieur puisqu’il témoigne de son existence ; et réciproquement, le monde n’a d’existence que par l’homme, et l’homme n’a d’existence que par le monde. Deux mondes qui ne font qu’un seul : « Un miroir de l’un et de l’autre dans un seul miroir. »
Medjdoub Hamed
Chercheur
Note :
1. « L’arme qui a changé l’histoire. Pourquoi l’« apocalypse nucléaire », malgré Hiroshima et Nagasaki, n’est pas du ressort de l’homme ? », par Medjdoub hamed. Le 25 août 2018
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-arme-qui-a-change-l-histoire-207098
www.lequotidien-oran.com
2. « Essai sur le libre arbitre », Arthur Schopenhauer. Traduction de Salomon Reinach (1894)
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