L’Homme du septième jour
Notre corps n'est pas une machine - fût-elle à désirer... Représenterait-il tout d’abord un langage que la médecine occidentale ne comprendrait pas ? Au-delà de l’esthétique de l’apparence du beau corps sain et des belles images, Annick de Souzenelle invite à déchiffrer notre réalité corporelle dans un ouvrage exigeant paru pour la première fois voilà deux générations - et à prendre un « chemin des profondeurs » nous reliant à ce qui nous fonde.
La maladie survient pour nous prévenir de mauvais choix de vie et nous permettre une montée de conscience vers une véritable percée de l’être. Elle porte en elle son germe de guérison vers ce surcroît d’être : « Elle est au départ une énergie pervertie qui demande à être convertie en lumière » constate Annick de Souzenelle dans son livre d’éveil à la richesse symbolique du corps, pour peu qu’elle soit vécue en conscience et en acte comme une élévation des pieds à la tête.
De L’Arbre de vie au schéma corporel est paru pour la première fois aux éditions Dangles en 1974, à l’ère d’une humanité de plus en plus mal assise dans ses fausses certitudes. Refondu en 1984 (!) sous le titre Le Symbolisme du corps humain puis repris au format de poche par Albin Michel (1991), il a été diffusé à plus de deux cent mille exemplaires en près d’un demi-siècle. Il est réédité pour la première fois avec de riches illustrations en résonance avec des scènes bibliques ou mythologiques d’autres sphères culturelles.
Chacun ne pourrait-il pas être son propre médecin dans cette écoute poétique à son être ? Nous avons tous à « Devenir » et à nous accomplir : notre corps, qui se construit par l’interaction avec le milieu la culture et le langage, est l’instrument de cet accomplissement s’il s’inscrit dans sa dimension ontologique : « la moindre partie du corps porte la totalité de l’Homme, corps, âme et esprit ». Ainsi, le corps parle et « transmet l’exigence de croissance du noyau de l’être dont chacune de ses cellules est porteuse ».
Longtemps infirmière anesthésiste puis psychothérapeute, Annick de Souzennelle rappelle, à la lumière de la Bible hébraïque, que sa finalité est le « corps divin » - son modèle que « Moïse a vu et dont il nous a transmis la mémoire sous le dessin de l’Arbre de Sephiroth ». L’Homme est-il comparable à un arbre qui grandit et dont la sève monte ? Cette montée de sève, si elle se fait en conscience, activerait notre transformation intérieure jusqu’à notre véritable dimension : « L’Arbre est le schéma de la construction du monde à son image ; le corps humain est le schéma de la construction de notre devenir ».
Annick de Souzenelle rappelle que chaque être humain joue sa vie en jouant de ses énergies : « soit qu’il fasse monter sa sève afin de « mettre son arbre à fruit » soit qu’il la depense, dès que née, au pied de l’Arbre, dans les rejets ou les basses branches »... Après avoir longuement étudié la théologie, la psychologie des profondeurs et l’hébreu bibilique, Annick de Souzenelle invite à décrypter notre labyrinthe anatomique afin qu’il ne demeure pas labyrinthe d’inconscience. Elle convie à décoder la fonction subtile de chacun de nos organes et à redécouvrir l’Arbre des kabbalistes dans l’intelligence de notre corps : l’image du corps humain, porteur d’une sagesse instinctive, peut-elle être lue comme le « reflet terrestre » de cet « Arbre de vie » dont parle la tradition de la kabbale ?
« La connaissance est amour »
L’homme d’aujourd’hui, d’ici et de maintenant, coupé des archétypes, est bien loin d’incarner « l’Homme définitif » : se vivrait-il comme une « écorce sans son noyau » ou une ébauche inassouvie ? « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux » dit la sagesse hermétique. Annick de de Souzenelle invite à considérer « d’une part l’Homme dans le Monde et de l’autre le Monde en l’Homme comme l’endroit et l’envers d’une même médaille, d’une même réalité secrète, les deux aspects manifestés étant reliés ainsi par « l’intérieur »... Il s’agit de « retrouver l’intégrité du fruit » et de « réintroduire le noyau de l’être dans sa pulpe » : « redonner vie à cette chair sous l’écorce » serait-ce là faire en sorte que « ce qui est en bas retrouve l’image de ce qui en-haut et le chemin qui conduit à son modèle » ?
Ainsi, la vie « consiste à parcourir le chemin qui mène de la semence au fruit »... Sa dynamique exige l’accomplissement depuis le germe jusqu’au fruit... Les uns « sont leur corps » et les autres « ont un corps » - comme on vit « dans » et « avec » son corps voire « à côté » sans l’habiter vraiment... Mais qui sait pourquoi et comment il s’y trouve – lorsqu’il le vit ? Qui l’habite vraiment selon sa raison d’être sans s’y retrouver prisonnier – ou sans végéter « à côté » ?
L’espèce présumée humaine dans sa « vie collective actuelle » ne s’est pas encore « retournée vers ses normes ontologiques fondatrices » pour saisir, dans ce lieu du vivre incarné, ce qui excède le corps... Presque centenaire, Annick de Souzenelle s’est toujours attachée à cet « excédent » irréductible et au pouvoir opératoire des symboles – notre patrimoine commun : ils sont les « élements de notre monde sensible dont chacun est signifiant ».
Chaque symbole est « l’image de son correspondant archétypiel « en haut » - le signifié ». Ainsi, « à chacun de pénétrer leur sens, leurs harmoniques, de les laisser affleurer à sa conscience afin de se laisser recréer par eux » dans un monde dénaturé et désymbolisé. Les rituels initiatiques de tous les temps ne seraient-ils qu’une « symbolothérapie » au sens vrai du mot « thérapie » qui remettrait en harmonie ?
Dans la traversée de l’existence, notre colonne vertébrale est le « guide lumineux de celui qui sait voir », « l’outil de celui qui sait oeuvrer » - « elle est le chemin de celui qui peut monter ». C’est le lieu privilégié où « s’inscrivent toutes nos libérations nos accomplissements successifs mais aussi nos blocages, nos peurs, nos refus d’évoluer, d’aimer et toutes les tensions, toutes les souffrances qu’ils génèrent ». Elle incarne l’instant, « germe de transcendance des antinomies », elle est » la vie et la voie qui mène » l’individu ou l’humanité « dans l’axe de son être essentiel ».
On en viendrait à rêver d’une nation « centrée sur sa vraie colonne vertébrale »... Encore faudrait-il se donner les moyens d’accquérir les bases de notre « totale verticalisation » et « verbifier » la chair selon notre vocation créatrice. La vraie connaissance « nous sculpte par l’intérieur, car elle est énergie ».
L’acquisition de la vraie liberté se joue dans la justesse de notre présence au monde. Quand nous éveillons notre germe d’âme en résonance avec notre véritable raison d’être, « la blessure se ferme et notre être participe alors du rythme universel, dans la jubilation du monde transformé ». Lorsque nous retrouvons la « respiration archétypielle » et inscrivons notre souffle en elle, nous entrons dans un « processus de transmutation » en réintégrant notre substance corporelle dans sa réalité ontologique, bien au-delà de l’économie d’un corps à entretenir, faire durer et gérer comme un « capital » génétique...
Le diaphragme est, ou plutôt devrait être notre outil respiratoire essentiel : « séparant le thorax de l’abdomen, il repousse les anses intestinales suffisamment loin en bas pour que s’épanouisse en haut l’arbre pulmonaire » qui est aussi notre arbre phonatoire. S’agit-il de retrouver la respiration qui unit la terre au ciel et l’Homme à Dieu ? Ontologiquement, « l’Homme ne peut conquérir le monde extérieur qu’en conquérant son cosmos intérieur » par l’ajustement de son corps comme totalité ouverte.
Lors de la création selon le récit de la Genèse, les animaux apparaissent sur Terre au sixième jour – et Adam dans la même catégorie biologique. L’objet du Septième jour pour l’Homme, en tant qu’ « image de Dieu », c’est ce passage essentiel vers la réalisation de cette image. Dans notre schéma corporel ontologique selon Annick de Souzenelle, il s’agit de lire en notre côté gauche « le féminin, celui de la permanence, de l’origine ». Et en notre côté droit « le masculin, celui du mouvement, le futur ». Les vocables « mâle et femelle » prennent un tout autre sens : est « mâle » ou « femelle » celui qui se souvient de cet autre côté de lui-même. La vraie fécondité, c’est celle de l’arbre qui donne son fruit : « l’Homme déifié » - l’Homme intérieur dans son corps spirituel...
Dans cette traversée du désert de l’existence jusqu’à la source de l’être, il importe de « rencontrer l’autre en chacun de nous afin de rencontrer l’autre en ami à l’extérieur de nous ». La Réalité joue d’un large clavier de longueurs d’ondes : « une très étroite plage de celles-ci touche nos sens immédiats, mais les sens de l’Homme qui monte son Arbre s’ouvrent les plages de plus en plus vastes de la Réalité ».
Nos sens nous permettent de toucher « le coeur, le noyau des choses, des êtres, du monde » pour peu que nous consentions à nous laisser emplir et transformer par la transcendance qui nous habite dans la conscience d’un corps accordé. Ce que nous avons de plus « personnel » ne nous a-t-il pas précédé et ne nous dépasse-t-il pas par la grâce d’un Don dont nous ne disposons pas à notre guise ? Alors, pourquoi ne pas le préserver des dilapidations frivoles afin qu’il nous joue dans les résonances et dans cette pleine grâce créatrice d’une vie au plus près de sa source ? Ne serait-ce pas là le véritable "pouvoir", non intentionnel, qui joue par sa nature même ?
Annick de Souzenelle, Le symbolisme du corps humain, Albin Michel, 530 p., 35 €
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