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Accueil du site > Tribune Libre > L’homme est un roseau pensant agité de biais cognitifs

L’homme est un roseau pensant agité de biais cognitifs

L’opinion courante tend à considérer que l’homme est en général un être rationnel : ses propos comme ses comportements et ses décisions sont le fruit d’une pensée logique. S’il se met parfois à dire et agir à contresens, ce ne peut être que sous le coup d’une puissante émotion telle que peur, colère ou affection. Or depuis la fin des années 1970, les sociologues et les psychologues tendent plutôt à considérer que si des erreurs systématiques et persistantes sont commises, elles sont aussi attribuables à des déficits cognitifs dont l’homme ne se rend pas compte. En particulier, la pensée intuitive, souvent en première ligne, conduit à des raccourcis simplificateurs qui forgent des partis pris nuisibles à la capacité de jugement.

Si l’homme est un roseau qu’une goutte d’eau peut terrasser, il a l’avantage, car il pense, de savoir qu’il meurt alors que la goutte d’eau n’a aucune idée de l’avantage qu’elle a sur l’homme, ainsi que nous le dit Blaise Pascal dans ses Pensées. Cependant, sans nier l’extraordinaire et exclusive faculté de penser de l’être humain, on constate que l’évolution du monde vers toujours plus de complexité fait que sa rationalité devient limitée. C’est la théorie qu’a développée Herbert Simon (1916-2001), économiste et sociologue américain titulaire du prix Turing (1975) et du Prix Nobel d’économie (1978). Selon lui, le monde est vaste et complexe tandis que le cerveau humain et sa capacité de traitement de l’information sont comparativement très limités. En conséquence, les prises de décision ne sont plus tant rationnelles qu’un constant effort pas toujours atteint vers la rationalité.

Le nouveau concept de rationalité limitée mis en évidence par Herbert Simon déclencha d’abondantes recherches sur les biais cognitifs, en particulier les travaux de Tversky et Kahneman, et sur les décisions absurdes. Dans cet article, pour lequel j’ai utilisé les sources (*) détaillées ci-dessous, j’aimerais en présenter une sélection, mélange de phénomènes fréquents et de curiosités à connaître. Il me semble utile, au quotidien comme dans la vie professionnelle, de prendre conscience des pièges dans lesquels notre raisonnement peut tomber et de pouvoir compter rapidement sur quelques garde-fous. Parmi ceux-ci, la présence à nos côtés d’un « avocat du diable »qui prend systématiquement le contrepied de tout ce qu’on dit est incroyablement irritante mais comporte l’énorme avantage de nous aider à prendre conscience de nos faiblesses argumentatives.

La loi des petits nombres :

Nous sommes intuitivement d’assez bons grammairiens. Dès l’âge de quatre ou cinq ans, nous nous plions sans problème aux principales règles de grammaire sans même les connaître. Par contre, nous sommes intuitivement de mauvais statisticiens. N’en soyons pas trop désolés, même les personnes dont c’est le domaine d’expertise se trompent (ainsi que l’a montré Kahneman suite à une petite expérience assez amusante avec des professeurs de mathématique spécialistes des statistiques).

La loi des petits nombres consiste à oublier que les petits échantillons présentent des résultats extrêmes plus souvent que les grands échantillons. C’est une mise en garde vis-à-vis des sondages : avant même de s’intéresser au message du sondage (« X serait réélu avec 60 % des voix au second tour devant Y ») il importe de vérifier la taille de l’échantillon et de s’intéresser aux informations de fiabilité du sondage, chose que notre cerveau tend trop facilement à oublier face au message principal.

Cette Loi des petits nombres vaut aussi dans le temps. Ce n’est pas parce qu’une crue est centennale qu’elle ne pourra pas se produire deux années de suite. Par contre, ces deux années de suite forment un trop petit échantillon pour qu’on puisse en déduire quoi que ce soit sur la périodicité de la crue.

L’effet d’ancrage :

L’exemple donné par Kahneman est particulièrement explicite. Il demanda à des étudiants de faire tourner une roue de la fortune qui s’arrêtait uniquement sur les chiffres 10 et 65, puis de noter les réponses. Ensuite il leur posa deux questions : Le pourcentage de pays d’Afrique aux Nations-Unies est-il supérieur ou inférieur aux chiffres que vous venez de noter ? Quel est selon vous le pourcentage de pays d’Afrique aux Nations-Unies ? On se doute que les étudiants auraient dû ignorer complètement les résultats de la roue de la fortune qui n’ont rigoureusement aucun rapport avec les pays membres de l’ONU. Et pourtant, ce ne fut pas le cas. Les estimations des étudiants étaient « ancrées » autour de 10 et 65.

Cet effet d’ancrage survient lorsque l’on considère une valeur particulière avant d’estimer une valeur inconnue. Exemple concret de la vie courante : une négociation immobilière. Que vous soyez acheteur ou vendeur, le mieux est d’annoncer un montant en premier. La partie adverse aura beaucoup de mal à déplacer la négociation de ce niveau pré-indiqué.

La régression vers la moyenne :

C’est l’histoire d’une série aléatoire de manoeuvres aériennes acrobatiques. L’instructeur a remarqué que lorsqu’il félicite un élève qui vient de faire une excellente performance, sa tentative suivante est ratée. Par contre, lorsqu’il souffle dans les bronches d’un élève qui a raté l’exercice, la manoeuvre suivante est bien meilleure. D’où il conclut qu’il ne faut pas féliciter mais réprimander.

En réalité, l’instructeur n’a pas tenu compte du caractère aléatoire des séries acrobatiques réalisées par les élèves, et il donne beaucoup trop de poids à ses interventions. Statistiquement, lorsqu’un élève rate lourdement un exercice, il a toutes les chances de le réussir mieux la fois suivante. De même, lorsque la manoeuvre est parfaitement exécutée, les chances de la reproduire à l’identique à l’essai suivant sont faibles. C’est ce qu’on appelle le retour à la moyenne. Le phénomène des récompenses n’a rien à voir avec ça. Cela veut dire notamment que le talent n’est jamais un élément explicatif unique. La chance entre aussi en compte.

Le phénomène de la régression vers la moyenne illustre particulièrement bien une des difficultés de notre cerveau : il tend à vouloir trouver des causalités partout alors qu’il n’y a souvent rien d’autre à considérer qu’un aléa statistique. Comme pour les blâmes et les récompenses de l’instructeur ci-dessus, nous sommes pris au piège d’une contingence malheureuse. C’est triste à penser, mais si l’on tend à se montrer aimable avec les gens quand ils nous sourient et au contraire à leur faire grise mine quand ils nous snobent, la régression vers la moyenne implique automatiquement que nous seront récompensés de notre attitude hostile et pénalisés pour notre gentillesse.

Le biais de la disponibilité en mémoire :

Il s’agit de la tendance à privilégier les évènements récents ou ceux qui nous viennent le plus facilement à l’esprit, puis de bâtir autour d’eux toute une histoire sans tenir compte d’événements plus anciens. Ce biais est renforcé lorsque l’évènement en question nous affecte émotionnellement. Nos gouvernements ne sont pas à l’abri de ce genre de biais, en tout cas ils l’utilisent volontiers pour faire passer des lois sous le coup de l’émotion des populations après un événement très perturbant.

Ah tiens, je pense tout à fait par hasard au projet de Loi Renseignement. C’est peut-être une explication possible de l’adhésion assez massive des Français à cette loi inutile et liberticide.

Le pont de la rivière Kwai :

Cette histoire de Pierre Boulle (également auteur du livre La Planète des Singes) portée au cinéma par David Lean avec l’inoubliable Alec Guinness dans le rôle du colonel Nicholson, est un exemple intéressant de décision absurde. On définit généralement cette dernière comme étant une action radicale et persistante contre le but qu’on veut atteindre. L’absurdité découle de la contradiction interne.

Le colonel anglais Nicholson, prisonnier en pleine jungle birmane avec ses soldats dans un camp japonais, résiste héroïquement aux traitements inhumains que le colonel japonais Saïto lui inflige afin de le faire céder à ses prétentions de faire travailler aussi les officiers prisonniers sur un projet de pont enjambant le rivière Kwai. C’est interdit par les conventions internationales et Nicholson ne compte pas s’y plier. Les hommes soutiennent leur colonel et le chantier n’avance pas. Saïto finit par renoncer à enrôler les officiers, tandis que Nicholson, fort de sa victoire et fier du génie militaire anglais face aux difficultés des ingénieurs japonais, soucieux également d’occuper ses soldats, se met à concevoir un pont et un plan de travaux qu’il propose à son homologue japonais. Le pont sera construit sous les directives éclairées de Nicholson au bénéfice de l’ennemi. Le colonel anglais a tellement perdu de vu son but initial – le devoir de tout prisonnier de causer le plus de problèmes possibles aux autorités du camp – il s’est tellement investi dans la construction du pont, qu’il ira jusqu’à s’interposer contre le commando allié chargé de le faire sauter, et y perdra la vie.

Vol British Midland Airways entre Londres et Belfast (1989) :

Quinze minutes après le décollage, le Boeing 737 qui assure chaque soir la liaison entre Londres et Belfast se met à vibrer bruyamment et de la fumée entre dans l’habitacle avec une forte odeur de brûlé. Les passagers assis à l’arrière de l’appareil voient nettement des flammes et des éclairs sortir du réacteur. Il s’agit du moteur numéro 1 situé à gauche. Dans le cockpit, les pilotes sentent l’odeur de brûlé et perçoivent les vibrations. Compte tenu du circuit d’air conditionné, le commandant fait intérieurement l’hypothèse que c’est le moteur numéro 2 situé à droite qui est atteint. Le copilote observe les instruments de navigation et à la question du commandant de savoir quel moteur est atteint il répond : « It’s the le…it’s the right one. » Le commandant ordonne immédiatement que le moteur 2 soit mis au ralenti. Les pilotes ont l’impression que les vibrations s’atténuent. Le commandant ordonne alors l’arrêt complet du moteur 2 situé à droite, alors que c’est le moteur numéro 1 situé à gauche qui est en train de rendre l’âme.

Devant la panique des passagers, le commandant de bord fait une annonce pour les informer que le réacteur de droite a été endommagé, ce qui a produit de la fumée, mais qu’il a été arrêté et qu’ils vont atterrir dans quelques minutes. Les passagers qui ont vu les étincelles à gauche sont stupéfaits et discutent entre eux, mais aucun n’ose porter cette contradiction à l’attention générale. Les pilotes s’apercevront de leur erreur et tenteront de remettre en marche le moteur 2, mais trop tard. L’avion s’écrase, faisant 47 morts et 84 blessés graves.

Cette affaire illustre non seulement une décision absurde, mais peut-être surtout l’attitude silencieuse des non-experts détenteurs d’informations vitales face à des experts en rupture de sens. On pourrait citer des histoires similaires en mer ou en montagne, dans lesquelles la notion du skipper ou du guide « seul maître après Dieu » est un facteur aggravant du risque. Actuellement, les compagnies de guides, aussi bien en Suisse ou en Italie qu’en France, commencent à adopter de nouvelles règles de prise de décision dans des situations graves. Il revient au guide de faire part de ses inquiétudes à sa cordée, mais les alpinistes sont tous invités à prendre la parole pour donner leur avis sur la poursuite de la course, l’attente ou le repli. L’information doit être partagée et la décision finale prise en commun. L’exemple du vol Londres Belfast montre bien que si le processus de décision avait prévu de stimuler la remontée d’information des passagers aux pilotes, l’accident aurait pu être évité. Dans le même ordre d’idée, certaines compagnies aériennes donnent maintenant le pilotage au moins expérimenté des pilotes afin que l’autre pilote, plus gradé, n’ait pas peur de lui faire des remarques.


Mais au fait, j’y pense, que dire du projet de Loi Renseignement qui vient d’entrer en examen à l’Assemblée nationale ? Les médias et les réseaux sociaux ont abondamment montré que si son objectif est bien de lutter contre le terrorisme en donnant des moyens de surveillance illimités aux services de renseignement, cette loi qui se veut fiable à 99 % est totalement inutile. Elle aboutit à faire surveiller tout le monde, à inquiéter 10 innocents pour 1000 habitants et à laisser filer les terroristes actifs qui n’auront aucun mal à passer sous les radars. La persistance du gouvernement et le soutien reçu d’un nombre non négligeable de députés de l’opposition relèvent-ils de biais cognitifs, de décisions absurdes ou de malignité volontaire ?


(*) Sources :

Christian Morel Les décisions absurdes, Editions Gallimard, 2002. Christian Morel est cadre dirigeant d’une grande entreprise et mène une réflexion sociologique sur la négociation et la décision.

Mintzberg, Ahlstrand, LampelStrategy Safari, chapter 6 : the cognitive school, Pearson Education, 1998, 2009. Henry Mintzberg (@Mintzberg141) est un chercheur canadien en management et théorie des organisations.

Daniel Kahneman Système 1 Système 2 Les deux vitesses de la pensée (Thinking, fast and slow), Flammarion, 2012. Daniel Kahneman a reçu le prix Nobel 2002 pour ses théories sur le jugement et la prise de décision.


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33 réactions à cet article    


  • Philippe VERGNES 25 avril 2015 14:11

    @ l’auteure,


    Merci pour cet article.

    Un petit rappel toujours utile pour dénoncer le culte Ô combien mensonger de la toute puissance de notre « rationalité ». (Tout du moins de celle des « puissants » qui nous dirigent... droit dans le mur.) Alors que chaque jour, des situations de la vie courante nous démontrent que la raison n’est que l’esclave des passions (« La raison est et ne doit qu’être l’esclave des passions ; elle ne peut jamais prétendre remplir un autre office que celui de les servir et de leur obéir », David HUME).

    Une remarque cependant. Vous écrivez, à propos du biais cognitif de la régression vers la moyenne, que :

    « Le phénomène de la régression vers la moyenne illustre particulièrement bien une des difficultés de notre cerveau : il tend à vouloir trouver des causalités partout alors qu’il n’y a souvent rien d’autre à considérer qu’un aléa statistique. Comme pour les blâmes et les récompenses de l’instructeur ci-dessus, nous sommes pris au piège d’une contingence malheureuse. C’est triste à penser, mais si l’on tend à se montrer aimable avec les gens quand ils nous sourient et au contraire à leur faire grise mine quand ils nous snobent, la régression vers la moyenne implique automatiquement que nous seront récompensés de notre attitude hostile et pénalisés pour notre gentillesse. » (C’est moi qui souligne)

    Est-ce une conclusion de l’un des auteurs que vous citez en bibliographie (auquel cas je n’aurais pas relevé ce détail en les lisant) ou bien est-ce le fruit de votre propre déduction concernant ce biais cognitif ?

    Quoiqu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre, l’exemple cité commet une confusion entre le registre cognitif et le registre affectif de notre personnalité. Le phénomène de régression vers la moyenne étant un biais cognitif, il est sans objet dans le fait de se montrer aimable ou non envers autrui.

    Cette attitude relève de l’affectivité propre à chaque individu et non pas de sa cognition. (Ici, entre plutôt en ligne de compte la règle de réciprocité indispensable au maintien du lien social, cf. Robert CIALDINI, Influence et manipulation.)

    • Nathalie MP Nathalie MP 25 avril 2015 14:25

      @Philippe VERGNES
      Bonjour et merci pour votre remarque.

      Ce qu’il faut comprendre, c’est que si quelqu’un se montre particulièrement désagréable avec nous, c’est aussi à considérer comme une « performance extrême ». La prochaine fois, il sera sans doute plus « à la moyenne » avec une attitude neutre par exemple. Donc si on a mal réagi à la première performance, on n’en sera pas forcément pénalisé. C’est une remarque de Kahneman.
      Bien à vous, Nathalie MP.

    • Philippe VERGNES 25 avril 2015 14:40

      @ Nathalie MP,


      OK et merci pour votre réponse. (Je dois relire Kahneman pour écrire la suite d’un article sur les biais cognitifs depuis déjà un moment, mais j’ai un tas de choses sur le « grill », cf. « Peut-on faire confiance à notre jugement ? La fiabilité des experts en cause ». Je prêterais beaucoup plus attention aux exemples qu’il développe dans son remarquable ouvrage Système 1 / Système 2 à conseiller au plus grand nombre et notamment à ceux qui « idolâtrent » un peu trop nos gouvernants et nos représentants.)
      Bien à vous également et bon week-end.

    • tf1Groupie 25 avril 2015 16:54

      Article intéressant mais je ne comprends pas pourquoi vous affirmez que la Loi Renseignement va laisser filer les terroristes actifs ; ceci sans aucune explication ?

      Faire une affirmation aussi expeditive et non étayée après un article aussi détaillé je trouve cela surprenant.


      • @tf1Groupie parce que les vrais terroristes (pas comme l’amateur de la semaine derniere qui s’est tiré une balle dans le pied au sens 1er du termeà utiisent deja le cryptage.


      • Nathalie MP Nathalie MP 27 avril 2015 10:31

        @Eleusis Bastiat - Le Parisien Libéral
        Bonjour ami parisien :) et merci de votre contribution au débat.


      • Nathalie MP Nathalie MP 25 avril 2015 17:12

        Vous avez raison, l’allusion à la loi renseignement n’est qu’un aparté par rapport au coeur de cet article. Ca correspond à des préoccupations que j’ai par ailleurs sur la protection des libertés individuelles. Je n’ai donc pas développé, mais il me semble qu’il y a des liens dans le texte. Je ne sais pas si ces liens fonctionnent dans Agoravox. De nombreux blogueurs ont traité le sujet.
        En deux mots, disons que les terroristes ont été les premiers à comprendre que soit ils devaient crypter leurs échanges informatiques soit ils devaient s’en passer. Les précédents, aux USA notamment, ont montré que le Patriot Act avait abouti à surveiller beaucoup de monde avec de très faibles résultats sur le terrorisme proprement dit.

        Merci pour votre message. 

        • alinea alinea 25 avril 2015 18:01

          je pense que l’homme sauvage n’aurait pas pensé à « 10 et 65 » ; c’est plutôt une éducation culpabilisatrice qui, quand on ne sait pas, nous fait dire n’importe quoi plutôt qu’afficher notre ignorance- supposer, en une seconde que cet exercice a un sens et que ce ne peut être que celui-là ! Donc plutôt une preuve d’intelligence domestiquée bien que d’obéissance à l’autorité. On peut être intelligent et soumis, enfin, je n’en suis pas sûre !
          Parce que je pense que l’intuition est beaucoup plus pertinente que la raison, en tout cas pour les problèmes de la vie, les décisions immédiates à prendre, je pense qu’elle est littéralement avalée ou pervertie par notre vie en société dite « élaborée ». Ceci est illustré par votre exemple de l’accident d’avion ; s’il n’y avait la crainte d’être déplacé, au moins quelqu’un aurait dit : tiens, c’est bizarre, pourquoi les flammes viennent-elles de la gauche ? Cognition, de son observation, intuition de la gravité du moment.
          Dans cet exemple tout est dit : le respect de l’autorité, la docilité jusqu’à la mort,etc. Il s’agit bien là d’un formatage, pas d’une donnée innée.
          On pourrait mettre une petite couche de psychologie sur votre exemple de rencontre ; si on sourit à quelqu’un qui nous grimace, il y a décalage, celui qui reçoit la grimace n’a pas envie de sourire, donc un dixième de seconde pour que le surmoi agisse, et ce dixième de seconde est un artifice reçu comme une gifle par l’autre ; il ne va pas nous sourire en retour puisqu’il reste dans son humeur, même accentuée par notre réaction. Et c’est bien normal, car la réaction qui me paraît naturelle, c’est l’étonnement.
          Pour finir, je doute qu’il n’y ait pas malignité volontaire dans cette loi !
          L’histoire du pont de la rivière Kwaï, c’est ce que font tous les travailleurs du monde entier, enfin ceux qui travaillent bien parce que là se situe leur dignité. C’est exactement sur ce principe que tient tout le capitalisme ; et c’est d’ailleurs une grande preuve de bêtise ( de la part des exploiteurs et contraire, à terme, à leurs intérêts, - je crois que c’est juste parce que celui qui gagne le profit ne connait rien au boulot de production !) que de casser cette nécessaire dignité, aujourd’hui !


          • Lisa SION 2 Lisa SION 2 25 avril 2015 23:36

            Excellent article qui nécessite de le lire à tête reposée. La loi renseignement consiste à payer quarante cinq fonctionnaires installés partout dans le monde pour surveiller les points GPS et lire ou traduire les conversations d’un seul présumé terroriste. C’est l’usine à gaz du système NOM. Comme par hasard, ils sont tous Sayanim...Merci NMP pour cet article et ces anecdotes finement épluchées.


            • Le p’tit Charles 26 avril 2015 08:28

              L’homme est un animal que certains (plus évolués..) tentent d’apprivoiser pour servir leurs intérêts...et ça fonctionne parfaitement.
              Depuis des millénaires il en est ainsi..seul change le degré de formation des peuples (de plus en plus décérébrés ou lobotomisés..) avec l’apport des machines (robots) qui remplace avantageusement l’humain avec un coût bien moindre et surtout sans réactions de rejets (manifestations..grèves..etc).
              Nous étions en symbiose avec la nature mais le temps passant nous sommes devenus des aides-robots stupides par la volonté du plus petit nombre... !


              • Francis, agnotologue JL 26 avril 2015 09:23

                Bonjour Nathalie MP,
                 
                vous avez fait un joli résumé de nos biais cognitifs les plus répandus.
                 
                Au sujet de la loi sur le renseignement, vous posez une bonne question : ’’La persistance du gouvernement et le soutien reçu d’un nombre non négligeable de députés de l’opposition relèvent-ils de biais cognitifs, de décisions absurdes ou de malignité volontaire ?’’
                 
                Je verrais les choses autrement, et j’en citerai pour preuve cette excellente remarque attribuée à Charles Benoist cité par Michel J. Cuny :
                 
                « ... l’analyse des idées, c’est de l’histoire ou de la philosophie : la politique ne s’occupe que de la synthèse des forces. Même pour les idées-forces - nous l’avons déjà dit, mais on ne saurait trop le redire - l’idée ne relève de la politique que du moment où elle est devenue une force ; et, si deux idées-forces tombent en contradiction en entrant en conflit, ce n’est ni la plus intéressante, ni même la plus juste, que la politique doit suivre : c’est la plus forte. »
                 
                Alors, peut-être que, pour répondre malgré tout positivement à votre question, j’avancerai ici l’idée que la politique c’est de la malignité volontaire.
                 
                On prête à Napoléon 1er cette citation : ’’en politique, une absurdité n’est pas un obstacle’’.


                • Nathalie MP Nathalie MP 26 avril 2015 09:51

                  @JL
                  Merci pour votre commentaire. J’aime beaucoup la citation qu’on prête à Napoléon Ier, qui s’y connaissait en rapport de force, c’est le moins qu’on puisse dire.
                  Ma question était en effet rhétorique. Mais j’aime bien la poser régulièrement ici ou là, car je constate à travers mes amis proches et moins proches que la plupart ne se rendent pas du tout compte de ce que cette loi représente. 
                  Ils pensent comme beaucoup que comme ils n’ont rien à se reprocher, on peut bien les écouter H24, ce n’est pas grave. Ce qu’ils ne voient pas, c’est que si un jour quelqu’un veut leur reprocher quelque chose, il trouvera.
                  Bon dimanche.


                • gogoRat gogoRat 26 avril 2015 10:55

                  @Nathalie MP
                   
                  Biais cognitif ou léger relâchement dans le raisonnement ? :
                  « cette loi qui se veut fiable à 99 % [...] . Elle aboutit à faire surveiller tout le monde »
                   
                   Là où l’on devrait d’abord craindre une partie des 1% de non-fiabilité c’est en considérant qu’il est fort peu probable que ceux qui surveillent puissent raisonnablement être surveillés eux-mêmes !
                   Dans ce cas ce n’est pas « tout le monde » qui est surveillé : l’absence collective de conscience active de ce fait confère une dangerosité potentielle accrue à ceux qui échappent à cette surveillance. 
                       
                               
                  ( J’avais déjà eu l’occasion de dénoncer une ’idée-reçue 0 qui consiste à croire que l’artifice de légitimation en vigueur dans un pays serait l’équivalent d’une loi divine, ou d’une justification absolue et intemporelle’ )


                • Francis, agnotologue JL 26 avril 2015 18:22

                  @Nathalie MP
                   
                  pour faire le lien entre idées forces (voir mon com précédent) et biais cognitifs (sujet de votre article), je dirai qu’en politique, une idée force est une idée qui rassemble, même et surtout si, ou plutôt quand elle s’appuie sur nos biais cognitifs.
                   
                  Pour illustrer ce propos, je citerai deux idées forces contradictoires : Les 35 heures du Ps et le Travailler plus pour gagner plus de Nicolas Sarkozy.


                • Nathalie MP Nathalie MP 27 avril 2015 10:23

                  @gogoRat
                  Oui, il y a les surveillés et les surveillants. Si c’est admissible dans une relation adulte/enfant ou maître/élève, ça devient difficilement supportable dans la configuration adulte/adulte. En principe, ceux qui nous gouvernent sont nos représentants, pas nos maîtres.


                • gogoRat gogoRat 26 avril 2015 09:55

                  « mais les alpinistes sont tous invités à prendre la parole pour donner leur avis »
                   
                   
                  C’est plutôt l’idée visée dans la piste de « cahiers de doléances » exposée sous ce lien .


                  • Jean Keim Jean Keim 26 avril 2015 10:07
                    Article intéressant, merci.
                    Quand on réfléchit sur le processus de la pensée on utilise pour cela la pensée ... On est forcément très limité.

                    • Nathalie MP Nathalie MP 26 avril 2015 10:12

                      @Jean Keim
                      Pas faux, mais on peut essayer de se voir penser mal ou bien et corriger le tir (mal ou bien au sens logique, pas moral)


                    • gogoRat gogoRat 26 avril 2015 10:12

                      voir, dans l’introduction d’un bouquin de Jean Fourastier  :

                      ’... l’homme moyen attend trop de la science des autres.’

                      • Nathalie MP Nathalie MP 26 avril 2015 10:59

                        Je n’ai pas répondu à tout mais je dois partir. Je reprendrai demain (vacances :) 


                        • L'enfoiré L’enfoiré 27 avril 2015 17:29

                          @Nathalie MP


                          Et moi je reprendrai la référence de votre billet dans le mien dimanche prochain  smiley

                        • Nathalie MP Nathalie MP 27 avril 2015 18:20

                          @L’enfoiré
                          Pas de problème ! Merci.


                        • L'enfoiré L’enfoiré 28 avril 2015 09:55

                          @Nathalie MP
                          Merci de me l’autoriser.

                          J’apporterai le lien ici-même dès sa parution.
                          Il y aura de la parodie dans l’air.... 

                        • L'enfoiré L’enfoiré 3 mai 2015 10:03

                          Bonjour Nathalie,


                           Comme prévu, le voici.
                           smiley

                        • Nathalie MP Nathalie MP 3 mai 2015 10:44

                          @L’enfoiré
                          Merci beaucoup, je vais lire. Bon dimanche.


                        • gaijin gaijin 26 avril 2015 17:52

                          la rationalité est une pure fiction ...........
                          les expériences actuelles tendent a démontrer que la décision est prise avant le passage par le rationnel ......


                          • L'enfoiré L’enfoiré 27 avril 2015 17:31

                            @gaijin,

                             C’est exact, mais c’est aussi la raison pour laquelle, beaucoup d’échecs prennent la relève.
                             

                          • pemile pemile 26 avril 2015 20:52

                            Le mythe de la surveillance de masse
                            Supposez que sur une population de 37 millions d’individus, on estime que 3 000 sont des terroristes potentiels (0,008%). Un système de détection fiable à 99% (ce qui serait miraculeux), ça signifie qu’il va identifier 2 970 de ces terroristes et en laisser filer 30 mais ça signifie aussi qu’il va accuser à tort 369 970 innocents. Pour éliminer ces faux positifs qui représente, mine de rien, plus de 99% des alertes de votre système, il va falloir diligenter pas moins de 372 940 enquêtes approfondies : autant vous dire que nous sommes très loin de pouvoir nous le permettre.


                            • Nathalie MP Nathalie MP 27 avril 2015 10:19

                              @pemile
                              Oui, j’ai donné dans mon texte le lien vers l’article du blog « ordre spontané » que vous citez. Ca ne marche pas, tout en générant une haine du régime, comme le signale Alain V dans un autre commentaire. Loin d’assurer la sécurité des citoyens, ça dégénère toujours dans le sens du durcissement des régimes.


                            • AlainV AlainV 26 avril 2015 22:49

                              L’impossibilité de la surveillance de masse a été illustrée en Allemagne de l’Est. Les assassinats de policiers se multipliaient depuis la fin des années 70. Rarement on trouvait les coupables. Le motif était connu : la haine du régime.


                              • AlainV AlainV 26 avril 2015 23:16

                                à Nathalie MP

                                Madame,
                                vous utilisez intelligemment des termes d’une science appelée ’psychologie’, science humaine et non science exacte, bien entendu.
                                Vous utilisez des expressions comme « sa rationalité devient limitée », « biais cognitif », aléa statistique". C’est le jargon de la science à laquelle vous vous référez. Et vous en avez le droit.
                                Alors, dans votre blog, ayez l’amabilité d’appliquer aux autres sciences, comme les sciences de l’éducation, ce que vous faites pour la psychologie. Les programmes scolaires sont destinés aux enseignants qui, formés dans leur métier, comprennent tout à fait les expressions relevées par un journaliste du Figaro qui a voulu se faire mousser et dont le rôle consisterait plutôt à expliquer pourquoi on parle de ’progression en spirale’ dans l’enseignement. C’est très simple à expliquer. Que ce journaliste participe ne serait-ce qu’une seule fois à des colloques internationaux d’enseignants-chercheurs aux Etats-Unis ou au Canada, en Chine ou au Japon et il verra que ce langage des sciences de l’éducation est désormais universel. Que ceux qui se gaussent des sciences des autres se rendent ridicules ne vous a pas effleuré l’esprit ?
                                A moins que vous pensiez comme Sarkozy que le métier d’enseignant soit le seul qui ne mérite pas de passer par une formation. Exception française peut-être ?
                                Et si l’on démontrait que le conservatisme pédagogique français est la cause première de l’échec en matière scolaire, tout autant que le manque d’encadrement dans les écoles de tous niveaux ...


                                • Nathalie MP Nathalie MP 27 avril 2015 10:06

                                  @AlainV
                                  Bonjour Monsieur, et merci de participer au débat.

                                  Je vois que vous avez lu mon article « Molière nous l’avait dit ». Comme vous l’avez remarqué, c’est un texte d’opinion, un pamphlet même. Je n’y ai donné aucune référence sauf l’article du Figaro qui me sert de point de départ et sauf les nouveaux programmes de la rentrée 2016 dont chacun pourra prendre connaissance.
                                  Je partage absolument votre idée que chaque science, exacte ou humaine, cherche à affiner ses concepts et que ce processus passe aussi par l’élaboration d’un vocabulaire propre, toujours plus précis, qui pourra passer pour rébarbatif et pédant aux yeux des profanes.
                                  Ce que je brocarde, c’est l’utilisation d’un langage pédant sans nécessité pour les besoins de la recherche : autant en maths une fonction affine est une fonction affine et il n’y a aucune autre façon de la nommer, autant en EPS l’espace aquatique profond standardisé fait rire.
                                  D’autre part, en tant que mère de 4 enfants passés par tous les stades de l’éducation, je peux vous assurer que dans certains cas, ce langage réservé en principe aux chercheurs et aux professeurs transparaît nettement à l’échelon des consignes reçues par les l’élèves. Je pense en particulier au Français.
                                  Et puisque j’en parle, permettez-moi une dernière remarque : en Français, pourquoi tant « d’énoncés ancrés » et si peu d’éveil à toute la beauté de nos textes ? 
                                  Bien à vous, Nathalie MP

                                • Luce Luce 28 avril 2015 07:56

                                  Ah oui, pour la loi de renseignement, je dis que ce sont les bureaucrates non-philosophiquement instruits qui confondent le fait de se focaliser à aiguiser les techniques d’investigation et d’analyse avec le rafle ou razzia sur les libertés individuelles.

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