La BNP, partenaire des inégalités sociales ?
La chargée clientèle de la banque, attentive et souriante, lui explique que vraiment, 7 000 euros, ce n’est pas un problème. Les parents de Mathieu se sont naturellement proposés comme caution. Avec deux salaires pour un montant total de 3 200 euros mensuel, le dossier ne présente apparemment aucune difficulté majeure. Mathieu repart de son rendez-vous confiant. Mais voilà, les choses ne se passent pas comme prévues. Première alerte : Le découvert de 700 euros, qui court depuis plusieurs semaines ! Mathieu n’est pas solvable, sa carte bancaire va être bloquée et il faut d’abord couvrir ce découvert avant d’espérer pouvoir débloquer les fonds du prêt étudiant… Mais c’est justement ce prêt qui doit venir combler ce découvert explique Mathieu. Les discussions s’enlisent jusqu’à ce qu’enfin, par un miracle (de Noël), le dossier se débloque.
Mais le chemin vers les 7 000 euros est encore semé d’embûches. Deux rejets bancaires sur le compte des parents de Mathieu, de l’ordre de 340 euros pendant l’été, ont été signalés à l’aimable chargée de clientèle de la BNP, somme à l’époque immédiatement comblée par un chèque. Un défaut de trésorerie exceptionnel, rien que du banal en sorte, qui a pour conséquence d’interdire aux parents de l’étudiant de se porter garants. Principes de bonne gestion, murmure en souriant la chargée de clientèle décidemment très sympathique. Résultats des courses : la demande de prêt est refusée. Retour la case départ. Le découvert de 700 euros est devenu 1 000 euros, et, pour ne rien arranger, une facture de téléphone portable rejetée. Merci la BNP, et joyeux noël !
Ceux qui hier encore nous bassinaient sur les vertus du système libéral et de la concurrence font aujourd’hui la manche devant l’Etat pour sauver leurs entreprises de faillites où leurs stratégies hasardeuses risquent tout droit de les conduire. Et dans le même temps, sans doute pour rétablir les fameux fondamentaux économiques foudroyés par Madoff et consorts, de serrer la vis à leurs clients dispendieux. C’est, semble-t-il, la spécialité de l’année de nos banquiers que d’appliquer de la main gauche un keynésianisme bon chic bon genre pour se sauver de la banqueroute, et de la main droite un système libéral des plus serré aux petites entreprises et aux particuliers. Mathieu fait les frais de cette idéologie à géométrie variable. Insolvable ?
Alors pas de prêt. C’est la loi du marché. Après tout, aujourd’hui, pourquoi se lancer dans des études longues sans disposer de garanties financières suffisantes ?
Cet écart se creuse avec le master et, plus encore, avec le doctorat[1]. Et les élites, politiques et économiques, laissent faire, trop heureuses de pouvoir perpétuer ce système endogamique qui les protège. La BNP, dans les multiples freins qu’elle oppose à la souscription d’un prêt étudiant, participe à ces mécanismes qui veulent que les enfants de pauvres restent pauvres, et que ceux des riches, eux… deviennent plus riches encore.
Les mesures prises en faveur d’une plus grande mixité sociale sont trop éparses pour espérer être efficaces à grande échelle. Les initiatives privées, comme la constitution des fondations d’école, l’accompagnement jusqu’au concours de lycéens par certains Instituts d’Etudes Politiques ou encore le travail associatif sur le terrain sont loin de constituer une vraie politique publique cohérente et efficace en faveur de l’égalité des chances.
A voir les mesures prises aujourd’hui on peut même s’interroger sur l’existence, ou non, d’une réelle volonté du gouvernement de lutter contre les inégalités. A la loi sur l’autonomisation des universités de juillet 2007, qui risque de voir se constituer des universités d’élite menée sur le modèle des campus anglo-saxons centrés sur les étudiants les meilleurs, s’ajoute la fermeture programmée de filières « non rentables » (A bien y réfléchir, à quoi bon étudier le latin ?), les réductions d’effectifs dans le secondaire, la privatisation toujours plus grande d’une partie des enseignements via le développement des sociétés de soutien et de perfectionnement scolaire, etc, etc, etc. In fine, et malgré quelques initiatives privées, tout renforce la mise en place d’un système éducatif dont l’objectif premier sera de conduire dans des filières courtes et professionnalisantes des enfants issus de milieux défavorisés (Oui après tout, pourquoi les forcer à faire des études alors qu’ils ne le « veulent » pas ?), tout en assurant aux enfants favorisés la possibilité de développer la rente culturelle et financière permise par leur milieu d’origine. Les financements des études sont symptomatiques de ce mouvement entamé depuis les années 80.
Les difficultés que rencontre Mathieu pour la souscription d’un prêt étudiant sont déjà profondément intégrées par l’ensemble des enfants d’origine modeste qui, pour éviter la honte du refus d’un banquier et l’épuisement des multiples efforts à fournir pour ne serait-ce que survivre, vont « naturellement » vers d’autres filières, plus courtes et, évidemment, plus adaptées. Mais heureusement, ils peuvent se dire que pour compenser leurs futurs salaires trop bas, ils pourront souscrire, sans aucune difficultés cette fois, aux prêts à la consommation de la BNP Paribas et autres banques forcément citoyennes…
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