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Accueil du site > Tribune Libre > La démocratie française est devenue quantique

La démocratie française est devenue quantique

La chasse aux voix centristes est ouverte. Les deux candidats cherchent avec imagination comment amadouer ces nouveaux extra-terrestres dont le soutien serait décisif. Mais François Bayrou aurait-il intérêt à choisir un camp qui, de toute façon, ne serait pas le sien, puisqu’il a rejeté depuis cinq ans toute bipolarité ?

« L’été dernier, Bayrou m’a demandé de me présenter à la présidentielle, mais j’ai refusé car je ne voulais pas diviser la gauche... » a lancé Bernard Tapie, ex-ministre de gauche et soutien de Sarkozy, lors de la soirée électorale du 22 avril 2007 sur France 2, pour après se reprendre en disant qu’il s’agissait en fait de Baylet, le président du parti radical de gauche ! Une phrase auparavant, Tapie disait avec le même aplomb : « J’ai voté pour Ségolène Royal... heu... pour Sarkozy ». Tapie a expliqué ces lapsus par l’excès de vin qu’il venait d’ingurgiter...

En dehors de cette anecdote (qui, au demeurant, laisse des doutes sur la capacité de la télévision française à choisir ses invités), Bayrou est donc sur toutes les bouches pour la tentative de récupération des voix centristes pour le second tour.

Et pourtant, s’il y a un élément qui est insupportable, c’est le principe des consignes de vote. Éventuellement, on peut comprendre que des militants encartés de tels ou tels partis puissent avoir des consignes afin de rendre cohérente leur ligne politique.

Mais les électeurs sont loin d’être des encartés. Pour François Bayrou, il y a près de sept millions d’électeurs pour environ cinquante mille adhérents de l’UDF. Aucun candidat n’est propriétaire de ses électeurs.

Par conséquent, demander des consignes de vote, c’est avoir une piètre idée de la démocratie et de la liberté des électeurs.

Cela est sur le principe général.

Concernant le cas des électeurs de Bayrou, il est encore plus éloquent. Les sondages laissent entendre une très large dispersion des voix pour le second tour entre Sarkozy, Royal et le vote blanc ou l’abstention.

Ce n’est donc pas de l’intérêt du candidat centriste de donner une consigne de vote qui, forcément, mécontenterait entre un quart et une moitié de son électorat. Il pourrait à la rigueur indiquer quel est son vote « à titre personnel », une sémantique très chiraquienne de 1981 qui avait fait élire Mitterrand, mais en aucun cas imposer un point de vue unilatéral.

Et pourquoi ?

Parce que le discours de Bayrou tout au long de sa campagne a été de refuser ce système bipolaire entre l’UMP et le PS. Que ces deux grands partis ne représentaient plus les enjeux actuels puisque les clivages internes sont nombreux, sur la construction européenne, sur l’économie de marché, sur la protection sociale, sur la réforme des institutions etc. Ces archaïsmes, nettement plus marqués d’ailleurs au PS qu’à l’UMP, plus pragmatique et aussi plus obéissant, sont mauvais pour le redressement national.

On se retrouve maintenant à faire de la physique quantique. Jusqu’à 2007, la mécanique était déterministe (Newton et Maxwell avaient posé tranquillement leurs équations et on pouvait calculer le lieu exact à une date donnée de chaque objet).

La révolution scientifique du début du XXe siècle a bouleversé l’ordre établi en y mettant le principe d’incertitude (ou plutôt d’indétermination) de Heisenberg qui dit qu’il est impossible de mesurer précisément la position et la vitesse d’une particule car l’observation influence la réalité (en envoyant de la lumière, on casse la réalité, le photon se conduisant avec les particules observées comme une boule de billard).

Avec l’irruption de Bayrou et de son discours original, plus rien n’est simple. Partisan d’un gouvernement central, avec des personnalités du centre, de droite et de gauche réunies sur un programme de valeurs très claires, le candidat ne peut pas décider de lever le principe d’indétermination en penchant vers un côté.

Au nom de quel principe Bayrou devrait-il faire alliance avec les vieux archaïsmes du Parti socialiste ? Avec une éventuelle majorité qui rassemblerait Besancenot, Buffet, Laguiller, Bové ?

Au nom de quel principe Bayrou devrait-il également rejoindre Sarkozy et son armée monolithique qui ont toujours ironisé sur l’idée du centre et ont toujours cherché à le détruire ?

En ne prenant pas position, en demandant juste à aller voter pour rester civique, Bayrou resterait cohérent avec son discours. Et cette cohérence, il en a besoin, car il songe déjà à l’élection présidentielle de 2012. S’il décevait son électorat, il le perdrait aussi vite qu’il l’avait acquis.

Les sirènes sont pourtant nombreuses pour les candidats UDF aux législatives qui devront malgré tout subir un scrutin majoritaire qui renforce la bipolarisation. Et la présence d’un groupe UDF à l’Assemblée nationale est vitale à la continuation de la démarche de Bayrou.

François Fillon a déjà lancé la menace législative en cas de non ralliement à Sarkozy. De son côté, le PS n’a lancé aucun signe tangible de véritable alliance électorale négociée dans la sincérité d’une reconversion.

Comme l’électron décrit par la mécanique quantique dans son orbitale, Bayrou ne doit être ni à droite, ni à gauche, mais au centre, c’est-à-dire des deux côtes à la fois, et pour cette raison, le moindre ralliement vers l’un ou vers l’autre viderait complètement l’idée générale de rénovation de la vie politique que François Bayrou et ses amis essaient d’exprimer depuis déjà cinq ans.

Mais cette position est-elle tenable quand on est un important responsable politique ?


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7 réactions à cet article    


  • Philippe VIGNEAU 24 avril 2007 11:52

    tiens c’est marrant cet article ! : j’etais en train d’ecrire un papier s’intitulant « analyse quantique des resultats de la presidentielle »... en effet je trouve vraiment que la population francaise est dans des etats superposes et parfois contradictoires : volonte tres forte et policiere de securite avec une volonte d’anonymat sur internet et de moins de controle, volonte aussi forte de justice sociale, volonte tres forte de changement (et pourtant on prend les memes et on recommence), volonte tres forte de securite professionnelle et pourtant volonte de liberer le marche du travail...

    finallement je crois que l’homme est un animal quantique !

    (pour plus de renseignement voir l’article du chat de Schrödinger sur wikipedia)


    • Jean-Philippe Immarigeon Jean-Philippe Immarigeon 24 avril 2007 18:22

      L’analogie entre une urne et la boite de Schrödinger ne vous a-t-elle jamais frappée ? N’est-ce pas le vote qui se trouve par définition dans un état de superposition que l’on ne réduit qu’en ouvrant l’urne et en dépouillant ? N’est-ce pas d’ailleurs un peu ainsi que Jean-Jacques la définissait (ou plus récemment Claude Lefort en parlant de "lieu d’incertitude) puisque la volonté générale ne peut, n’en déplaise aux libéraux, jamais être dite avant que la voix de majorité ne soit comptée ?

      Ainsi, il existe une volonté générale, mais elle n’est pas conceptualisable a priori (les lois naturelles, les lois économiques, etc..., tout ce dont Rousseau disait qu’une fois définies, on n’en est pas plus avancé pour savoir ce qu’est une loi politique), elle est tout entière contenue dans l’urne et dans cette urne, le vote est de droite comme de gauche en même temps comme le chat est vivant ou mort, jusqu’à ce que l’on ait ouvert l’urne comme on ouvre la boite pour « découvrir » dans quel état est le chat ?

      Que découvre-t-on alors, et c’était le cas pour le référendum de 2005 ? Que la France est la dernière nation à comprendre que la démocratie est et ne peut être qu’une incertitude. Va-t-on avoir une suprise au second tour, et qui dit que le ou la présidente aura d’ailleurs sa majorité parlementaire un mois plus tard ?


    • Jean-Marie Déant Jean-Marie Déant 24 avril 2007 12:03

      Un grand merci à François Bayrou et à son courage soutenu par cette volonté d’indépendance que j’affectionne particulièrement. Merci de nous avoir fait entrevoir qu’il était possible de faire de la politique autrement, et finalement, de rendre ses lettres de noblesse à cette démarche citoyenne. Réconcilier nos compatriotes avec la politique, ce n’est pas rien et cette réussite ne peut que renforcer notre fragile démocratie. Un vent nouveau souffle désormais sur le plan d’eau national, dans la première régate, FB est arrivé troisième mais nul doute que la brise favorable qui le porte désormais, pour peu qu’il continue à bien régler son plan de voilure et à barrer finement comme il sait le faire, devrait lui permettre de remporter de belles victoires. Notre espoir est là bien ancré au milieu de ce jeune équipage qui a su trouver une nouvelle route pour l’avenir. Surtout François gardez bien votre cap et ne vous laissez pas déventer à babord comme à tribord. Bon vent !


      • jack mandon jack mandon 24 avril 2007 13:29

        La France qui s’étripe et invective, en mal d’amour !

        Celle ci demande à la France paisible et centrée, qui ne demande qu’a vivre en bonne intelligence,

        de lui accorder la permission de continuer à nous gonfler, a nous fatiguer avec ses discours creux et ses ambitions égocentriques et franchouillardes,

        à nous ridiculiser auprès de nos frères et amis européens avec lesquels nous avons de si beaux projets a développer.

        Pourquoi faut il presque toujours se plier aux caprices des enfants qui ne veulent pas comprendre que nous n’avons pas que des droits mais aussi des devoirs.

        Que faut il attendre des promesses gratuites à fonds perdus et de cet insupportable goût du pouvoir.

        La situation est pour moi cornélienne !


        • Dedalus Dedalus 24 avril 2007 13:41

          Quand Sarkozy parle d’ouverture... d’esprit

          Ce lundi soir, lors de son premier meeting de second tour, Nicolas Sarkozy, la main sur le coeur, a fait la déclaration suivante : « L’ouverture dont je veux être le candidat c’est l’ouverture de l’esprit (...). L’ouverture d’esprit, c’est être capable de prendre en considération les raisons de l’autre (...) et de le respecter même quand on pense qu’il a tort (...). Nul besoin d’être d’accord sur tout pour que chacun puisse travailler avec les autres pour le bien commun. » C’est très bien dit. C’est d’ailleurs tout le problème avec Nicolas Sarkozy, il est capable de très bien dire à peu près tout et le contraire de tout.

          Il a dit également : « Nous ce que nous voulons (...) c’est simple - en tout cas à dire. On veut essayer de redresser ce pays. On veut essayer de bien faire. Et on sait que pour cela, il faudra élargir la majorité, avoir la main tendue, l’esprit de rassemblement et ne pas agir avec sectarisme. » Là encore, c’est très bien dit. Il y a dans ces paroles tout à la fois la volonté d’agir, une ambition pour le pays, une humilité face à la tâche qu’on ambitionne d’accomplir et un esprit de tolérance et de rassemblement des français. On a envie de le croire. Et s’il disait vrai ? Et s’il était réellement sincère, et pas juste ce démagogue redoutable qu’on se plaît tant à décrire ?

          Mais voilà, ces paroles ont été prononcées par Nicolas Sarkozy... le 21 mars 1993 ! (la vidéo est visible ici). C’était sur France 2, au soir d’élections législatives où les amis de M. Sarkozy venaient de triompher. Quelques jour plus tard, Edouard Balladur était nommé premier ministre et nommait lui-même un de ses plus proches collaborateurs comme ministre du Budget et porte-parole du gouvernement, Nicolas Sarkozy. On se souvient alors ce qu’il advint de toutes ces belles paroles qui avaient prôné le rassemblement et l’absence de sectarisme. La seule chose dont on peut créditer Nicolas Sarkozy est qu’il avait pris la sage précaution de préciser que c’était simple... en tout cas à dire.

          François Bayrou ne s’y trompe plus, sans doute pour avoir pratiquer Nicolas Sarkozy dans ce même gouvernement, décrivant ce dernier comme un renard qui se couvre de plumes dans le seul but de pouvoir entrer dans le poulailler : (video) http://sarkononmerci.fr/files/sarkozy%20et%20le%20poulailler%20republicain.html

          Les poules que le renard Sarkozy ambitionne de dévorer, ce sont les électeurs qui s’y laisseront prendre une fois encore - et il est indéniable que les plumes dont se pare Nicolas Sarkozy sont attrayantes, et séduisants les discours qu’il prononce. Il reste qu’il est le candidat de l’UMP, que son projet - il suffit de le lire pour s’en persuader - est dans l’exacte continuité de la politique menée par l’UMP depuis cinq ans - rappelons d’ailleurs, tout de même, que M. Sarkozy était membre du gouvernement (à l’Intérieur, mais aussi aux Finances), ainsi que plusieurs de ses proches, de même que l’UMP sarkoziste détenait la majorité absolue aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat. Pour se convaincre de la réalité de la continuité que déguise Sarkozy aux français, on pourra lire avec intérêt ce court article : la rupture selon Sarkozy.

          Depuis cet article, deux mois de campagne électorale se sont écoulés et l’on peut ajouter aujourd’hui que si rupture il y a, elle ne concerne en aucun cas la politique économique et sociale qu’il entend mener - et qui a conduit la France dans les pires difficultés économiques de son histoire moderne, tout en plongeant de plus en plus de français dans la précarité et l’exclusion. Si rupture il y a, elle concerne en réalité les questions de société et le positionnement idéologique : au travers de Nicolas Sarkozy, l’UMP a fait sa mue vers ce qu’il nomme « la droite décomplexée » et qui est en réalité une droite qui ne craint plus, en effet, de frayer avec l’extrême droite nationaliste, qui amalgame immigration et identité nationale, qui laisse libre court aux fantasmes du musulman qui excise à tout va et égorge des moutons dans sa baignoire, qui se satisfait d’une conception communautariste de la République, qui exprime un penchant certain vers le déterminisme génétique, qui considère que la répression est le seul traitement envisageable de la délinquance, etc...

          Or j’ai la faiblesse de penser que ce sont là autant de ruptures avec le modèle républicain auxquelles une immense majorité des électeurs, y compris de la droite et du centre, n’est pas disposé à consentir, des poils de renard qui doivent impérativement demeurer à l’extérieur du poulailler républicain. Mais François Bayrou dit-il autre chose lorsqu’il déclare :

          « Son projet de société est l’opposé du mien. » ( 8 avril 2007, JDD)

          « Nicolas Sarkozy incarne une société violente qui oppose les citoyens les uns aux autres. Une société d’autant plus violente qu’il en vient à penser que c’est à la naissance que tout est joué, thèse totalement anti-scientifique et anti-humaniste. En disant cela, Sarkozy remet en cause les valeurs communes autour desquelles a été construite la société française. » (8 avril 2007, JDD)

          « Constamment chez Nicolas Sarkozy il y a cette manière d’opposer deux France », « Electoralement je ne peux pas lui donner tort. On sait très bien qu’il y a beaucoup de points à gagner dès l’instant où on se met à dresser les gens les uns contre les autres. Ca flambe, c’est un aliment électoral très important mais ce n’est pas mon choix. » (Agen 6 avril 2007)

          « Une seule polémique me paraît très grave, car elle touche aux fondamentaux de notre société : c’est celle que Sarkozy agite en prétendant que tout est joué à la naissance, la perversité comme le suicide. C’est une vision du monde qui fait peur. Le pire, c’est qu’il le pense vraiment. » et « Ce sont des propos graves et glaçants. » (avril 2007)

          « Ce qui me frappe, c’est la ressemblance de ses projets avec ceux de José Maria Aznar ou de Berlusconi. » (août 2006)

          « Je vais lui faire une confidence : c’est plus formateur (...) de savoir comme il est difficile d’assumer les fins de mois, (...) de rencontrer en sortant de chez soi autre chose que les milliardaires du CAC 40 et les vedettes du showbiz. » (Zénith 21 mars 2007)

          Il y a chez Sarkozy « une grande connivence avec les puissances d’argent (...) et la mise en scène de confrontations dures dans la société. » (août 2006)

          « Lorsqu’il s’agit de faire dériver le camp républicain vers des mots, des phrases, des affirmations, des comportements qui sont en réalité ceux de l’extrême droite, là je trouve qu’il y a une chose inquiétante pour la démocratie française. » (16 avril 2007)

          « Il y a des choses que l’histoire devrait nous interdire de remettre sur la table, comme de mélanger l’immigration et l’identité nationale. » (5 mars 2007, Nouvel Obs)

          « Que l’homme qui a été ministre de l’Intérieur pendant cinq ans ait tout le mal du monde à se rendre en banlieue, même à la Croix- Rousse ! (...) prouve bien qu’on est dans une situation d’extrême tension. » (Métro 12 avril 2007)

          « On ne peut pas assurer l’ordre et la sécurité en faisant monter les tensions. »

          http://sarkononmerci.fr


          • prgrokrouk 25 avril 2007 16:39

            Pffffhh ! trop long !!! smiley Pénible, va !


          • fjr 24 avril 2007 14:30

            Pour continuer à filer la métaphore quantique, il me semble que, comme les photons, les sondages qui ont pour objectif de photographier l’état de l’opinion ont pour effet réel de le modifier.

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