La Finlande, une dictature démocratique ?
La gestion calamiteuse d'un cas de harcèlement au travail et de violation du Code Européen pour l'Intégrité de la Recheche par l'Université de Finlande Orientale révèle l'existence d'un mille-feuilles népotique et d'une gouvernance post-démocratique à l'échelle nationale. La décadence de l'Université démocratique, base de la formation citoyenne, est un danger pour la cohésion sociale.
Avez vous déjà entendu parler d’un vent de révolte des elfes du père Noël contre le management autoritaire et népotique de leur direction ? Non. Et pourtant, certains lutins profitent d’avantages certains alors que les autres font le boulot. Mais non, pas de contestation. Et pour une raison simple : en Finlande, on ne conteste pas les décisions (arbitraires) émanant des couches hiérarchiques supérieures, sous risque de représailles sérieuses, potentiellement à l’échelle nationale.
J’ai fait le dur apprentissage de cette règle, devenue presque implicite tant elle est solidement ancrée dans les mœurs.
Au début, il y a un comportement hostile et harceleur de ma supérieure directe (« N+1 ») envers moi (2022-2023). L’hostilité a culminé à l’été 2023 par la dissimulation d’un financement obtenu pour l’un de mes projets de recherche scientifique (je suis l’équivalent d’un Maître de Conférences à l’université de Finlande orientale - University of Eastern Finland, UEF), suivi par la destruction de ce projet, la falsification d’un cahier de laboratoire et une tentative de l’exporter vers le groupe de recherche de son collaborateur principal dans une autre université. Tout ceci est bien entendu contraire au Code de Conduite Européen pour l’Intégrité de la Recherche, vous en conviendrez. Au pire, vous conviendrez que c’est pas très respectueux des collègues, et aurait mérité une certaine forme de sanction adaptée, d’autant plus que ma N+1 est coutumière des entraves à l’intégrité scientifique (ce que j’ai appris par la suite).
Donc au début, il y a une professeure jalouse et ambitieuse qui essaie de piquer un projet à son subordonné direct. Bien que ce type de comportement soit intéressant a étudier en soi, tant il commence à se répandre dangereusement dans le milieu académique, ce n’est pas le sujet de ce billet.
Le sujet, c’est que suite à ces agressions répétées de ma N+1 j’ai eu le malheur de tirer les fils révélant une gouvernance post-démocratique à l’échelle nationale. Un malheur pour ma carrière, mais une chance pour vous, lecteurs : je peux témoigner que la Finlande, sous de nombreux aspects, fonctionne comme une « soft dictature » (ou dictature démocratique). Je suis enseignant-chercheur, et donc la majorité des exemples concrets dont je dispose sont liés au secteur académique, cependant mon « affaire » a débordé plus largement au niveau du gouvernement, des Médiateurs du gouvernement, de l’inspection du travail, de la police, des institutions de contrôle de l’intégrité scientifique...etc.
Une dictature démocratique se caractérise essentiellement par la présence de déséquilibres de pouvoir, une réduction de la liberté de parole des citoyens et de la presse, une augmentation de la censure, l’attribution de postes clés en fonction de la loyauté plutôt qu’au mérite (népotisme), une restriction de l’opposition politique, un manque de transparence et d’ouverture, l’absence de responsabilisation des responsables politiques, la manipulation des institutions de contrôle et des sociétés civiles qui sont largement co-optées, l’utilisation d’une rhétorique nationaliste pour justifier des mesures autoritaires (« vous êtes un danger pour le groupe donc on vous crucifie ») et une application sélective de la loi.
Aussi invraisemblable que cela semble, du fait de l’image polissée des pays du Nord, j’ai fait l’expérience de toutes ces caractéristiques au sein de la tranquille Finlande, et recueilli des témoignages d’autres personnes ayant vécu des choses similaires. J’ai été sanctionné par l’UEF pour avoir exprimé mes opinions, et en particulier pour avoir exprimé mon désaccord face aux décisions de la direction de l’UEF qui ont blanchi ma N+1 malgré les preuves accablantes que j’ai pu fournir contre elle. J’ai été censuré par des collègues à la solde de la direction, diffamé par la direction qui véhicule la rumeur non fondée que je fais peur au personnel, systématiquement entravé dans mon travail puis, au final, licencié pour des motifs vaseux (dont certains ont été trouvés après le licenciement). Dès la notification de licenciement, sans respect d’un quelconque préavis, mes accès à mes salles de travail ont été coupés et des collègues à la solde de la direction me suivaient dans les couloirs pour monitorer mes actions. Mon compte de messagerie professionnel a été rouvert après mon départ de l’université, en violation manifeste des règles RGDP pour la protection des données privées. Et ce n’est que le sommet de l’iceberg, l’UEF m’a pourri la vie pendant 18 mois après que j’aie révélé le comportement de ma N+1.
L’instruction a été donnée à mes collègues de ne plus me parler librement après l’annonce de mon licenciement, ce qui a compliqué la transmission de mes projets de recherche à d’autres et la recherche de solutions pour mes étudiants et membres de mon groupe de recherche. Lorsque j’ai trouvé une solution à l’université de Tampere (TAU) auprès de collaborateurs enthousiastes à l’idée de reprendre un de mes projets de recherche, la direction de leur Faculté s’est opposée sans raison valable à la transmission dudit projet, poussant mes collaborateurs à faire demi-tour sous peine de représailles. Je note ici que le Doyen de la Faculté de Médecine de TAU et moi n’avons jamais eu aucun contact auparavant, et que mon projet s’aligne sur une des priorités de recherche de sa Faculté. Sur quoi a t’il bien pu baser sa décision ? Des ragots diffamatoires, sans l’ombre d’un doute.
Lors de mon dernier jour de travail, la plupart de mes collègues avec qui j’avais de très bonnes relations de travail ne savaient pas s’ils avaient le droit de me dire au revoir ou pas. L’UEF utilise une rhétorique diffamatoire à mon égard, comme quoi je suis une menace pour le groupe, quelqu’un dont les gens ont peur, ce qui est d’une part faux et d’autre part fondé sur aucune menace concrète de ma part. Mon N+3 , directeur du département de Médecine à l’UEF, m’a même affirmé au cours d’un meeting (sic) : « Pour la recherche et l’éducation, vous êtes très qualifié. Mais quand viendra la question du renouvellement de votre contrat, je ne signerai pas le renouvellement, car nous cherchons des gens pour ce groupe, pour cette société. ». Et ce, malgré toutes mes contributions à la vie sociale du département pendant les 2,5 premières années de mon contrat à l’UEF. Cette rhétorique, qui s’apparente aux rhétoriques de propagande nationaliste du type « nous punissons cette catégorie de la population car ils sont une menace à l’unité nationale », est relayée par les managers intermédiaires qui me connaissent personnellement, dont par exemple ma N+2 qui m’avait même invité à danser au dernier repas de Noël : ridicule. Et flippant.
Au delà de l’attitude hostile et illégale de ma direction, ce qui m’a frappé le plus c’est la peur, l’obéissance et la résignation de tous les témoins : ils sont habitués, « c’est comme ça que ça se passe ». Une jeune chercheuse qui a travaillé presque 10 ans avec ma N+1 m’a même confié (sic) « les inconduites scientifiques de [ma N+1] sont connues dans toutes la Finlande, pourquoi tu fais tout ce bazar ? ». Il faut donc subir, et se taire. Mes collègues de l’UEF voient leur liberté de parler à qui ils veulent bafouée par les instructions de la direction. Mes collaborateurs à Tampere ont vu leur liberté académique (liberté de choisir leurs sujets de recherche et leur collaborateurs) bafouée, mais préfèrent marcher au pas pour éviter de froisser leur direction. Les syndicats sont impuissants à intervenir dans des situations impliquant le niveau Facultaire ou Rectoral, de l’aveu même du représentant syndical le plus expérimenté à qui j’ai pu parler. J’ai parlé à de nombreux journalistes, très intéressés par mon histoire, dont l’enthousiasme à publier a soudainement disparu lorsqu’ils en ont parlé à leur rédaction : s’attaquer aux universités « fait peur ». Mais pourquoi quelqu’un s’insurgerait, lorsqu’en bout de ligne il/elle prendrait le risque d’être, tout comme moi, viré, diffamé et blacklisté à l’échelle nationale dans sa branche professionnelle ?
Il y a environ 10 ans, l’Université d’Helsinki (UH) a licencié plusieurs centaines de personnes, officiellement pour raisons économiques mais le choix des personnes à licencier a été laissé aux responsables d’Unités et de Département, menant à de nombreux licenciements pour des raisons personnelles, telles que des désaccords avec des opinions scientifiques de la direction, ou des opinions sur l’enseignement. Dans plusieurs procès qui ont suivi ces licenciements massifs, des juges très proches de l’UH ont été nommés ; dans mon affaire de violation d’intégrité scientifique, c’est un collaborateur de plus de 10 ans de ma N+2 qui a été choisi pour mener l’investigation, menant évidemment à un rapport d’enquête bidon qui ne présentait aucune trace d’investigation autre que la déclaration écrite de ma N+1. Cette dernière contenait nombre de mensonges, que j’ai rapidement révélées, multiples preuves indiscutables à l’appui. J’ai perdu mon temps, les procédures de défense des droits en Finlande sont vidées de toute substance. Certains licenciés de l’UH avaient un dossier suffisamment fourni pour amener l’affaire au niveau de la Cour Européenne, voire la cour des droits de l’Homme. Ils n’ont pas souhaité le faire, pour ne pas entacher l’image du pays à l’International, s’autocensurant. Comme je ne suis pas moi-même finlandais, je peux parler ouvertement pour toutes les autres victimes, sans cette crainte de salir l’image de mon pays.
Certains des chefs d’Unité ou de Département de l’UH, dont les choix d’employés à licencier avaient été reconnus non-recevables par la Cour en appel, ont par la suite été décoré-es par la direction. A l’UEF, le Recteur et le chef du service juridique qui ont géré ma plainte de violation d’intégrité scientifique, et qui ont donc reconnu au nom de l’UEF qu’il était acceptable (entre autre) de falsifier un cahier de laboratoire, ont été décorés dans les quelques mois qui ont suivi de l’équivalent finlandais de la Légion d’Honneur. Pour services rendus au pays. Ils ne sont pas sanctionnés pour leur gestion calamiteuse, ils sont félicités et décorés, probablement pour leur loyauté.
Seulement le secteur académique, me direz vous ? La police locale, différents Médiateurs rattachés au gouvernement (non-discrimination, parlementaire, protection des données), l’Inspection du travail (2 branches régionales), le Ministère de l’Education et de la Culture et l’organe en charge du contrôle de l’intégrité scientifique, tous se sont rangés aux décisions du management de l’UEF, constituant un soutien implicite. Les associations de défense des étrangers (équivalents locaux de SOS racisme) ont aussi brillé par leur immobilisme. C’est vrai que les deux derniers recteurs sont mariés à des députées, mais de là à annuler toute investigation… il y a un pas, que les pays totalement démocratiques ne franchissement pas. Donc oui, la Finlande (tout au moins au travers des institutions nommées ci-dessus), coche 9 points sur les 12 qui définissent une dictature « soft », ou dictature démocratique, selon le Chat. Il faudrait voir selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Si vous avez tenu le coup jusque là, à ce point de votre lecture, vous devez vous dire : « il divague pas un peu lui ? ». Malheureusement, non. Ma N+1 a menti dans ses déclarations au cours des procédures internes. Je l’ai démontré avec des preuves écrites et audio irréfutables. Ce seul fait aurait du déclencher une enquête plus approfondie de la part de l’université : « pourquoi ment-elle ? Qu’est-ce que ça cache ? ». Il n’en fut rien. Lorsque les autres institutions, externes à l’UEF, ont été averties de ce simple fait, ils auraient du se poser la question : « pourquoi l’UEF n’investigue pas ce cas sérieusement ? Qu’est-ce que ça cache ? ». Il n’en fut rien. Du coup, c’est maintenant mon tour de poser la question : « Pourquoi personne, en Finlande, ne prend la peine d’investiguer ce cas ? Qu’est-ce que ça cache ? ».
Pour moi, ça cache de la collusion, du népotisme, de la post-démocratie, et des institutions de contrôle défaillantes. Les gens apprennent à vivre avec et acceptent, pour préserver leur tranquillité, au détriment de leur liberté de choix et de parole, et de leur liberté de participer au débat public. J'ai longuement hésité sur le point d'interrogation dans le titre de ce billet. Et j'ai décidé de laisser la porte ouverte à d'autres opinions : pour vous, qu’est-ce que tout ça veut dire ?
49 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON