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La folie du pouvoir gravée dans le marbre de l’Arc du Carrousel à Paris

Les points de vue sont si merveilleux qu’on ne s’attarde pas en général à lire les dédicaces inscrites au-dessus des baies de l’Arc de triomphe du Carrousel à Paris. Ou on les lit distraitement. Et pourtant !

On est trop sollicité par le spectacle éblouissant offert. Derrière soi, entre les bras baroques du Musée du Louvre, comme un diamant taillé dans un écrin, repose la pyramide de verre. Devant soi, s’ouvre une des plus belles perspectives urbaines au monde qui, sur trois kilomètres, court des jardins boisés des Tuileries autour de leurs bassins vers l’obélisque de Louxor dressé sur la Place de la Concorde et, au-delà, l’avenue des Champs-Élysées qui en pente douce monte jusqu’à l’autre Arc de triomphe de la Place de l’Étoile.
 
Un pastiche du modèle dictatorial et impérial romain
 
Érigé en 1809 sous Napoléon 1er à sa gloire et à celle de sa Grande armée, l’arc du Carrousel offre pourtant par ses quatre dédicaces un exemple édifiant de la folie bouffonne où peut sombrer la promotion d’un Prince et à laquelle ses contemporains sont souvent aveugles. Seul le recul du temps permet d’en mesurer l’outrance ridicule.
 
Comme dans l’arc de triomphe lui-même, on reconnaît dans ses textes un pastiche qui a pour modèle la représentation du pouvoir familière aux empereurs romains. Puisque le Prince est d’essence divine, la louange emphatique que l’on réserve aux dieux est la seule information à pouvoir être délivrée : excellant en toute chose, il entend le faire connaître à ses sujets aveuglément soumis à son autorité par "les éléments de langage" appropriés, comme disent aujourd'hui les communicants-charlatans.
 
L’exiguïté de l’espace propre à l’écriture sur pierre accroît par l’ellipse et la concision qu’elle exige, la démesure de l’hyperbole dans l’éloge lapidaire. Mais cette contrainte physique n’est pas seule à y pousser. Le pouvoir absolu ne connaît pas de limites, pas même celles de la vraisemblance. On prête à César, qui ne fut pourtant ni roi ni prince mais seulement dictateur brièvement, de jolies formules ciselées pour l’ostentation de sa vanité jusqu’à l’invraisemblance. L’une d’elles, restée célèbre, décrit ainsi une de ses victoires en -47 : « Veni, vidi, vici  ». Trois mots de deux syllabes chacun, aux allitérations en « v » et «  », établissent une quasi équation entre les trois actes du général en chef et insinue par ellipse un amalgame entre la relation chronologique et une relation de cause à effet entre eux : je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu ! La seule présence du chef par son expertise équivaut à la victoire.
 
Un Prince égal de(s) Dieu(x)
 
1- La maîtrise du temps et de l’espace par l’ubiquité
 
On relève une inspiration comparable dans les dédicaces de l’Arc du Carrousel. À l’égal des dieux, doué d’ubiquité, le prince est maître du temps et de l’espace : « En moins de cent jours  », l’ennemi est vaincu et l’Europe reconfigurée. Une image emphatique vise à en convaincre. Pour parcourir aussi vite de si longues distances (1.500 kms au moins), à pied et à cheval, avant l’invention de l’aviation, il dispose du mode de transport de l’oiseau : « Les Français volent de l'océan au Danube », est-il affirmé sans rire.
 
2- L’ordre chronologique amalgamé à une logique de cause à effet
 
Sans avoir l’extrême concision de César, les phrases sont néanmoins très courtes pour insinuer le même amalgame entre relation chronologique et relation logique de cause à effet. Les actions s’enchaînent non seulement selon un ordre de succession dans le temps mais selon une suite logique où chacune est cause de la suivante et effet de la précédente sans qu’aucun obstacle puisse arrêter cette force tranquille en mouvement jusqu’à l’objectif à atteindre : débarquement projeté en Angleterre contrarié par une coalition continentale – projection immédiate de l’armée sur le Danube – Libération de la Bavière – armée autrichienne défaite à Ulm - entrée dans Vienne – victoire d’Austerlitz – reconfiguration de l’Europe au gré du Prince victorieux.
 
3- Une mise hors-contexte par ellipses pour une épiphanie solitaire du Prince, seul contre tous
 
L’ellipse qui consiste à omettre tout ce qui est inutile à la compréhension, devient ici mise hors-contexte d’où ne ressort que la grandiose et solitaire silhouette du prince. Il se dresse d’abord seul contre tous : il a contre lui une coalition. Et à lui seul revient la gloire des exploits de son armée : « Napoléon entre dans Vienne, triomphe à Austerlitz  ». Où sont donc passé ses soldats ? Dans les coulisses de l'Histoire. Seul le Prince trône sur la scène.
 
4- Une intericonicité associant le Prince au Dieu de la Genèse
 
Et par intericonicité, le Prince est comparé à Dieu lui-même qui, dans la Genèse, créé l’univers à la force de sa seule parole. Une image d’une emphase grotesque montre le Prince, le pastichant, en train de recréer semblablement à sa guise l’Europe au seul son de sa voix : « A la voix du vainqueur d’Austerlitz, est-il écrit, l’empire d’Allemagne tombe. La confédération du Rhin commence. Les royaumes de Bavière et de Wurtemberg sont créés. Venise est réunie à la couronne de fer. L’Italie entière se range sous les lois de son libérateur  »
 
5- Les périphrases de la recréation du Prince par lui-même
 
Dans le même mouvement de création de l’Europe, le Prince se recrée lui-même au fil de ses exploits modifiant jusqu’à la représentation que ses sujets doivent avoir de lui. Des périphrases remplacent sont patronyme et composent la titulature de l’être nouveau qu’il est devenu : « Le vainqueur d’Austerlitz », le « libérateur » de l’Italie.
 
6- L’immortalisation du Prince dans un présent de toute éternité
 
À l’exception enfin d’un imparfait dressant le décor d’un débarquement prévu en Angleterre, l’usage du présent historique, pour relater ces actions passées, visent sans doute à les inscrire encore vivantes dans le temps du lecteur, mais surtout à les immortaliser hors du temps qui ne connaît ni passé ni futur mais un éternel présent.
 
Des outrances qu'on autorise à la farce et à la fiction
 
Deux cents ans après, hélas, ces exploits ont pris un sacré coup de vieux et cette prétention du pouvoir absolu à l’immortalité fait sourire. Le lecteur des albums d’Astérix peut-il s’empêcher d’établir un rapprochement entre ces dédicaces et le récit des exploits du petit Gaulois et de son ami Obélix ? On y relève la même disproportion des forces en présence, la même puissance de destruction et la même rapidité dans les victoires. Seulement les héros de la bande dessinée doivent leur héroïsme à une potion magique. Ce sont autant d’outrances qu'on autorise, mais seulement à la farce et à la fiction. Or, sur l’arc du Carrousel, c’est l’Histoire que le pouvoir absolu prétend écrire. Napoléon a certes été un génie de l’art militaire mais sa prétention à rivaliser avec Dieu et les dieux devant ses sujets montre comme le génie peut être aussi borné.
 
On sourit aujourd’hui devant cette démesure. Comme celle des empereurs romains, elle illustre le degré de folie où le pouvoir absolu peut conduire un homme. Devant une des plus splendides perspectives urbaines qui soient, l’arc de triomphe du Carrousel est un vestige instructif des égarements du passé. Paul Villach
 
 
Façade Est :
« L'armée française embarquée à Boulogne menaçait l'Angleterre
Une troisième coalition éclate sur le continent
Les Français volent de l'océan au Danube
La Bavière est délivrée, l'armée autrichienne prisonnière à Ulm
Napoléon entre dans Vienne, il triomphe à Austerlitz
En moins de cent jours, la coalition est dissoute »
 
Façade Ouest :
« A la voix du vainqueur d’Austerlitz
L’empire d’Allemagne tombe
La confédération du Rhin commence
Les royaumes de Bavière et de Wurtemberg sont créés
Venise est réunie à la couronne de fer
L’Italie entière se range sous les lois de son libérateur  »

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6 réactions à cet article    


  • jako jako 6 juillet 2011 11:19

    Ne pas ébruiter surtout ! NS pourrait avoir envie de re-décorrer l’Elysées...
    Ce style pompier fleurit encore dans les discours politiques , même dans les années
    cinquantes


    • BOBW BOBW 6 juillet 2011 16:46

      La Mégalomanie des « Chefs » :



      Napoléon les vit s’écouler comme un fleuve ;
      Hommes, chevaux, tambours, drapeaux ; - et dans l’épreuve
      Sentant confusément revenir son remords,
      Levant les mains au ciel, il dit : « Mes soldats morts,
      Moi vaincu ! mon empire est brisé comme verre.
      Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère ? »
      Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon,
      Il entendit la voix qui lui répondait : Non !
      (l’Expiation -Victor Hugo)


      Grandeur et décadence :
      Maintenant à propos du « tout petit »
       « Un double rêve » historique passe et se superpose :

      La fuite de Varenne et Sainte Hélène.

      • docdory docdory 6 juillet 2011 18:10

        Cher Paul Villach

        Certes, Napoléon fut par bien des côtés un des personnages les plus néfastes de l’histoire de France, mais, sans lui, pas d’Arcs de Triomphe sur les Champs Elysées ! Avouez que ça manquerait ...
        Espérons qu’à l’avenir aucun censeur « bien-pensant » n’aura l’idée de se livrer à une élimination expiatoire des textes de l’Arc de Triomphe du Carrousel, afin de faire table rase du passé. On ne sait jamais , une telle censure monumentale politiquement correcte vient d’avoir lieu chez nos amis belges !
        Pour cette affaire belge, cela ressemble assez au travail effectué par Winston dans « 1984 » de George Orwell !


        • Paul Villach Paul Villach 6 juillet 2011 18:26

          @ Cher Docdory

          Vous ne m’imputez pas, j’en suis persuadé, ce genre de furie iconoclaste.

          Au contraire, ce type de vestige doit permettre de garder mémoire et de construire un avenir qui tienne compte des erreurs du passé. Paul Villach


        • docdory docdory 6 juillet 2011 21:07

          @ Paul Villach

          Rassurez-vous, non !
           Mais on ne sait jamais à quoi la furie iconoclaste du politiquement correct pourrait aboutir dans l’avenir, lorsque l’on voit cette censure belge . Imaginons que dans vingt ans, un apprenti censeur se mette à lire les textes de cet Arc de triomphe, au train où va la judiciarisation liberticide des « offenses » en tout genre, on peut craindre que le pire advienne ...

        • caius 8 juillet 2011 08:12

          « Notre ridicule défaut national est de n’avoir pas de plus grand ennemi de nos succès et de notre gloire que nous-mêmes »
          Napoléon, Empereur des Français.

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