Le décrochage pourrait bien être le concept clé de ces années 2010 où l’on assiste à l’avènement d’un monde globalisé, dont le système financier et industriel est issu de la technique occidentale, alors que l’Occident se trouve face à des limites et des crises dont on ne pressent aucune issue. Pourtant, beaucoup de gens s’agitent, dans les salles des marchés, les cabinets ministériels, les bureaux des collectivités territoriales, les laboratoires de recherche, les entreprises aux technologies les plus avancées. La course à la croissance, à l’innovation, à la technologie se poursuit. Pourtant, cette quête de nouveauté et de réforme paraît vaine eu égard aux difficultés rencontrées par nombre de concitoyens. La technique suit son cours. La plupart des activités humaines deviennent dépendantes des technologies. Le résultat est assez contrasté. Plus un système est complexe, plus il demande des gens spécialisés pour le fabriquer et l’utiliser. Plus il devient sensible aux pannes. Plus son acquisition et son usage sont coûteux. En bref, la question de la dépendance face à la technique se pose. Et notamment sous un angle humaniste. La technique contemporaine apporte-t-elle un progrès social et humain, un mieux-être, ou bien devient-elle un fardeau et un facteur d’asservissement aliénant ? Se pose aussi la question du vouloir. Qu’est-il légitime et raisonnable de vouloir d’un point de vue individuel et social ?
A la question du vouloir, on ne peut répondre que trivialement, avec des ingrédients moraux évidents. Un individu à l’époque hyper industrielle veut du bien-être, une existence plaisante et paisible, parfois excitante, souvent intéressante. Le bonheur était une idée neuve au temps de Saint-Just et en 2012, c’est une idée à renouveler. La puissance du système s’accroît, apportant un surcroît de bien mais occasionnant aussi son cortège de maux. La puissance se partage mais pas de manière équilibrée ni équitable. On observe alors un décrochage d’individus mais aussi de secteurs de la société. Ce peuvent être des secteurs professionnels ou bien des secteurs géographiques, avec les zones périurbaines parfois désertées par l’emploi et la république et une ruralité se transformant en désert social. Le décrochage se conçoit comme une distanciation entre une réalité qu’on voudrait voir advenir et le développement d’une situation qui ne correspond pas à ce qui est souhaité. Une fois ce constat admis, il reste à examiner la nature de ce qui est souhaité et si cette volonté est légitime ou non.
La France s’est nourrie de valeurs et d’idéaux dont la réalisation semble s’éloigner. Même situation pour les chiffres déterminants de l’économie. Le déficit public est bien au dessus du pourcentage souhaité, le commerce extérieur est largement déficitaire, le chômage devient insupportable. A ce décrochage économique s’ajoutent les différents décrochages sociaux déjà évoqués. Et d’autres qui suivent. Décrochage moral, recherche scientifique minée par la bureaucratie et la stérilisation de la créativité. Enseignement en berne. Décrochage face à la lecture et pour ceux qui arrivent au bout du secondaire, ce commentaire façonné à la Coluche. « A 18 ans tu décroches le bac, à 20 ans, tu décroches de l’université ». N’oublions pas aussi le décrochage face à une exigence humainement fondamentale, le logement décent pour tous et cette incurie des pouvoirs publics à satisfaire cette exigence alors que le problème date de deux décennies. La santé aussi est un système qui dans les finalités doit permettre un accès aux soins pour tous, alors que dans les faits, nombreux décrochent peu ou prou du système de santé en se privant de soins. Dans un tel marasme, on comprend que les médias s’accrochent tant à un type qui décroche un Oscar à Hollywood.
Bien évidemment, il faut différencier le sentiment de décrochage et la réalité. Parfois, des objectifs non réalisables ou illégitimes sont fixés par des individus. Et c’est bien là le problème. Une société où beaucoup décrochent alors que d’autres s’accrochent à des lubies et ce faisant, monopolisent des moyens qui utilisés ailleurs, permettraient à ceux qui attendent un train sur le quai de raccrocher à l’existence. Il y a une exigence sociologique et économique à produire une théorie conçue comme une mécanique des décrochages. Le monde matériel est une toile faite de nœuds et tissages. Les uns accrochent et les autres décrochent. La fracture sociale qui en 1995 se devait d’être combattue est devenue un phénomène banalisé aussi inévitable que les intempéries. La société française naguère fière de ses valeurs d’intégration et de son ascenseur social a parfaitement intégré depuis les années 1980 le principe du décrochage, du moment qu’un nombre suffisants de citoyens permettent à la France de s’accrocher à l’Europe et au grand bond en avant de la mondialisation et de la compétition économique universelle. Pourtant, la situation de l’industrie paraît plus proche du décrochage que de la croissance.
La France du décrochage coexiste avec la France des réussites individuelles et collectives. Mais le plus important, c’est le décrochage face à des valeurs qui ont fondé la nation, solidarité, excellence, arts et cultures. La France décroche de la civilisation mais elle s’accroche à des tendances tirant la société vers le bas ; corruption, vénalité, carriérisme, médiocrité intellectuelle et artistique, déclin culturel, égoïsme… Dans le contexte actuel il est peu probable que le décrochage puisse être inversé. Diverses raisons l’expliquent. L’accrochage aux acquis mais aussi la dissolution des valeurs et la jeunesse sur laquelle le pays n’a pas assez investi en terme social et culturel sans compter la médiocrité des médias. Bref, rien de bien réjouissant. La France est promise à une stagnation.
Mais accrochez-vous ! Un mot d’ordre certainement plus salutaire que le « indignez-vous » à la mode ces temps-ci. Une société peut bien décrocher de ses valeurs mais l’existence individuelle reste une valeur sûre, pour ne pas dire la seule valeur. Un zeste de stoïcisme et un autre d’épicurisme permet de suggérer comme voie praticable à titre individuel l’accroche face à l’existence. Vivre reste une activité vivable et l’existence peut devenir intéressante. Accrochez-vous, même si la société décroche. Et si vous en avez assez de ceux qui sont responsables du décrochage, eh bien décrochez-les. Et si ça vous paraît utile, décrochez le président en place qui visiblement s’accroche au pouvoir alors qu’il a accompagné le décrochage face à la civilisation. Accrochez-vous à ce qui a de la valeur à vos yeux et tachez d’aiguiser votre regard pour percevoir ce qui a de la valeur ! Bien évidemment, vous n’êtes pas obligés de vous accrocher à cette gloire artificielle pour un film moyen célébré à Hollywood parce qu’il flatte le narcissisme américain et qu’il a été vendu par un spécialiste de la vente de produits oscarisables. Quand on s’accroche à la merde, la merdre finit par vous dégouliner sur les yeux. Accrochez-vous, vos existences valent plus que tous les oscars de la planète ! Accrochez-vous aux vrais artistes, accrochez-vous ou le titre d’un livre qui devrait être lu mais qui n’a pas été rédigé.
Moyenne des avis sur cet article :
4.76/5
(17 votes)
Les redistributeurs de ressources ((en) resources shifters) (nutriments matériels et psychologiques) : récompense dans le mécanisme de sélection darwinienne
Les organisateurs de compétition entre groupes (intergroup
tournaments) : sanctionnent et éliminent les plus faibles dans la
sélection darwinienne (darwinisme social)
Politicien qui se disent de gauche : PS, résultat politique homogène à la droite
Les redistributeurs de ressources ((en) resources shifters) (nutriments matériels et psychologiques) : récompense dans le mécanisme de sélection darwinienne
RSA et état social , tant bien que mal, et DES ASSOCIATIONS, il n’y a pas d’équivalent de resto du coeur etatique ( et le probleme de ressources et de leur répartition est a prendre au niveau des ressources , et non au niveau monétaire : une ressource agraire crée l’est et n’a de valeur que si elle est consommé ... )
Les organisateurs de compétition entre groupes (intergroup
tournaments) : sanctionnent et éliminent les plus faibles dans la
sélection darwinienne (darwinisme social)
L’enfant : Mam, tu as vu l’affiche ? C’est gros comme une maison Mère : Qu’est-ce qui est gros comme une maison ? Le Président, la mer ou le slogan ? L’enfant : la France Forte... je dirais... qu’il lui manque quelque chose... pour qu’elle soit forte. Mère : Il lui manque quoi ?