La légende du plein-emploi des cadres
Dans le cadre d’une analyse du marché du travail et dans un souci de démystification, il est aussi nécessaire de se pencher sur une catégorie majeure dans la segmentation de ce marché : les cadres, dont les discours mécaniques proclament l’ « intouchabilité »...par rapport au chômage. Cet article fait donc en particulier suite à « Les perdants du marché du travail » et « Pénuries de talents ou concentration et automatisation du travail ? ».
SOMMAIRE
I. La THEORIE de l’« ILOT NATUREL »
II. L’EXCEDENT de DIPLOMES par rapport aux POSTES de CADRES à POURVOIR
III. La SOUS-ESTIMATION du CHOMAGE des CADRES et du DECLASSEMENT des DIPLOMES
IV. APRETE des RIVALITES et DISCRIMINATIONS PLUS VIRULENTES
I. La THEORIE de l’« ILOT NATUREL »
A l’encontre d’un stéréotype, le marché du travail des cadres est aussi soumis à de fortes distorsions, masquées par la forte demande pour les profils répondant aux exigences accrues des entreprises (diplômés des grandes écoles, carrières linéaires à mi-parcours…).
La sélection est renforcée par la compétition mondiale féroce organisée par les Etats à travers l’immigration dite qualifiée [CO-IT]. Les sociétés développées se refusent à voir cette compétition en recourant notamment à des images d’ « espaces protégés » mais accessibles, qui entretiennent aussi la stimulation. La doxa patronale et des élites ne voit d’ailleurs dans les cadres au chômage que « des cas individuels » et la notion de « diplômés » n’y existe pas car il s’agit nécessairement de « jeunes diplômés ».
Mais comment deux mondes aussi dissemblables selon leur taux de chômage respectif officiel que ceux des marchés du travail du cadres et des non-cadres pourraient-ils exister en France, s’ils n’étaient artificiellement disjoints par une sorte de « théorie de l’oasis » ou « de l’îlot naturel » (#fmc) ??? Comment les économistes et les élites français peuvent-ils être imprégnés d’une croyance aussi absurde, qui rappelle celle de la « Terre plate » ? Quels peuvent donc bien être les critères définissant ces cadres ou travailleurs « qualifiés », sortes de surfemmes et surhommes contemporains protégés du chômage, hormis celui spécieux de la rémunération antérieure et en dehors des cadres-dirigeants dont certains ont choisi un sacerdoce ?
N’ont-ils pas remarqué que les promotions internes ont dépassé le nombre de créations de postes de cadres en 2017 (à moins de persister dans l’erreur absurde qu’il n’y avait pas assez de diplômés pour occuper ces postes pourvus par la promotion interne) ???
(#eli) Par « élites », on entend les personnes et institutions dont les avis font autorité et qui sont largement propagés du fait de leur statut, qu’il s’agisse de politiciens, experts reconnus, économistes, médias…, en admettant qu’elles ne sont pas d’accord sur tous les sujets et que certaines ont parfois raison...mais pas quand le terme est employé dans cet article. Notons d’ailleurs qu’elles approuvent rarement les articles qui contrarient leurs préjugés. Il y a des passerelles entre les cadres et les élites puisqu’au moins 3 directeurs de ressources humaines de grandes entreprises privées font maintenant partie du gouvernement ou des conseillers du Président de la République. Pas de quoi rassurer sur l’évolution du chômage.
(#fmc) Cette « oasis » dissimule peut-être une zone effectivement préservée, mais beaucoup plus réduite et à la frontière floue (« cadres supérieurs »…). A cet égard, les partenaires sociaux ont justement entrepris de redéfinir le statut de « cadre » [Sca-DE]. Mais les enjeux institutionnels, notamment pour l’accès à des droits spécifiques en matière de prévoyance (risques liés au décès, à l’invalidité…), orienteront probablement vers une définition assez restrictive. D’ailleurs, des qualifications très élevées peuvent aujourd’hui être mises en pratique sans que soient nécessairement associées des responsabilités officielles.
II. L’EXCEDENT de DIPLOMES par rapport aux POSTES de CADRES à POURVOIR
La proportion de diplômés de masters et doctorats parmi les diplômés de l’enseignement supérieur de 25 à 34 ans était en France parmi les plus élevées de l’OCDE en 2017, après deux pays d’Europe centrale, le Luxembourg et la Russie [OC-RE].
Mais pour le taux de chômage des diplômés à bac+2 ou plus, la France était en 33ème position sur 44 pays observés par l’OCDE, seulement suivie par l’Italie, l’Espagne et la Grèce aussi dans l’UE [OC-CE, OC-EE].
(#tem) Le taux d’emploi est défini comme le rapport de la population en emploi sur la population en âge de travailler, en général de 15 à 64 ans, mais se déclinant aussi en fonction d’autres tranches d’âge.
Selon des statistiques nationales plus fines, les taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur sortis depuis un à quatre ans [DE-SP, graphique 2]
* ont toujours dépassé 10 % depuis 2012 (et jusqu’en 2016 selon les données disponibles)
* la pire période s’échelonnant toutefois entre 1993 et 1999 où ils dépassaient 13 %, jusqu’à 17,1 % en 1997
Les diplômés d’un master en 2010 avaient un taux d’emploi équivalent à celui des diplômés de licence en 2004. Mais cette dernière statistique a pu être influencée par la crise de 2008 [FS-RE].
Un effet de ciseau s’est constitué en France entre la croissance du nombre de sortants de l’enseignement supérieur, estimé à 369 000 (#jds, #dfc), dont 1/3 à bac+5 ou plus, en 2010 [CQ-SS] et les postes de cadres à pourvoir, bien que les effectifs de cadres aient crû et qu’il n’y ait justement pas de correspondance systématique entre le niveau de diplôme et une « position » de cadre. « ...s’accroît le décalage entre la masse de diplômés et le volume d’emplois qualifiés disponibles... » selon le Centre d’études et de recherches sur les qualifications [CQ-GF].
« Ainsi, les opportunités offertes par les entreprises ne sont pas à la mesure de l’augmentation du nombre de diplômé·es de l’enseignement supérieur long (niveaux M et D) [master et doctorat], qui passe de 11 % à 16 % entre les deux générations [sortants de 1998 et 2010]. Le marché du travail et les entreprises ne font donc pas écho, en termes salariaux, à la hausse du niveau de qualification de leurs jeunes salarié·es ; la montée de l’offre de diplômé·es ayant été plus rapide que la demande d’emplois qualifiés, ou en tout cas, que leur reconnaissance et leur rétribution en tant que tels. » [CQ-DC].
Seuls 42 % des sortants de l’enseignement supérieur long occupaient des postes de cadres en 2016 [DE-SP, graphique 3] (et pouvaient donc être comptés comme cadres en cas de chômage).
Le graphique suivant permet de mesurer l’évolution du nombre de diplômés universitaires à partir de bac+3 [DE-DU], mais
* ceux-ci ne sont pas tous des sortants de l’enseignement supérieur
* il faut compter en plus les diplômés d’autres établissements (écoles d’ingénieurs et de commerce...)
(1) Habilitation à diriger des recherches.
Pour donner un ordre d’idées du marché des cadres (#dap), et sans même reprendre les données de l’année 2010, année de reprise modérée des recrutements de cadres, en 2017, année au contraire « florissante » [AP-PE18],
* l’ensemble des sorties (dont les départs en retraite), 241 400, dépassaient l’ensemble des recrutements, 240 100
* les promotions internes atteignaient 55 100
►► les créations de postes de cadres se sont donc élevées à 53 800
* en ajoutant les créations de postes aux départs en retraite de cadres en poste (58 235) [AP-PE9-1] et en retranchant les promotions
► on obtenait le nombre de postes offerts aux nouveaux entrants (jeunes diplômés ou chômeurs) : 56 935 (#cne)
►► le solde théorique de créations de postes pour les nouveaux entrants (jeunes diplômés ou chômeurs) était donc négatif : - 1300 (#cne)
* les créations nettes ont été estimées à 73 400, témoignant de l’importante réserve disponible
* mais les postes à pourvoir pour de nouveaux entrants ou chômeurs n’étaient que de 69 477
* le solde théorique de créations de postes pour les nouveaux entrants était de 13 200
Dans le premier des documents de l’APEC précités (« Perspectives des entreprises du secteur privé en France métropolitaine concernant l’évolution de leur effectif cadre »), on trouve un graphique étonnant qui décrit une chute de celles envisageant une croissance de l’effectif cadres beaucoup plus accentuée que la baisse de celles envisageant une compression,
* et ceci dès 1989 (25 % pour les premières)
* hormis une moindre remontée au cours des années 1990
* avec une oscillation sous 10 % pour les premières entre 2011 et 2017
On peut d’ailleurs voir sur le graphique suivant, malheureusement incomplet (#dap) que
* si les créations nettes de postes de cadres ont été substantielles en 2017 et 2018,
► celles des années 1998 (63 900), 1999 (66 500) et 2007 (65 600) se situaient entre les deux
► et que celles de 2000 (98 400) et 2001 (90 300) les surpassaient [AP-EC05]
* Mais les taux de croissance de l’économie (courbe rouge) étaient plus élevés à la fin des années 1990 [IN-PI] :
► 3,6 % en 1998, 3,4 % en 1999, 2,4 % en 2007
►3,9 % en 2000, 2 % en 2001
►par rapport à 2,3 % en 2017 et 1,7 % en 2018
L’évolution des rémunérations est d’ailleurs révélatrice de l’évolution du marché de l’emploi des cadres : si la rémunération brute annuelle médiane (fixe + variable) a augmenté de 2 % en 2017 et 2018 pour atteindre 50 k€, elle avait stagné à 48 k€ entre 2011 et 2016 [AP-RC].
La baisse des salaires médians (en euros constants 2015) des diplômés de niveau supérieur à bac+2 en 2015 (sortants de 2010) par rapport à 1997 (sortants de 1992) témoigne aussi de la plus forte compétition dans les échelons supérieurs [CQ-GF].
Ce phénomène n’est même pas propre à la France puisque l’économiste David Autor a aussi observé aux Etats-unis une stagnation de la part dans l’emploi total des 20 % les mieux payés entre 1999 et 2007 et seulement une légère remontée entre 2007 et 2012 [EA-MJ].
Les hausses de niveaux d’emploi des cadres (« professionals ») et dirigeants (« managers ») n’ont aussi cessé de décroître sur les différentes périodes successives.
Il suggérait que ces emplois à fort contenu « abstrait » (« abstract task-intensive ») ne croissaient pas aussi rapidement que l’offre potentielle de travailleurs très bien formés (« highly educated »).
(#jds) Selon le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq), près de 44 % des jeunes arrivent sur le marché du travail avec un diplôme du supérieur en 2019 par rapport à 27 % en 1990 [CQ-GF].
(#dfc) Selon une vue synchronique, il faut probablement ajouter les diplômés de la formation continue : 68 200 en 2010, 106 900 en 2017 [DE-FC].
(#dap) Bizarrement, alors que l’ouverture des données publiques a même été consignée dans la « LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique », l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), régie par des organismes syndicaux, semble avoir beaucoup régressé dans sa communication de données brutes. Il était en effet possible il y a une dizaine d’années d’obtenir des statistiques en séries annuelles comme le nombre d’emplois total de cadres, leur part dans l’emploi total, le nombre et la part d’emplois des cadres par tranche d’âge...Aujourd’hui, hormis les études, l’accès est restreint à des restitutions synthétiques par profession produites par l’APEC !!!
(#cne) Ces calculs de l’auteur du présent document ne tiennent toutefois pas compte des mouvements relatifs aux seuls chômeurs, en l’absence de connaissance du nombre de sorties correspondant à des entrées dans le chômage (et non pas à des recrutements). Mais cela ne change que la répartition des postes entre chômeurs (anciens et nouveaux) et jeunes diplômés.
III. La SOUS-ESTIMATION du CHOMAGE des CADRES et du DECLASSEMENT des DIPLOMES
Les mesures du taux de chômage des cadres sont partielles sinon défaillantes, d’autant plus que les stéréotypes confortent des idéaux bien ancrés (méritocratie, formation protectrice, besoins d’immigration qualifiée…) ou justifient certaines politiques (effets sur le chômage des baisses de charges sur les bas salaires…) et que les cadres ne correspondent pas aux représentations stéréotypées des exclus déjà évoquées, par exemple dans « Les perdants du marché du travail ».
Ainsi, fin 2014, Pôle-emploi comptait 320 000 cadres au chômage, ayant doublé par rapport à 2008, le chômage de longue durée passant de 31 % à 40 % [PE-TC]. Mais les économistes ne se sont pas aperçu de ce doublement.
Le taux de chômage officiel des cadres, publié par l’INSEE, atteignait 4,4 %. Or, il suffit de faire le ratio du nombre de cadres au chômage par rapport à la population active de 3,5 millions de cadres établie par l’Association générale des institutions de retraite complémentaire des cadres (AGIRC), certes « non harmonisée », pour trouver 9 %, soit le double de 4,4 %. Et l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) ne comptait-elle que 2,9 millions de cadres [CT-CF] (#dpa).
Les cadres au chômage étaient d’ailleurs encore 324 400 (catégories A, B et C) fin août 2018 [AP-4/18].
Indépendamment même du chômage des cadres, des économistes français ont élaboré une mesure aberrante du chômage des travailleurs dits « qualifiés », dont la définition n’est d’ailleurs pas claire, hormis qu’ils percevraient un certain niveau de salaire. Les estimations de ce seuil au-delà duquel « le chômage n’existe pas » (sic) varient d’ailleurs entre 1,6 et 2,5-3 fois le SMIC selon l’inspiration. Elles s’appuient a priori sur le nombre de demandeurs d’emploi classés par tranches de salaire journalier de référence (SJR) par l’Unédic [UN-AI]. Mais une telle mesure est doublement biaisée :
* d’une part, il ne s’agit que des demandeurs d’emploi indemnisés
* d’autre part, le SJR est aussi déterminé par le nombre de jours travaillés sur la période de référence
Pour estimer le « salaire d’un chômeur », il faudrait avoir étudié les prétentions des chômeurs sur un échantillon assez vaste. Or, beaucoup de chômeurs eux-mêmes ne savent pas quels niveaux de revenu ils peuvent accepter, car celui-ci variera selon l’emploi proposé, la durée du chômage, la formation suivie pendant celle-ci etc.
Inversement, la fixation d’un tel seuil suppose qu’il n’y a pas de travailleurs disponibles pour occuper les emplois au-dessus du seuil. C’est oublier les règles de base du fonctionnement d’un marché, qui peuvent conduire les organisations à renchérir leur offre, auquel cas elles peuvent éventuellement trouver de nouveaux candidats, en relevant donc (paradoxalement) le seuil. Ainsi, il faudrait considérer que des salaires plus élevés ne sont pas acceptables par des travailleurs percevant un salaire sous le fameux seuil ou inversement, qu’ils ne peuvent y prétendre. Il est aussi fallacieux de penser que les rémunérations de certains financiers se justifient par leur pénurie.
L’évaluation du déclassement des diplômés suffirait à balayer cette mensuration dérisoire du seuil de revenu. Mais elle suggère qu’il faudrait aussi mesurer l’ensemble de la main d’oeuvre ayant accepté des salaires inférieurs au fameux seuil pour éviter le chômage.
De surcroît, une des hypothèses sous-jacentes à cette mensuration est qu’il existerait une grille de salaires pour toutes les tâches/métiers/qualifications, communes à toutes les organisations.
Le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) a d’ailleurs établi qu’en 2015, le salaire minimum des 10 % les mieux rémunérés des diplômés de niveau supérieur à bac+3 était en moyenne 2 fois plus élevé que le salaire maximum des 10 % les moins bien rémunérés...à niveau de diplôme équivalent [CQ-GF]. L’APEC a aussi publié une enquête montrant qu’en 2018, « un cadre sur dix gagne moins de 36 k€ et la même proportion a des revenus supérieurs à 83 k€ [rémunération brute annuelle médiane (fixe + variable)] » [AP-RC].
On mesure très peu les phénomènes de déclassement sur le marché du travail, comme une enquête de la Harvard business school (HBS), qui a montré une demande croissante de diplômés à bac+4 de la part des entreprises aux Etats-unis pour des emplois n’exigeant pas ces qualifications, et par conséquent des phénomènes d’éviction de travailleurs moins diplômés. C’est une illustration des pénuries artificielles de candidats (voir aussi « Pénuries de talents ou concentration et automatisation du travail ? »).
Ces phénomènes de surqualification étaient à peu près équivalents aux Etats-unis et en France aux niveaux bac+3 ou plus, et très proches de la moyenne de l’OCDE en 2012 [OC-RE, graphique A3.b]. Mais selon l’enquête de la HBS, les 3/4 des employeurs ayant ainsi changé leurs préférences estimaient l’avoir fait à partir de 2013-2014 [HB-DI]. De manière plus générale, la France écrasait tous ses concurrents de l’OCDE en matière de...surqualification vis à vis du niveau de formation (31 % des travailleurs), seulement rattrapée par le Japon [FS-RE]. Beau record !
Une autre étude de Burning Glass Technologies a révélé que
* 43 % des diplômés de licence universitaire, 47 % en commerce et 29 % en ingénierie, seraient sous-employés dans leur premier emploi aux Etats-unis,
► dont les deux tiers le restant cinq ans plus tard, 18 % en ingénierie, 18 % en informatique, 26 % en mathématiques et statistiques [BG-UE].
(#dpa) C’est prioritairement une question de mesure du dénominateur (la population active), mais on peut aussi relever l’écart au sein même des mesures de l’INSEE, au sens du BIT, entre 341 000 chômeurs d’un niveau de diplôme supérieur à bac+2 et seulement 162 000 « cadres et professions intellectuelles supérieures » en 2017 [IN-EC].
IV. APRETE des RIVALITES et DISCRIMINATIONS PLUS VIRULENTES
Malgré des codes comportementaux plus stricts, les rivalités entre cadres sont moins régulées par l’organisation du travail et frôlent souvent l’agressivité car ils sont plus sensibilisés aux enjeux de compétition de leurs employeurs ou clients, impliqués dans des luttes de pouvoir et mobilisés par des confrontations intellectuelles.
De surcroît, les Français adorent intriguer, en plus de dénigrer, les alliances se formant toujours au détriment des moins forts, ce qui est quand même plus facile. Ces aspects comportementaux sont difficiles à mesurer statistiquement, d’autant qu’ils ne font guère l’objet de recherche (voir aussi « Les perdants du marché du travail »). On pourrait penser que le ressassement de la priorité accordée aux compétences comportementales et relationnelles vise à éviter ces comportements et rivalités, mais
* d’une part, cette sélection valorise au contraire ceux qui savent le mieux tirer leur épingle de jeux complexes, en consacrant éventuellement leur capacité manoeuvrière
* d’autre part, cela constitue en fait une barrière supplémentaire, d’ordre plus subjectif, dans le cadre de recrutements sur des marchés en excès d’offre de travail
D’autres facteurs contribuent à l’exclusion d’une partie des cadres, comme la moindre étendue de leurs marchés de compétences (voir « Pénuries de talents ou concentration et automatisation du travail ? »), l’importance de la réputation…Les initiatives pétries de bonnes intentions qui sont volontiers exhibées par des entreprises envers telle ou telle catégorie « officiellement discriminée », jusqu’à l’intégration sous l’angle humanitaire, et qui leur permettent de se donner bonne conscience, n’en sont que plus révélatrices de la tartufferie de l’époque, mais correspondent à l’idéologie dominante de la population des cadres. On peut d’ailleurs remarquer que les bénéficiaires ne sont que des jeunes.
L’Association pour l’emploi des cadres (APEC) fournit un indicateur intéressant de la propension ségrégative qui règne sur le marché du recrutement des cadres : en 2017, 55 % des entreprises ayant reçu plus de 100 candidatures pour une offre jugeaient néanmoins le recrutement difficile ou très difficile [AP-DR].
Les formes de discrimination vis à vis de l’âge sont aussi plus marquées pour les cadres. La structure par âges des cadres au chômage n’est toutefois pas publique. Parmi les cadres en chômage de longue durée, le nombre des 55-59 ans a connu une ascension plus soutenue que pour les autres tranches d’âge à partir de 2009, ce que Pôle-emploi attribue aux reports progressifs de l’âge de la retraite, à l’allongement des durées de cotisation et à la disparition progressive de la mesure de dispense de recherche d’emploi. La part des cadres en chômage de longue durée parmi les cadres au chômage de moins de 30 ans est « peu élevée » [PE-TC].
Mais en admettant une moindre mobilité des plus de 50 ans et une résistance possible à la baisse des rémunérations, les recrutements de cadres de plus de 20 ans d’expérience ont représenté moins de 6 % des recrutements de cadres en 2017, soit 13 700 [AP-PE18]. Selon l’hypothèse basse de l’APEC pour 2019, « la hausse des recrutements concernerait essentiellement les cadres de moins de 10 ans d’expérience, alors que les recrutements de cadres plus expérimentés et plus âgés enregistreraient un recul » [AP-PE19].
Une note de l’INSEE sur l’emploi des seniors repose sur des données révélant d’ailleurs qu’entre 2007 et 2017 [IN-ES, données complémentaires, figure 2]
* la part des cadres de 55 à 59 ans parmi les actifs de cette tranche d’âge en emploi est passée de 20,4 % à 17, 9 %
* et ceux de 60 à 64 ans de 26,7 % à 24,7 %
* tandis qu’elle augmentait pour les autres tranches d’âge
L’OCDE voit toutefois une augmentation du taux d’emploi des diplômés de l’enseignement supérieur (« tertiaire ») de 55 à 64 ans entre 2007 et 2017, mais laissant néanmoins la France à la 38ème place sur 44 pays étudiés [OC-RE, graphique A3.3].
BIBLIOGRAPHIE
Analyses économiques de l'immigration de travail », Colombo, Le cercle-Les Echos, 30/07/10
[CO-IT] «[Sca-DE] « Négociation sur la définition de l’encadrement : une réunion constructive », Confédération française de l’encadrement (CFE-CGC), 1/04/19
[OC-RE] « Regards sur l’éducation 2018 », Les indicateurs de l’OCDE
[OC-CE] « Taux de chômage par niveau d’éducation », OCDE, 11/2019
[OC-EE] « Taux d'emploi par niveau d’éducation », OCDE, 11/2019
[DE-SP] « 8.29 : La situation professionnelle quelques années après la fin de la formation initiale », « Repères et références statistiques », DEPP-Ministère de l’éducation nationale, Edition 2017
[FS-RE] « Renforcer la capacité des entreprises à recruter », Rapport du groupe de travail n° 4 du Réseau Emplois Compétences, France stratégie, 08/2017
[CQ-GF] « Que gagne-t-on à se former ? Zoom sur 20 ans d’évolution des salaires en début de vie active », Céreq bref, n° 372, Centre d’études et de recherches sur les qualifications, 02/2019
[DE-FC] « Les diplômes à l’issue de la formation continue dans l’enseignement supérieur », DEPP-Ministère de l’éducation nationale, 09/2019
[CQ-SS] « Sortants du supérieur : la hausse du niveau de formation n’empêche pas celle du chômage », Bref du CEREQ, n° 322, Centre d’études et de recherches sur les qualifications, 09/2014
[CQ-DC] « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée », Bref du CEREQ, n° 382, Centre d’études et de recherches sur les qualifications, 24/10/19
[DE-DU] « Les diplômes universitaires - évolution », DEPP-Ministère de l’éducation nationale, 10/2019
[AP-PE18] « Perspectives de l’emploi cadres 2018 », Les études de l’emploi cadres (APEC), n° 2018-03, 02/2018
[AP-PE9-1] « Prévisions 2019-2021 des recrutements de cadres en France », APEC, 07/2019
[AP-PE19] « Prévisions APEC 2019 – La vitalité de l’emploi cadre se confirme », APEC, 20/02/19
[AP-EC05] « Perspectives de l’emploi cadre », APEC, 03/2006
[IN-PI] « Produit intérieur brut - Evolution en volume », INSEE, 29/05/19
[AP-RC] « Baromètre 2019 de la rémunération des cadres », APEC, 09/2019
[EA-MJ] « Why Are There Still So Many Jobs ? The History and Future of Workplace Automation », David Autor, Journal of economic perspectives, Vol. 29, n°3, été 2015
[PE-TC] « Trajectoires de cadres au chômage », « Etudes et recherches » # 10, Pôle-emploi, mai 2017
[CT-CF] « Combien y-a-t-il de cadres en France ? », « Chiffres-clés », CFTC-cadres, 17/04/15
[IN-EC] « Emploi, chômage, revenus du travail », INSEE, Edition 2018
[AP-4/18] « 57 % des entreprises envisagent de recruter au moins un cadre au 4ème trimestre 2018 », Note de conjoncture trimestrielle de l’APEC, n° 65, 4ème trimestre 2018
[UN-AI] « Qui sont les allocataires indemnisés par l’Assurance chômage en 2016 ? », Unédic
[HB-DI] « Dismissed by Degrees - How degree inflation is undermining U.S. competitiveness and hurting America’s middle class », Accenture, Grads of Life, Harvard Business School. 13/12/17
[BG-UE] « Majors that Matter : Ensuring College Graduates Avoid Underemployment », Burning Glass Technologies, 10/2018
[AP-DR] « Les ajustements face aux difficultés de recrutement des cadres », APEC, 06/2019
[IN-ES] « L’emploi des seniors en hausse entre 2007 et 2017 : plus de temps partiel et d’emplois à durée limitée », INSEE-focus, n° 119, 12/07/18
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