La Marine n’était pas en noir... ?
Le Front National, malgré ce qui a pu en être dit aujourd'hui avec son ravalement de façade ne changera jamais. Parti qui reste fort peu disert sur lui-même, devenu ses dernières années un parti purement familial, il cultive sa part de mystère (l'origine floue de la fortune de son leader qu'a osé rappeller Eva Joly durant cette campagne, ce qui est une bonne chose) et il entretient ses zones d'ombres (ses évictions à la pelle de sympathisants devenus trop encombrants pour leur propension à lever le bras droit devant des appareils photographiques ou à critiquer la direction du parti). Hier, c'est un autre pan de cette image manipulée par ses dirigeants qui est apparue, avec le silence complet apparu sur la disparition d'une de ses grandes figures. Le FN est en effet trés certainement le seul parti au monde à ignorer autant le décès d'un de ses fondateurs ! C'est pourtant ce qui vient d'arriver avec la disparition de François Brigneau, à propos duquel le parti qu'il avait créé n'a pas eu un seul mot. Ce n'est sans doute pas le moment pour la blonde fille à son père de rappeler sur quels fonds baptismaux politiques elle a été ointe... On le comprend à moins : au moment où elle tente de présenter un parti repeint à neuf, il ne fait pas bon révèler les couches épaisses précédentes qui ont été apposées depuis la création d'un parti aux tendances fascisantes évidentes. Brigneau a donc été porté en terre (de France !) en catimini, une fin dérisoire pour un ancien collaborateur de Vichy qui avait tant rêvé d'être un jour sous les projecteurs de la notoriété.
Laissons donc tout d'abord la presse résumer le phénomène. "Né en 1919 sous l'identité d'Emmanuel Allot, son premier engagement le mène en 1939 à militer pour Gaston Bergery, ex-radical-socialiste qui désormais plaide pour un régime autoritaire allié de l'Allemagne. Durant Vichy, Allot rejoint le collaborationniste Rassemblement National Populaire puis la Milice, à laquelle il se flattait d'avoir adhéré le 6 juin 1944, jour du Débarquement allié." Une date qui n'a jamais pu être confirmée, et qui dénotait déjà chez son auteur un sens de la provocation qui deviendra la marque du fabrique du FN." Emprisonné à la Libération, il a l'occasion de côtoyer Robert Brasillach avant son exécution, et il lui conservera une admiration littéraire et intellectuelle sans faille. Libéré, il participe en 1946 au lancement d'un périodique très inspiré par la pensée du doctrinaire de l'Action Française Charles Maurras, et anime, avec Pierre Boutang et Antoine Blondin, une feuille spécialisée dans la dénonciation de la corruption politique." un admirateur du régime de Vichy qui au sortir de la guerre fabrique un journal de dénonciation, il n'a pas pas beaucoup de surprises chez les frontistes.
Dans leur livre-référence paru en 1992, Les droites nationales et radicales en France, Jean-Yves Camus et René Monzat écrivent : "Emprisonné à Fresnes, il subit l'influence de Robert Brasillach, et restera lié à son beau frère, Maurice Bardèche". Bardèche fut l'un des plus influents propagateurs du négationnisme, dont le héraut est on le sait depuis René Faurisson. La collaboration et le négationnisme, étroitement liés, on le sait : "de manière détournée, François Brigneau qui n’a jamais renié ses convictions maréchalistes, avait rendu hommage à l’écrivain collaborationniste en publiant « Mon après guerre », le pendant de« Notre avant guerre » de Robert Brasillach".
Comme l'est aussi l'usage d'un pseudonyme, meilleure façon à l'époque d'éviter de se faire repérer par les opposants ou les anciens amis d'autrefois. Autre constante chez les amis, justement, de Jean-Marie, un antisémitisme que la guerre n'a pas éradiqué, malgré les millions de victimes juives. "Il prend le nom de plume de François Brigneau lors de la cofondation d'un journal antisémite, avec Maurice Gaït (ex-commissaire général à la Jeunesse sous Vichy) et Léon Gaultier (ex-Waffen SS, cofondateur d'une maison de disques avec Jean-Marie Le Pen). Il évolue néanmoins ensuite quelques années entre les gaullistes de choc et l'extrême droite. Finalement, il rejoint la direction du Front National pour l'Algérie Française de Jean-Marie le Pen, structure qui souhaitait chapeauter tous les groupements hostiles à l'indépendance algérienne, mais qui, malgré les 60.000 militants revendiqués n'en regroupait sans doute qu'un millier, peu organisé." dès le départ on a affaire à un groupuscule de nostalgiques de l'Algérie française qui ont comme viatique en politique un poujadisme fondamental. Des politiciens de bistrot, endroit dans lequel son leader JM LePen perdra unœil lors d'une bagarre nocturne. Sa façon d'imposer ses convictions politiques, sans doute. Mais aujourd'hui, toutes les bagarres en commun semblent avoir été oubliées. Et Brigneau vite enterré...
Comme pseudonyme, Brigneau en avait un autre, fort méconnu. Il s'appelait parfois Julien Guernec et avait publié en 1947 un roman noir, intitulé "Faut toutes les buter" chez André Guerber, ouvrage qui avait été repris en 1951 sous le titre différent de "Pol Monopol", chez Froissart cette fois. "Ce même livre est ressorti en février 2010 aux éditions de la Baleine (Paris) et provoqua une polémique, autant à cause des propos considérés comme racistes qu'il contient, que sur l'auteur et ses opinions controversées" ajoute l'oncle Archibald, celui qui a retrouvé ce lien... exhumé, et qui précise que "la collection "Les romans noirs" chez l'éditeur Jean Froissart ne connut que quelques ouvrages parus entre 1946 et 1955. "J'ai descendu un flic" a été écrit par Sam Ross, écrivain américain né en 1912 qui publia quelques titres dans la série noire". L'homme fera aussi dans le livre historique, à raconter les vies de Léon Degrelle ou de Leni Riefensthal, notamment dans "Quand les armes se sont tues".
Résultat, en effet, des innombrables rixes entres factions elles-mêmes du parti, ou des bagarres entre factions, comme il est devenu honteux de s'afficher comme ami de Brigneau, les frontistes "officiels" on fait le service minimum à son enterrement : "plus d'une cinquantaine de personnes avaient fait le déplacement vendredi 13 avril au cimetière de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) pour l'enterrement de l'ancien milicien et cofondateur du Front national, François Brigneau (voir ici). Certaines "personnalités" connues de l'extrême droite étaient présentes pour rendre hommage au polémiste. Comme Jean-Yves Le Gallou, ancien cadre dirigeant du MNR et actuel directeur de la fondation Polémia ; Roger Holeindre, qui avait claqué la porte du FN après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti d'extrême droite ; Robert Spieler de la Nouvelle droite populaire, chroniqueur à l'hebdomadaire antisémite et pétainiste Rivarol dont Brigneau fit partie lors de son lancement après guerre". La vieille garde du Front, ce parti de retraités, mais aussi et on s'y attendait hélas, le négationniste Robert Faurisson qui était là également, pour des raisons évidentes : "Brigneau, proche d'un autre négationniste français, Maurice Bardèche, avait écrit la première biographie de Robert Faurisson en 1992. (A ce propos, nous ne saurons que très chaudement conseiller la lecture d'un livre référence, celui de Valérie Igounet, Robert Faurisson. Portrait d'un négationniste, Paris, Éditions Denoël, 2012, 464 pages. Une recension complète de l'ouvrage sera bientôt publiée ici)".
Mais ce que tout le monde a remarqué, c'est l'absence des instances dirigeantes actuelles mais aussi passées du FN : "au premier chef, Jean-Marie Le Pen. Il est vrai que les deux hommes étaient brouillés depuis la scission mégrétiste de 1998. Il se murmurait vendredi que Jean-Marie Le Pen n'avait pas fait le déplacement pour ne pas porter préjudice à sa fille à quelques jours du premier tour". Le Front, toujours fidèle à ses idées : celles de les remettre en cause au moment opportun. Devenu trop raciste ou trop antisémite pour figurer quelque part dans l'organigramme d'un parti qui essaie de ne pas effrayer de nouvelles recrures, Brigneau a été... purement et simplement oublié par le parti qu'il avait pourtant créé ! A bon escient pour son image de marque, par la blonde descendante de son père. Un père dont l'intérêt pour le passé est donc à géométrie fort variable : voilà son ami d'antan propulsé à la place de... "détail", par ses propres soins ! Sacré retour de manivelle !
Un enterrement de seconde classe, voire de troisième ; donc, où l'hypocrisie était partout rappelle Libération : "Bien que n’étant pas baptisé, François Brigneau aura été accompagné de deux prêtres traditionnalistes en soutane, récitant le « je vous salue Marie » de Chartres et chantant le « dio salve regina » en latin." Depuis que les frontistes font manifestation commune avec les salafistes de Forsane Alizza, tout se perd, semble-t-il ; même le bon usage du goupillon, jamais trop loin du sabre, il est vrai.
Une blonde qui a des excuses, pour ne pas se rendre à l'enterrement, car elle avait autre chose à faire ce jour-là, il est vrai : "Marine Le Pen continue son compagnonnage avec l'extrême droite italienne. Vendredi 13 avril, elle a rencontré, au siège du Front national à Nanterre, Francesco Storace, leader du parti d'extrême droite italien La Destra (La Droite). Ancien membre du MSI, le parti néofasciste transalpin, il a ensuite participé à sa transformation en Alliance nationale, qui finira par devenir un parti de droite gouvernementale, sous l'impulsion de Gianfranco Fini. Il y incarnait "l'aile dure". Storace, qui a été un "éphémère ministre de la santé (2005-2006) sous Silvio Berlusconi". Ah, tiens, comme quoi les vieux dinosaures français sont enterrés, mais leurs descendants italiens sont honorés... discrètement : pas de photos au siège du parti comme on aurait pu en faire dans un cimetière ! C'est la stratégie de la fille, calquée intégralement sur le goût du secret du père. Car les liens avec les fascisants européens existent bel et bien et sont même entretenus par une équipe spéciale : "de l'autre côté des Alpes, Marine Le Pen profite aussi des contacts de Frédéric Chatillon, ancien leader du GUD, et de Jildaz Mahé O'Chinal. Ces derniers, qui s'occupent par ailleurs de la communication de Mme Le Pen, sont présents à chaque déplacement de la présidente du FN en Italie, où ils semblent jouer le rôle d'entremetteurs". Les mêmes Chatillon et O'Chinal ayant effectué un voyage fort médiatisé il n'y a pas si longtemps en compagnie de Dieudonné pour se rendre... en Syrie, aller saluer Bachar el Assad, qui, comme on vient de le voir, cultive un amour prononcé pour son peuple, en beau néo-fascisant qu'il est également.
Légende de la photo : "Syrie, été 2006. De gauche à droite : Ahmed Moualek, du site La banlieue s'exprime, Dieudonné, Thierry Meyssan du Réseau Voltaire, Alain Soral et Frédéric Chatillon". On devrait faire davantage circuler ce cliché, pour rappeler qui a fait la promotion de Bachar el Assad en France en 2006...
Le constat est là et sans aucune ambiguité : "le FN est assez embarrassé par la mort de Brigneau. Aucun communiqué officiel n'est paru après sa mort. Marine Le Pen ne le portait pas dans son coeur, et c'était réciproque. Au Front, seul Bruno Gollnisch avait publié sur son blog un billet qui a ensuite été rapidement retiré." Retiré en raison de quoi et sur ordre de qui, voilà bien toute l'ambiguité d'un parti qui ne dira jamais ce qu'il fait vraiment, même à ses propres adhérents. Chez le FN, parti complotiste s'il en est, c'est comme les X-Files : chez eux, la vérité est obligatoirement ailleurs. Et la Marine bien des raisons (électoralistes) de ne pas se montrer en noir ce vendredi 13 là...
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