La RDA (DDR) : le grand sauve-qui-peut
« Au total, cinq mille personnes réussiront leur évasion, mille seront tuées, quatre mille cinq cents ont échoué dans leur tentative, cinquante-quatre n’ont jamais été retrouvées, et soixante mille autres seront poursuivies pour préparation d’évasion et condamnées ». Trente trois mile prisonniers politiques furent échangés entre la RDA et la RFA en contre partie de 40 000 DM (environ 20.000 euros) par prisonnier, chaque détenu devenait une source de devises étrangères faisant cruellement défaut à la RDA.
De 1949 à 1961, plus de deux millions et demi de citoyens ont déjà trouvé refuge à Berlin-Ouest, il leur a suffit d'acheter un billet de « tram », de métro ou de s'envoler de l'aéroport de Berlin pour se retrouver à l'Ouest. Août 1961, un mur érigé à la hâte va séparer la ville afin d’empêcher les fuites, l'« hémorragie » concerne les forces vives du pays : jeunes, professionnels qualifiés, techniciens, médecins, ingénieurs, enseignants, etc. Trois cent deux miradors dominent le no man’s land de 165 km de long surnommé la « ceinture de la mort » parcourue par des équipes cynophiles et qui comprend des zones minées, d’autres battues par des mitrailleuses. Les Vopos (gardes-frontières) ont pour consigne de tirer sur toute personne qui tenterait de franchir la zone interdite (ordre 101). Des hommes, des femmes et même des enfants vont tout mettre en œuvre pour s’évader de la DDR. Au début de la construction de la « Muraille de Chine II », leur chance de réussite repose essentiellement sur la surprise. Le 15 août, un photographe immortalisera un garde-frontière âgé de 19 ans se débarrassant de son fusil pour franchir le réseau de barbelés de Bernauerstrasse et rejoindre sa fiancée restée à l’Ouest. Le 17, un jeune homme de 18 ans est blessé mortellement, il va rester une cinquantaine de minutes sur le sol, perdant son sang, criant « Aidez-moi » avant de décéder.
Pendant la première année, dix explosions vont ébranler le mur pour y créer une ouverture et quatorze poids lourds vont venir le percuter pour y ouvrir une brèche avant que les garde-frontières ne renforcent la maçonnerie et placent des herses surnommées « herbe de Staline ». Le 5 décembre 1961, un train conduit par un jeune cheminot avec à son bord une trentaine de passagers enfonce le mur qui barre la voie ! Le lendemain, les autorités déposèrent les rails... Un couple fonce droit sur le poste de contrôle au volant d’un coupé Austin Healey et passe sous la barrière abaissée ! La barrière sera renforcée par des barres verticales. A la nuit tombée, certains fugitifs escaladent le mur en un endroit dissimulé de la surveillance des VoPos, d’autres empruntent les égouts ou quittent la zone cachés dans un camion frigorifique, dans une citerne ou dissimulés dans un objet industriel : grosse bobine de câble, poste à souder, etc. Quatre hommes revêtus d’un uniforme soviétique confectionné pour l’occasion franchissent le point de contrôle salués par les gardes ! Un grutier dépose une armoire forte de l’autre côté du mur dans laquelle deux réfugiés trouvent place. Les balles des garde-frontières s’écrasent sur le coffre tandis qu’il était hissé de l’autre côté du mur.
Un tunnel de 145 mètres de long courant à 12 mètres sous terre pour seulement une hauteur libre de 70 centimètres, fut creusé sous la cave d’une boulangerie située en secteur occidental pour rejoindre les toilettes dans l’arrière-cour d’un immeuble situé à l’Est. Trente-six jeunes gens vont creuser pendant six mois et décharger terre et gravas dans les pièces de la boulangerie. Un télégramme : « tante Emma morte – stop – vous attend immédiatement – stop – Gisela » signifiait que les organisateurs de la filière d’évasion se tenaient prêts à organiser l’évasion de son destinataire. Près d’une soixantaine de personnes ont emprunté ce tunnel avant qu’il ne soit découvert. Tous les tunneliers improvisés n’eurent pas autant de chance. Il arriva que deux tunnels trop proches l’un de l’autre entraînent un glissement de terrain.
Mars 1978, deux jeunes pères de famille vivant dans la ville de Pössneck s’interrogent sur la façon dont eux et leur famille pourraient quitter la RDA. Naila, la ville la plus proche en RFA, se trouve distante de 65 kilomètres. Franchir la frontière à pied reste exclu pour une famille et à plus forte raison pour deux familles avec enfants. Dans la nuit du 15-16 septembre, le ballon transportant huit fugitifs survolait la zone frontalière à 2 000 mètres d’altitude lorsqu’il fut pris dans les faisceaux des projecteurs et qu’il essuya quelques tirs. Le brûleur poussé à fond, le ballon atteignit 2 500 mètres d’altitude, mais cette surconsommation contribua à épuiser prématurément les trois bouteilles de propane. Vingt minutes plus tard, leur aérostat se posait lourdement sur le sol herbeux. Quand les fugitifs aperçurent les policiers venus à leur rencontre, ils réalisèrent qu’ils avaient enfin gagné leur liberté.
Le 19 juillet 1986, deux jeunes hommes escaladent un pylône THT à proximité de la ville de Zaïm en un endroit où la ligne de 380.000 volts franchit la frontière entre la Tchécoslovaquie et l'Autriche. Leur idée ? une planche de bois soutenue par deux poulies fixées au câble du paratonnerre courant au dessus des câbles électriques ! Trois heures plus tard et après s'être hâlés sur 400 mètres, ils sont au pied du pylône suivant, à l'Ouest ! Le projet n'était sans risques, la StB (police politique tchécoslovaque) utilisait le subterfuge de « fausse frontière ». Ses agents organisaient de faux réseaux d’organisation dont les passeurs « promenaient » les candidats à l'évasion dans la région afin de les désorienter et de les persuader qu’ils avaient franchi la frontière tchécoslovaque avant d’être accueillis par des agents de la StB déguisés en soldats américains, français ou britanniques ! Les fugitifs livraient benoitement aux faux soldats des noms de personnes restées dans le pays et susceptibles de servir de contacts aux services de renseignement occidentaux.
Avec le temps, seules les évasions bien préparées avaient encore une chance de réussir. Le « couloir de la mort » n’avait pas usurpé son surnom, l’étroite bande de terrain est défendue par des mines et des mitrailleuses capables de délivrer automatiquement des tirs croisés si une personne a le malheur de s’introduire dans la zone interdite. Emprunter les cours d’eau reste tout aussi risqué, les berges sont minées et le cours d'eau entravé par des herses ou du grillage, véritable nasse pour les nageurs. Des milliers d'Allemands de RDA ont tenté de s’enfuir par la façade maritime de la mer Baltique, zone moins surveillée que le « mur ». Les bateaux de pêche et les navires de commerce avaient pour consigne de repêcher de force les fugitifs pris en flagrant délit et de les remettre à la « pieuvre », c’est-à-dire à la Stasi.
Le 8 septembre 1968, Bernd Böttger parvient à rejoindre le Danemark avec un « tracteur » sous-marin capable de filer 5 km/h (son invention sera commercialisée aux USA). Sa précédente tentative lui avait valu trois mois d'emprisonnement. En octobre 1988, Alfred Kostbade, après avoir étudier très soigneusement le dispositif de surveillance côtier, profita d’une nuit brumeuse pour embarquer accompagné de son épouse et de leurs deux fils à bord d’un canot pneumatique de couleur, orange.., le seul qu’il avait pu se procurer. C’est en ramant qu’ils se faufilèrent au travers d’une flottille composée d’une trentaine de bâtiments, se dirigeant dans l’obscurité grâce à un compas qui sera rendu inutilisable et à l’emplacement des étoiles. Au lever du jour et après bien des péripéties, ils prirent pied sur la presqu’île de Fehmarn.
Un jeune médecin décidé à quitter clandestinement la RDA porta son choix sur les environs de Kühlungsborn (proche de Rostok, siège du commandement des nageurs de combat est-allemands) une des plus belles plages du Nord de l’Allemagne de l’Est. Le choix était tout sauf anodin. La ville ne jouxtait ni le Danemark ni la RFA, zones qui faisaient l’objet d’une surveillance renforcée de la 6e brigade des frontières de la Volksmarine. Son projet paraissait « insensé », il aurait à nager pendant plus de vingt-quatre heures dans une eau glaciale ! Il s’entraîna à nager dans les rivières et les lacs, toujours de nuit, jusqu’à y séjourner une vingtaine d’heures ! Et pour parfaire sa forme physique et se muscler les bras, il se mit à soulever de la « fonte » et pratiqua l’aviron de façon assidue.
Le samedi 24 juillet. Un vent modéré souffle du sud-sud-est soulevant de courtes vagues d’écume permettant de dissimuler l’extrémité d’un tuba ; la température de l’eau est de 16 degrés. Le candidat à la liberté se glissa dans l’eau vers 17 heures. Il emportait avec lui un petit sac contenant une combinaison de plongée, une ceinture de plomb de 7 kg, des barres de chocolat, 50 marks, un tube de comprimés d’amphétamines, un autre d’analgésiques et ses papiers d’identité. Il déposa son viatique sur un petit banc de sable immergé et prit ses repères pour venir le récupérer le moment venu. Lorsque la plage fut désertée, il récupéra son ballot et revêtit sa combinaison dans l’eau, s'équipa d'un masque de plongée, d'une paire de palmes, d'une montre et un compas. Lorsque la nuit commença à décliner et que les projecteurs s’allumèrent, il avait atteint la limite des eaux territoriales. Il vérifia son cap compas et repéra dans le ciel une étoile capable de lui indiquer la direction qu’il devrait suivre. C’est à cet instant qu’il remarqua que sa montre était inondée. Qu’importe, alternant nage ventrale et nage dorsale pour se reposer et grignoter, il progressa ainsi jusqu’à l’aurore avant de prendre un nouveau cap. Une heure après le lever de l’astre solaire, il distingua enfin la bouée n° 1 du chenal n° 6, et il aperçut dans la brume un ferry qui se dirigeait vers la RFA. En milieu d’après-midi, des éclairs zébrèrent le ciel, le vent forcit et la pluie se mit à tomber. Une heure plus tard l’orage se calma, et comme dans un rêve, il aperçut la côte de l’île de Fehmarn (RFA) face à lui ! Un plaisancier surpris de voir quelqu’un nager à cette heure et en cet endroit vint à sa rencontre. « Zone Est ! Zone Est ! » lui hurla-t-il. L’équipage stupéfait l’aida à monter à bord avant de lui servir des rasades d’un café bien chaud. Il avait la peau violacée et plissée, les épaules douloureuses, mais il avait réussi et recouvré la liberté.
Le 9 novembre 1989, le système politique de la République démocratique allemande est à bout de souffle et son économie exsangue. Günter Schabowski, membre du bureau politique, ancien directeur du quotidien Neues Deutschland déclare lors d'une conférence au Centre de presse international, et à la suite d'un quiproquo : « Les demandes de voyages privés à l’étranger peuvent être déposées sans conditions préalables ni motif du déplacement ou liens familiaux. Les autorisations seront délivrées sans délai. Les divisions compétentes – passeport et contrôle de l’habitant – des commissariats de la Volkspolizei en RDA ont pour consigne de délivrer immédiatement des visas de sortie définitive sans appliquer les conditions encore en vigueur actuellement. Les sorties définitives peuvent être effectuées via tous les postes frontières entre la RFA et la RDA ». Un brouhaha envahit la salle et Günter Schabowski semble seulement prendre la mesure de ses propos. Les téléscripteurs des agences de presse crépitent, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Des centaines de milliers d'Ossis (citoyens de l’Est) se ruent vers les postes frontières provoquant d’énormes embouteillages et forçant les garde-frontières à ouvrir la barrière. Les établissements financiers de RFA sont pris d’assaut, ils offrent 100 DM à tout citoyen est-allemand passé à l'Ouest, ils seront 16 millions de bénéficiaires ! Les cabas sont remplis de victuailles, kiwis, avocats fruits exotiques inconnus en RDA, voire de matériel hi-fi ou disque tandis que frau Merkel n'a qu'une envie..., manger des huitres à l'ouest...
Schabowski déclarera : « Nous étions coincés, nous avions prévu d’autoriser les voyages en décembre. Mais l’ambassade de la RFA à Prague était pleine de réfugiés. Nous avons donc décidé d’ouvrir le mur le 10 novembre à 4 heures du matin. Le 9, à 7 heures du soir, les Berlinois se sont rués vers l’Ouest. À cette époque, j’étais encore communiste, mais pas idiot. J’espérais sauver la RDA. Mon idée était de faire payer la République fédérale qui ne pouvait s’offrir une Sicile misérable à sa frontière. Nos concitoyens ne nous ont pas crus. Aujourd’hui, le PDS (Parti du socialisme démocratique) exploite la nostalgie de la RDA en répétant : l’emploi y était garanti. C’est une escroquerie, puisque nous ne pouvions plus payer ». La monnaie européenne a été une conséquence de l'absorption de la RDA afin de renforcer la communauté par l'Union économique monétaire (traité de Maastricht février 1992).
Les archives de la Stasi : photographies, enregistrements, microfilms, fiches numérisées sont disponibles : https://www.bstu.de/en/access-to-records/access-for-private-individuals/ Plus de 50 millions de pages déchiquetées sont en cours de reconstitution grâce à un logiciel. Les archives concernant les activités de la Stasi à l'étranger on peu de chance d'être disponibles un jour, cela pourrait conduire à la découverte de taupes, n'oublions pas que la RDA a abrité, sciemment, des terroristes qui ont ensanglanté l'Europe ! « J’ai passé ma vie à essayer de fabriquer l’homme parfait. C’était une erreur. Ici, les gens sont souvent plus bornés que nous ne l’étions nous-mêmes, mais ils sont adaptables, vivants. Ils m’ont fait découvrir une notion que j’exécrais, la patrie » (Schabowski).
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