• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Le cas Juppé : les promesses d’une cohabitation à lui tout (...)

Le cas Juppé : les promesses d’une cohabitation à lui tout seul

Cet article a été publié initialement sur mon blog le mercredi 27 mai 2015.

Le week-end de Pentecôte nous a valu une riche moisson de sondages (*) concernant tant l’exécutif que l’opposition. A propos de cette dernière, selon une étude Odoxa pour le journal Le Parisien réalisée les 22 et 23 mai, il ressort que les Français qui se déclarent prêts à participer à la primaire UMP de novembre 2016 donneraient leurs voix à parts égales à Nicolas Sarkozy et Alain Juppé au premier tour (39 %) ne laissant que 12 % à Bruno Lemaire, puis 5 % à François Fillon. Au second tour, les mêmes choisiraient sans hésitation Juppé à 55 % contre 45 % pour l’ancien Président. 

Dans le détail des choix, on voit que l’avance d’Alain Juppé dépend très fortement des électeurs centristes qui se déclarent en sa faveur à 80 % tandis que Nicolas Sarkozy garde la main auprès des sympathisants UMP avec 58 %. C’est une première réserve qu’on peut exprimer quant au résultat de cette enquête : la primaire sera-t-elle ouverte au centre ou non ? Les souhaits sont partagés, et pour cause.

Odoxa poursuit son enquête en s’intéressant aux intentions de vote pour la Présidentielle de 2017 qui aura lieu dans deux ans. Au premier tour, François Hollande est éliminé au profit du candidat de la droite, que ce soit Juppé ou Sarkozy, et de la candidate du FN, Marine Le Pen.

Mais là encore, Juppé domine : il obtient 34 % contre 31 % à Marine Le Pen et 16 % à l’actuel Président de la République. Dans ce cas de figure, François Bayrou a en effet affirmé qu’il ne serait pas candidat. En revanche, en cas de candidature de Sarkozy pour l’UMP, il se présenterait et les résultats du sondage deviennent : 30 % pour le FN, 25 % pour Sarkozy, 17 % pour Hollande et 12 % pour Bayrou. Au second tour, Juppé gagne haut la main face à Marine Le Pen (67/33), tandis que Nicolas Sarkozy n’obtient « que » 59 % contre 41.

Comme, du côté de l’exécutif, les Français sont 76 % à juger que François Hollande est un mauvais Président, on pourrait vite s’imaginer que tout est plié et replié pour 2017 et qu’Alain Juppé est en piste pour la prochaine présidence. Le fait est que la presse en général ainsi que d’autres groupes d’influence tels que le Medef, cherchent à nous vendre à tour de bras du Juppé qui serait un candidat « acceptable » pour les Français, « consensuel », et même très « médiatique ».

Après avoir déclaré sur son blog en août 2014 son intention de se présenter à la primaire de son parti, on l’a vu à l’université d’été du Medef dès la fin août. Plutôt silencieux face à un ancien ambassadeur chinois qui se moquait de nos 35 heures, il est redevenu loquace pour soutenir le Pacte de responsabilité proposé par le gouvernement. L’automne venu, il s’est employé à faire le tour des grands titres de presse, dont un véritable bouquet final sous la forme d’un entretien de sept pages dans le magazine emblématique de la « République bobo » Les Inrocksqui n’hésite pas à parler de Juppémania à droite, au centre et à gauche, dans le but d’éviter autant Le Pen que Sarkozy. L’effet est tellement détonnant que certains commentateurs, comme marianne.net, en viennent même à se demander si Les Inrocks n’auraient pas fait ça dans le but inavoué de couler « Alain » dans un « flood de coolitude hyper hype. »

Cependant, les sondages ci-dessus donnent lieu à au moins deux réserves supplémentaires. Tout d’abord, le facteur temps. La primaire UMP n’aura lieu que dans dix-huit mois, et les élections présidentielles dans deux ans. Pour le gouvernement, c’est un temps très court pour aboutir ou du moins pour espérer voir se concrétiser un retournement conjoncturel annoncé régulièrement depuis 2012. Mais pour des électeurs, c’est très loin, d’autant que les élections régionales sont prévues entre temps, que tous les candidats ne sont pas déclarés et que les programmes de gouvernement sont encore très flous pour ne pas dire inexistants. Dans ces conditions, il est périlleux de tirer des conclusions définitives de réponses données aujourd’hui à une éventualité presque située à l’infini.

Surtout, les échantillons utilisés par Odoxa pour l’enquête sur la primaire sont tellement restreints qu’il y a lieu de s’interroger sur la validité des résultats. Sur un groupe représentatif de 911 personnes, seules 10 % d’entre elles ont déclaré être absolument certaines de voter lors de cette primaire. L’institut a donc dû rajouter les personnes qui pensent probable d’y aller, soit 17 %. On arrive à un échantillon de 267 personnes. On est en plein dans la « loi des petits nombres » que j’évoquais dans un article sur les biais cognitifs (disponible aussi sur Agoravox).

Mais sur le plan politique, il y a plus grave. Qui est Alain Juppé ? « Le meilleur d’entre nous » disait Jacques Chirac. Une manière de le couler façon Inrocks ? C’est très possible. Aussi bien comme adjoint de Chirac à la mairie de Paris que comme son premier ministre de 1995 à 1997, Alain Juppé a souffert des actions et des inactions de son mentor. En 1995, Jacques Chirac a fait campagne sur la « Fracture sociale »(copyright Emmanuel Todd) ce qui a sonné aux oreilles des Français comme une garantie de subventions, et non comme une demande d’effort de la part des catégories privilégiées. En conséquence, la réforme de la sécurité sociale engagée par Juppé s’est fracassée sur les retraites, notamment sur le projet d’harmoniser la durée des annuités du secteur public sur celle du secteur privé. Ce furent les grandes grèves de l’hiver 1995, qui trouvèrent leur épilogue dans le retrait du texte, retrait annoncé par Jacques Chirac lui-même. Mais les capacités d’Alain Juppé à agir en grand réformateur politique en ont pris un coup.

Peu de temps auparavant, Juppé avait été confronté à l’affaire du logement de son fils dans un appartement de la ville de Paris situé rue Jacob à un tarif bien en dessous du marché. Il ne fut pas poursuivi, mais sa popularité amorce alors une inexorable descente. En 1997, il est remplacé comme premier ministre par le socialiste Lionel Jospin suite à l’idée catastrophique et complètement ratée de Jacques Chirac et Dominique de Villepin de provoquer des élections législatives anticipées afin de renforcer la majorité. En 1999, il est impliqué directement dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris du temps où il y officiait. Suite à un procès en appel, il est condamné en décembre 2004 à 14 mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité. Suit pour lui un longue traversée du désert, de laquelle il sort miraculeusement à la fois blanchi de tout et consensuel sur tout.

Comme s’il était décidé dorénavant à ne pas faire la moindre vague et à ne plus troubler le moins du monde la quiétude des Français, il a trouvé la définition qui, à la fois, rassemble, rassure et laisse espérer : « Je suis libéral, social et gaulliste » nous dit-il (comprendre le dernier qualificatif comme étatiste). Concrètement, cette attitude s’exprime dans les nombreux désaccords qu’il a avec son propre parti, et les nombreuses convergences qu’il se trouve du côté du Modem et éventuellement avec le gouvernement. A titre d’exemple, on peut citer son opposition au Ni Ni préconisé par l’UMP lors des élections législatives partielles dans le Doubs. On peut citer son constant souci d’obtenir le soutien d’une partie de la gauche. Il se positionne comme l’unique recours d’un front républicain anti FN. Le programme qu’il a commencé à ébaucher est une sorte de Loi Macron : il est question d’apporter quelques petites touches de modernisation à l’économie, sur les 35 heures et sur l’âge légal de départ à la retraite, mais sans changer les fondamentaux d’un Etat puissant et protecteur.

Dès lors, on peut dire qu’Alain Juppé s’est construit un profil de candidat présidentiel, non pas d’opposition, mais de cohabitation avec lui-même dans laquelle se retrouve douillettement un peu tout le monde : si, pour toutes sortes de raisons, vous ne voulez ni de Hollande, ni de Sarkozy ni de Marine Le Pen, votez pour la continuité politique douce que vous promet la cohabitation d’un candidat de droite, qui se dit libéral et social, avec ses propres idées gaullistes, c’est à dire étatistes.

Pour l’instant, ça plait, mais comme je le disais, 2017 est encore loin, d’autant que de son côté, et de la même façon, François Hollande s’active pour se retrouver au second tour contre la candidate du Front national. Et comme je le pense, ce n’est pas du tout ce type de politique dont notre pays a besoin. On ne peut pas espérer vivre éternellement sur des reprises conjoncturelles dont la lourdeur étatique de notre économie ne nous permet même pas de tirer parti rapidement et au mieux. La France a besoin de réformes structurelles profondes, à commencer par le recul de l’Etat dans son économie et dans la vie de ses citoyens.


(*) J’ai eu l’idée de cet article en lisant un billet de Bruno Bertez « Sondages : Effritement de Valls, Stratégie adaptée de Hollande. »

 

Moyenne des avis sur cet article :  3.5/5   (4 votes)




Réagissez à l'article

1 réactions à cet article    


  • jeanpiètre jeanpiètre 28 mai 2015 16:18

    bref, pour remplacer la « gauche » affairiste et corrompue , le choix à droite se fera entre un repris de justice et un mis en examen coupable de haute trahison s’il n’avait pas réformé la constitution.


    Ca fait rêver.
    A MORT LES PARTIS
     

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité