Le clientélisme chiraquien et la démoralisation de la démocratie française
Il y en a qui ne sont vraiment pas difficiles. Il paraîtrait que la condamnation du président Chirac, dans l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris, pour « abus de confiance », « détournements de fonds publics » et « prise illégale d'intérêt » est le signe de la bonne santé de la démocratie française : preuve serait ainsi apportée que nul n’est au-dessus des lois. Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir !
1- Une justice contrainte malgré elle de prononcer une condamnation symbolique
Aussi corrompue soit-elle aujourd’hui, l’institution judiciaire ne pouvait faire autrement que d’infliger une peine toute symbolique à l’ancien président au regard des délits reprochés.
1- La cohorte de subordonnés condamnés
A-t-on oublié la cohorte de ses collaborateurs qui l’ont précédé dans les prétoires et qui ont été condamnés eux aussi à des peines symboliques, car l’ombre du « commandeur » qu’était le président Chirac, planait au-dessus des débats et ne pouvait être atteinte par la Justice ?
On ne retiendra pour mémoire que son fidèle lieutenant – « le meilleur d’entre nous ! », disait-il de lui et pour cause. Il a été condamné en première instance, le 30 janvier 2004, pour les mêmes griefs par le tribunal correctionnel de Nanterre à dix-huit mois de prison avec sursis et à une peine de dix ans d’inéligibilité : « Alain Juppé, lisait-on dans le jugement, a, alors qu’il était investi d’un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain ». En appel, le 1er décembre 2004, la cour se montrera d’une magnanimité incroyable, en réduisant sa peine à quatorze mois de prison avec sursis et seulement un an d’inéligibilité, sous prétexte que « ces infractions (avaient été) commises au bénéfice de l’ensemble des membres de son parti, dont il ne (devait) pas être le bouc émissaire. »
Si les subordonnés avaient ainsi été condamnés, la justice pouvait-elle faire moins avec « le commanditaire » ?
2- L’aveu par le remboursement de la Mairie de Paris
Une autre raison contraignait les juges à la décence dans la clémence. En remboursant à la Mairie de Paris l’argent détourné, le président Chirac avait avoué implicitement ses fautes.
3- Un ultime sursaut pour sauver les apparences contre un Parquet asservi
Certes les juges auraient pu se vautrer dans l’ignominie sur la carpette du parquet… comme le Parquet qui plaidait, sans honte aucune, la relaxe. Si bas soient-ils tombés, et toute honte bue, ils n’en ont pas eu le courage, dans un dernier sursaut « d’honneur » peut-être pour tenter de sauver les apparences auprès des naïfs, car ils sont nombreux !
2- Une institution judiciaire méthodiquement corrompue sous la présidence Chirac
Et pourtant, il y a belle lurette que les apparences ne sont plus sauves. Déjà la présidence Mitterrand les avait ruinées avec, par exemple, « l’affaire des Irlandais de Vincennes » et « celle des écoutes téléphoniques » dont l’issue judiciaire n’est survenue que le 30 septembre 2008, soit respectivement 26 ans et 15 ans après les faits !
Les affaires dans lesquelles l’ancien président Chirac a lui-même été impliqué depuis 20 ans et plus, ont fini par bouleverser l’institution judiciaire française. La volonté d’échapper aux poursuites coûte que coûte l’a, en effet, conduit à user de tous les moyens :
1- Un harcèlement procédural
Ses avocats ont multiplié toutes les roueries juridiques formelles pour retarder le plus possible les procédures.
2- La soumission contrainte des juges
Plus gravement les juges ont été contraints ou de se soumettre ou de se démettre. Cela n’a pas été trop difficile à la majorité d’entre eux dont la culture, selon le procureur de Mongolfier, est celle de « la soumission » (1).
Quant aux juges indociles, ils n’ont eu d’autre issue que d’abandonner sous diverses pressions. Qu’on se souvienne des juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky, ou encore du juge Halphen décrivant dans un livre ses « Sept ans de solitude », après avoir jeté l’éponge ! (2)
3- La nomination d’hommes de confiance aux postes-clés
Des hommes et femmes liges ont été nommés aux postes stratégiques de l’institution judiciaire pour contrôler toute procédure susceptible de menacer l’ex-président alors en exercice.
4- Une modification de la constitution à des fins individuelles
La constitution a même été modifiée par les bons soins du Conseil constitutionnel et de la Cour de Cassation pour assurer une immunité totale au président en cours de mandat.
5- Un message de soutien sans faille à l’autorité
Plus généralement, un message a été ainsi envoyé, du haut en bas de l’institution judiciaire, pour vouer à l’échec toute action entreprise contre une autorité. Aujourd’hui, un procès intenté à une autorité a toutes chances d’être perdu. Le Droit est ridiculisé, : jeux de mots, euphémismes et même raisonnements illogiques permettent au juge d’écarter toute qualification du délit et, ce faisant, toute condamnation de l’autorité poursuivie.
Or quand l’institution judiciaire, dernier rempart de la cohésion sociale, ne remplit plus sa mission, c’est le contrat social démocratique qui est menacé.
3- La démoralisation de la vie politique française
Au-delà de l’institution judiciaire qui a été corrompue, c’est la vie politique française qui a été démoralisée par le clientélisme chiraquien, nourri de l’argent prélevé illégalement sur les marchés publics ou les collectivités territoriales. Le débat politique en a été faussé : un parti prédateur jouissait ainsi de moyens considérables pour imposer ses vues par le jeu d’un réseau clientélaire couvrant tout le pays.
Il est évident que si le condamné d’aujourd’hui l’avait été il y a 16 ans pour « abus de confiance », « détournements de fonds publics » et « prise illégale d'intérêt », jamais il n’aurait été élu président de la République.
Il faut décidément se contenter de peu pour oser prétendre que cette condamnation symbolique d’aujourd’hui est une preuve du bon fonctionnement des institutions démocratiques françaises. De quoi est-elle surtout le symbole ? De l’état déplorable où laissent la démocratie française un ancien patron et son réseau clientélaire prédateur. Il n’y a pas de quoi se réjouir. Tout est par terre et donc à reconstruire. Combien de temps ça prendra ? Nul ne le sait. Paul Villach
(1) Éric de Montgolfier, « Le devoir de déplaire », Éditions Michel Lafon, 2006.
(2) Éric Halphen, « Sept Ans de solitude », éditions Gallimard, coll. « Impacts », Paris, 2002,
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