Le crash du 777 en Californie, une redite ?
J'adore Gérard Feldzer, l'ancien responsable du Musée de l'Air, car c'est un pro d'une compétence rare et un pédagogue-né, drôle et féru, régulièrement appelé par les médias pour donner son avis éclairé sur un problème touchant à l'aviation. En l'occurence ici le crash à San-Francisco du 777 d'Asiana Airlines à la suite de sa traversée du Pacifique, un crash survenu ce week-end. L'ineffable spécialiste, interviewé hier soir encore par David Pujadas, qui avait déjà la solution toute faite au problème, c'est évident : selon lui, c'est l'instructeur du pilote alors toujours en formation qui serait le principal responsable de l'accident, thèse que semblait appuyer Feldzer, en dehors de toute défaillance mécanique comme il le semble à la vue des toutes premières investigations. C'était peut-être aller un peu vite en besogne cette fois, de sa part, même si des éléments troublants montrent qu'il peut aussi être dans le vrai. Car personnellement, cet accident m'en a rappelé surtout un autre, survenu il y a cinq ans ; avec le même type d'appareil et des circonstances assez similaires. Cette fois-là, on avait découvert tardivement une raison mécanique (assez surprenante) au crash... revue de détail de l'accident, pour vous éclairer davantage sur ce qui s'est réellement passé à San Francisco.
L'avion d'Asiana, société réputée pour sa fiabilité (elle possède une note de 6 sur 7 dans le domaine -par Airline Ratings-, et elle est au deuxième rang des compagnies sud-coréennes, n'ayant connu que deux accidents mortels en 25 ans de carrière), s'est visiblement posé trop court, sa queue ayant heurté le sol au moment où les pilotes redressaient l'appareil en s'apercevant de leur erreur d'appréciation. La vidéo montrant l'accident est terrible, montrant un avion de près de 150 tonnes à vide (et 307 passagers et membres d’équipage) rebondissant nez levé dans un nuage de poussière gigantesque avant de s'écraser ; la queue déjà séparée du reste de la carlingue (et restée sur la piste). Encore heureux qu'il ne se soit pas retourné sur lui-même ! Si le faible nombre de morts à comptabiliser relève du miracle, les sauveteurs ont déjà évoqué des passagers à la colonne verticale brisée par les "g" que cet "à plat" leur a fait subir (il rebondit de toute sa longueur en l'air !). L'appareil n'a pu utiliser que la moitié de ses issues de secours, et le personnel naviguant, exemplaire, au sang-froid extraordinaire, est allé délivrer à la hache des passagers coincés sur leur siège par leur ceinture bloquée. On passe rapidement sur l'autre tragédie survenue, celle de deux jeunes chinoises éjectées avec la queue brisée de l'appareil et dont l'une d'entre elle aurait peut-être été tuée par l'un des lourds véhicules de secours arrivés très vite sur la scène du crash (on parle aussi d'une jeune découverte près d'un des toboggans avant déployés), pour en arriver à examiner les premiers documents fournis par le bureau d'investigation américain. Ils ne semblent pas indiquer un défaut d'analyse des deux pilotes aux commandes de toute la séquence d'approche de l'appareil, ce que résume un seul graphique, que voici :
Le vol le plus différent (en bleu) des autres, n'est en effet pas celui de la catastrophe mais celui du 5 juillet, la veille, où un avion similaire avait approché à 10 000 pieds seulement (3050 m) à 10 minutes de l'atterrissage, contre 35 000 (10 700 mètres) pour tous les autres, y compris celui terminé en catastrophe. Aux abords de la piste, si on compare les 3 derniers 777 qui s'étaient posés à cet endroit, les vols de United, ou d'Ana sont toujours similaires (sauf celui de United 396, qui a déclenché bien plus tard sa descente). En tout cas, ce n'est donc pas une approche ratée, sauf pour les tous derniers instants du vol, qui, sur ce deuxième graphique, montrent déjà que l'avion est effectivement plus bas (mais de peu).
Un troisième dessin montre que dans les 30 dernières secondes, cela semble bien être une erreur d'appréciation cette fois : là, l'appareil est celui qui se présente au plus bas, ce que corrige un des pilotes à deux secondes seulement avant de heurter le sol, mais il est déjà trop tard : la queue a déjà touché... en somme, ce sont les trente dernières secondes d'un vol de de 10 heures et 23 minutes (il venait directement de Séoul) qui ont été fatales... l'avion a manqué la piste de 500 à 1 000 pieds, notent les commentateurs (entre 150 et 300 mètres à peine). On songe vite à un état de fatigue possible des pilotes, mais d'autres indicateurs intriguent. Le NYT fera remarquer que tout s'est joué à 90 secondes de l'impact, avec une brusque rupture dans la ligne de descente, l'avion perdant 600 pieds (182 m) en 9 secondes seulement, au lieu des 150 seulement qu'il aurait dû perdre. A quoi correspond ce "trou" d'air, nous allons le découvrir...
Selon certains passagers témoins de l'accident, l'avion n'avait pas non plus le nez fort pointé vers le bas durant la phase de l'atterrissage (l'appareil semble en revanche beaucoup trop cabrer le nez vers le haut sur la vidéo, mais dans les derniers instants seulement). La vidéo avait surtout montré un avion particulièrement lent lors de son approche. Un élément relevé d'emblée par les enquêteurs, qui montrait que quelques secondes avant le crash, l'avion était bien en dessous de la vitesse requise habituellement pour atterrir, sans être pour autant déjà en situation de perte de portance totale ("stall"). Il était effectivement très lent au final : à l'impact, il était 64 kilomètres/heure en dessous de sa vitesse d'atterrissage recommandée ! Trois secondes avant ; il était descendu en effet à 119 mph (191 km/h), contre 158 mph normalement (254 km/h) ; quatre secondes avant le crash, le cockpit avait enfin retenti de l'alerte de "stall". Sept secondes avant l'impact, les pilotes semblaient envisager d'avorter l'atterrissage, selon le bureau des enquêteurs et les discussions entendues à bord. A noter que c'est le premier accident mortel de passager dû à ce type d'appareil, apparu en 1995 sur les vols commerciaux. Et à noter aussi que le pilote, de 1999 à 2004, n'était pas un néophyte des gros porteurs ou de cette piste, qu'il connaissait bien pour y avoir posé à plusieurs reprises un avion plus lourd : un Boeing 747-400M (combi, mêlant fret et passagers), doté des mêmes moteurs PW4000, dont il devait donc connaître le temps de réponse (même si là il s'agissait de quatre réacteurs au lieu de deux). Aurait-il trop réagi ce jour-là en songeant à ces montures précédentes et à leurs quatre réacteurs ?
L'appareil était bien piloté manuellement, n'avait pas enclenché de procédure automatique de descente (ILS). Le pilote automatique avait été effectivement coupé à 1 600 pieds d'altitude (490 mètres) et à 82 secondes avant le crash, l'avion étant alors déjà relativement lent, mais dans des normes respectables : à 1 400 pieds (426 mètres), il était toujours à 196 mph (315 km/h). La reprise en mains du pilote correspond justement à la courbe interrompue d'axe de descente aperçue dans le schéma N°3 : c'est à ce moment-là que l'appareil a perdu 600 pieds d'un coup, preuve qu'il manquait de puissance aux réacteurs, ou que le pilote s'attendait à davantage de "reprise" de la part de sa machine. A la fin, l'avion montre une vitesse bien en dessous des normes. Visuellement, les pilotes pouvaient voir s'ils étaient trop bas ou non, grâce aux quatre feux installés sur le bord de la piste 28 où ils devaient se poser. Les lumières du Precision Approach Path Indicator or (PAPI), une amélioration du Visual Approach Slope Indicator (VASI), indiquent en effet si la pente de 3° de descente est bonne pour toucher la piste au bon endroit. Au delà de deux lampes allumées, dans un système à 4 lampes comme celui de la piste N°28, l'avion est trop bas. Le système est visible ici en vidéo. Efficace, il tend à conclure que les pilotes à bord ne l'avaient pas suivi : cela pourrait à la limite se comprendre plus ou moins pour l'un d'entre eux, absorbé par les tâches à faire lors de l'atterrissage, mais les deux à la fois cela pose question en effet ! Pour se poser quelque part, il faut au moins regarder devant soi ! Il est donc impossible que l'un d'entre eux n'ait pas vu ces signaux alarmants (d'où peut-être le coup de puissance demandé aux moteurs à deux secondes seulement avant l'impact). Dans la cabine, ils étaient en fait... quatre observateurs de la piste en vue : le pilote, un formateur (expérimenté), et deux autres membres d'équipage présents ! L'erreur de pilotage semble donc évidente, et pourtant...
L'appareil accidenté est d'un modèle 777-28E/ER un Boeing 777-200 équipé de réacteurs Pratt&Whitney PW4000. Or, chez moi, et dans mes archives, cet accident en rappelle un autre, survenu le 17 janvier 2008 en Angleterre, à Heathrow. avec un Boeing 777-236ER, équipé en revanche de réacteurs Rolls-Royce Trent 895. L'avion du vol BAE 38 revenait lui de Beijing en Chine après un très long vol, lui aussi. Ce sont les photos du crash de Londres qui m'avaient rappelé quelque chose : ce jour-là aussi, l'avion s'était écrasé juste en atteignant le début de piste, train sorti, comme en Caiifornie, mais il était tombé brusquement cette fois avec une telle force que l'une des jambes de train, la gauche, restée verticale, avait traversé l'aile (l'autre à droite s'était carrément arrachée, comme à San Francisco). L'avion avait amorcé une descente trop basse, et quand le pilote avait voulu remettre les gaz, il s'était aperçu que la puissance des moteurs ne se déclenchait pas. L'avion était alors tombé lourdement en tout début de piste. Fort lourdement, blessant 43 personnes sur les 136 à bord.
L'enquête s'était dirigée assez vite vers les réacteurs, puis sur la qualité du carburant. Ou plutôt sur sa température : alors que le carburant aviation employé tient les -47°C, des tests avaient montré que ce jour-là le carburant ne se serait pas mis à geler avant -57°C, et que de toute façon, durant tout le vol, sa température n'était jamais descendue au delà de -37°C. Mais avant de geler, ce même carburant avait beaucoup perdu en viscosité, et les enquêteurs s'étaient longtemps demandé si ce n'était pas ça l'origine du problème. Mais ce n'était pas ça qui avait causé le crash, mais une chose plus subtile, avec l'apparition iinnatendue de cristaux de glace dans des filtres huile/essence des échangeurs de chaleur du réacteur Rolls-Royce. Les enquêteurs avaient fini par déterminer que l'avion avait survolé la Mongolie, la Siberie et la Scandinavie, entre 10 600 et 12 200 mètres, là où les températures peuvent descendre jusque -65°C voire -74 °C, ce qui avait givré les échangeurs, qui s'étaient ensuite débrarrassé de leur glace. Mais cela s'était soudain reproduit par fusion et accumulation successives à quelques mètres seulement de l'arrivée de la piste, avec la fonte brutale d'une autre partie jusqu'ici givrée. Une importante cavitation avait suivi, en sortie de pompe, empêchant un flux normal d'essence de passer, d'où la perte de puissance constatée aux moteurs. "Les premiers symptômes de la restriction de débit de carburant ont été remarquées par l'équipage à bord à 720 pieds (220 m) de hauteur et à 2 milles (3,2 km) de la distance du point d'atterrissage, lorsque les moteurs ont échoué à plusieurs reprises pour répondre à une demande accrue de poussée. En tentant de maintenir la pente avec le système d'atterrissage aux instruments (ILS),, le pilote automatique a sacrifié la vitesse, qui a été réduite à 108 noeuds (200 km / h) à 200 pieds (61 m d'altitude). Le pilote automatique a été déconnecté à 150 pieds (46 m ), quand le co-pilote a repris le contrôle manuel. Pendant ce temps, le capitaine réduisait le réglage des volets de 30 degrés à 25 degrés afin de diminuer la traînée de l'avion et pour prolonger le vol plané"... L'avion est passé au-dessus de la circulation sur l'autoroute A30 et sur la route du périmètre sud de l'aéroport, y compris au dessus d'une voiture transportant alors le Premier ministre britannique Gordon Brown, et a atterri sur l'herbe à environ 890 pieds (270 mètres) avant la piste. Le capitaine a déclaré une urgence à la tour de contrôle quelques secondes avant l'atterrissage" nous précise Wikipédia. Etrangement, cela correspond assez à ce qui vient de se passer en Californie, à part la demande répétée de puissance des moteurs qui avait échouée et l'usage de l'approche automatique jusqu'au tout dernier moment (ci-dessous la commande des deux moteurs au centre du cockpit- le 777 n'a pas de "joystick" sur les côtés mais de bon vieux manches à balai).
Vous allez me dire, OK, mais ça se passait en Angleterre avec des réacteurs faits maison. Certes, mais le 26 novembre 2008, aux USA, un appareil 777 (N862DA) de Delta Airlines (ici à gauche) avait subi une avarie similaire, mais sur un seul moteur, selon l'America's National Transportation Safety Board, qui avait diligenté une enquête sur le vol DL18. L'avion avec à bord 232 passagers et 15 membres d'équipage venait de Shangaï (en Chine) et se rendait à Denver (dans le Colorado, après plus de 10 heures de vol là encore) : cette fois encore c'était un moteur Trent 895 qui avait montré une soudaine absence de puissance (en plein vol cette fois) pour les mêmes raisons. Chez Pratt-Whitney, on vient d'envoyer à San Francisco des spécialistes pour examiner les réacteurs du vol d'Asiana. Ne serait-on pas en présence d'un problème similaire ayant touché auparavant les réacteurs Rolls-Royce à la place d'une simple erreur de pilotage non reprise par un instructeur, ou trop tardivement comme semble en être convaincu Gérard Feldzer ? La raison pouvant en être différente : en juin dernier, l'appareil avait été cloué au sol pour des fuites d'huile sur un des moteurs. Selon les toutes dernières infos, ces derniers auraient correctement répondu à la toute dernière demande de puissance effectuée (ce que la boîte noire devrait donc confirmer, mais ce dont doutent certains passagers). Les chiffres montrent que l'appareil avait bien tenté de reprendre de la vitesse, en effet, passant de 112 nœuds (207 km/h) à 149 (275 km/h).
N'aurait-on pas quand même un peu trop vite jeté l'opprobe sur les seuls pilotes à bord ? Car il subiste une autre inconnue : lors des premiers debriefing, un des participants avait déjà soulevé le problème de la manette des gaz, qui avait été réglée sur la vitesse souhaitée par l'équipage sud-coréen (comme pour Heathrow !) : visiblement, cette dernière avait été trop faible sur le tout dernier kilomètre de vol : l'automatisation était-elle en cause, ou les pré-réglages des pilotes ? C'est un peu l'histoire de la poule et de l'œuf en ce cas ! A Heathrow, c'était bien l'automatisme de pilotage, qui avait choisi de maintenir la pente de descente au détriment de la vitesse qui avait été un des éléments de l'accident, en plus de l'arrivée défectueuse de kérosène. Ne serions nous pas dans une optique similaire à San Francisco, avec une dernière minute et demie de vol contenant le nœud du problème ? Ne serait-on pas allé un peu vite en besogne, en ce cas, en incriminant les seuls pilotes (aujourd'hui l'instructeur), sans songer à s'intéresser aux choix de l'automatisme que ces derniers auraient fait, ou de l'usage même de cet automatisme ? En conclusion, notre ami Feldzer en était arrivé à un problème de formation des pilotes. On pourrait ajouter à un problème de confiance en l'automatisme ou non, durant cette formation...
Chaque catastrophe en aviation est suivie d'enseignements pour éviter que ça ne se reproduise. Gageons que dans les semaines à venir on édite de nouvelles recommandations sur les réglages du pilote automatique des appareils en phase de descente vers l'atterrissage. Nous verrons bien ce que donnera l'enquête, dont je vous ferai part des résultats dès qu'ils seront connus, bien entendu.
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