Le fabuleux destin des paradis fiscaux
Nous entendons aujourd’hui parler à satiété des paradis fiscaux et de leur toxicité, mais bizarrement, nous n’entendons jamais parler de leur fonction sociale. Or, la fonction sociale du paradis terrestre pour les uns (enfer terrestre pour les autres) est au coeur du problème : elle révèle, à elle seule, la puissance et la fragilité de l’Empire (http.//www.voltairenet.org/mot266ht...) américain. Les paradis fiscaux ont toujours existé, il en fut par exemple fait grand usage par les nazis. Ce sont d’ailleurs les nazis qui ont commencé à utiliser le paradis fiscal de façon quasi institutionnelle afin de s’assurer que le produit de leurs rapines soit à l’abri de leur peuple et que les impôts n’aient jamais rien à en dire. Malgré tout, ces paradis fiscaux occidentaux traditionnels existaient « à la marge », de façon officieuse, ils n’étaient pas un rouage essentiel de l’économie. La différence entre l’avant et l’après seconde guerre mondiale est de taille. La domination américaine a changé en profondeur la quantité mais surtout la « qualité » des paradis fiscaux. En quantité, le nombre des paradis fiscaux a subi une phénoménale augmentation, certains Etats n’ayant d’autre raison d’être que celle de l’offshore financier (pour une cartographie des principaux paradis fiscaux : http://www.france24.com/static/info...). En terme qualitatif, les paradis fiscaux anglo-saxons ont acquis un satut social : ils font maintenant partie intégrante, en tant qu’Etats indépendants, de l’organisation politique globale voulue par les USA ou plus précisément voulue par ce que certains géopolitologues (voir par exemple Peter Dale Scott, Aymeric Chauprade...) ont appelé du terme « d’Etat profond » américain. Cet « Etat profond », qui tient les commandes de la politique intérieure et extérieure américaine via l’économie et « les services » est tout entier initié par les familles qui contrôlent la FED (http://lereveilmondial.over-blog.co...). On a ainsi vu fleurir dans les années 60, 70 et 80 tout un tas de micro Etats devenus subitement indépendants dont la souveraineté est aussi artificielle que l’est leur économie, entièrement fondée sur l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent au profit de l’empire. A titre d’illustration, citons par exemple, les îles Caïmans ou la Barbade qui a acquis en 1966 son indépendance formelle en qualité de Royaume du Commonwealth. Nous pourrions encoure citer les MAldives, protectorat britannique jusqu’en 1965 date à laquelle ces îles acquièrent leur indépendance formelle. En 1976, les Seychelles forment un Etat indépendant membre du Commonwealth. Ancienne colonie britannique Antigua et Barbuda devient indépendante en 1981 en tant que Royaume du Commonwealth et adhéra dans la foulée à l’Organisation (régionale) des Etats de la Caraïbe orientale (OECO). Ajoutons Hong-Kong et Singapour dont l’organisation interne et financière reste anglo-saxonne. A cet égard, ces deux dernières régions risquent, bientôt, de devenir des paradis perdus pour les anglo-saxons mais retrouvés pour les chinois ; ce qui a certainement de quoi inquiéter les tenants de la finance anglo-saxonne. Alors même que les USA n’hésitent pas à faire, ou faire faire par l’OTAN ou les « contras », des guerres (même illégales comme en Irak) à des Etats tiers, sous le fallacieux prétexte moralisateur de leur imposer un respect des droits de l’homme qui ne vaut pas pour eux-mêmes, personne n’a jamais entendu parlé d’une quelconque vélléité des USA ou de l’OTAN pour aller envahir et anéantir les Etats parasites tels que les îles Vierges britanniques ou les Caïmans. Tout au contraire, la politique de domination américaine a élevé les paradis fiscaux au rang d’Etats souverains, institutions politiques internationales légitimes à part entière. L’évasion fiscale, qui stricto sensu est un concept illégal, a été récemment doublé d’un concept novateur légal : « l’optimisation fiscale ». Cette « optimisation » est une technique de captation des capitaux par l’empire. Elle fonctionne avec un double ressort. D’une part, l’optimisation fiscale opère à l’intérieur des Etats, par la multiplication des défiscalisations et autres niches fiscales récemment apparues et toujours justifiées par les dirigeants des Etats concernés par la nécessité de rester compétitif, c’est-à-dire attractif pour les capitaux internes et étrangers. D’autre part, l’optimisation fiscale opère à l’échelon international par la mise en concurrence des systèmes juridiques et fiscaux des différents Etats du monde : la localisation judicieuse et par fonction des différentes activités des multinationales associée aux prix de transfert leur permettent de réaliser le maximum d’économie d’impôts. Le concept de prix de transfert a été testé préalablement (sur tout le XXème siècle) sur le territoire américain lui-même à la faveur de son organisation fédérale. Ce concept légal novateur « d’optimisation fiscale » ne pouvait se révéler fructueux pour l’empire qu’à trois conditions. Il fallait premièrement que le principe de liberté de circulation des capitaux soit préalablement instauré : ce fut fait par la création de l’UE, qui n’est autre que l’avènement politique de ce principe, et par la création, en 1994, de l’OMC (accords de Marrakech). L’OMC a notamment pour objectif de faciliter l’avènement mondial du principe de libre circulation des capitaux en déverrouillant au maximum les barrières douanières. Il fallait ensuite que l’argent économisé puisse circuler librement de façon effective ; cette contrainte a entraîné l’utilisation du trust, qui est un vecteur juridique, pour la circulation des capitaux. Il fallait enfin que l’argent drainé puisse être collecté au profit (le plus exclusif possible) de l’Etat dominant : c’est à cet objectif que répond la propagation et la soudaine indépendance politique des paradis fiscaux anglo-saxons qui n’échappent à la domination formelle de la Couronne britannique que pour devenir vassaux des l’Empire américain. Attardons nous un instant sur la notion de « trust ». Le trust, institution juridique anglaise d’origine très ancienne, est le vecteur juridique privilégié de la liberté de circulation des capitaux pour deux raisons. Il permet d’une part l’opacité quant aux propriétaires et à la quantité des capitaux cachés. Il permet d’autre part, parce qu’il est un vecteur juridique, la circulation des capitaux qui y sont cachés partout dans le monde, c’est-à-dire dans tous les Etats où le trust est reconnu. A contrario, le secret des comptes bancaires n’assure qu’un refuge, géographiquement délimité, placé sous contrôle des autorités économico-politiques locales ; ce qui, on s’en doute, ne fait pas les affaires de l’empire. Pour que la libre circulation des capitaux par trust interposés puisse se réaliser pleinement, il est nécessaire que le véhicule juridique « trust » soit juridiquement reconnu dans les différentes parties du monde. Permettons-nous, à ce stade de l’analyse, de faire un aparté franco-français. En matière de droit des affaires, la France connaît suffisamment de structures juridiques pour pouvoir très largement se passer du trust anglais : les codes civil, de commerce et des sociétés connaissent déjà la fondation, l’association, la société anonyme, la société en commandite (simple et par actions), la SARL, la société civile, les holdings, les SICAV, les fonds commun de placement, la société unipersonnelle sous différentes formes... Différentes techniques de transmission du patrimoine existent également, indépendamment du trust, en droit français : donation, donation-partage et autres montages... De même, en matière de sûreté, la loi française connaît suffisamment de mécanismes ayant faits la preuve de leur efficacité : sûretés réelles (hypothèque, gage) ou personnelles (caution). En bref, il n’y avait aucune nécessité justifiée par un quelconque besoin patrimonial, commercial, professionnel ou industriel d’introduire le trust en France ; la seule nécessité provenait de l’ouverture des frontières et du sacro-saint principe politique de liberté de circulation des capitaux. Les capitaux circulent en effet plus librement lorsque la forme juridique dans laquelle ils se cachent est reconnue partout : d’où l’impérieuse nécessité pour les tenants de la mondialisation d’introduire le trust en France. Cette introduction ne fut pas simple, les premières tentatives étant restées infructueuses, mais elle « fut » finalement, grâce aux bons soins du sénateur Philippe Marini, avec l’avènement de la fiducie. La fiducie française est toutefois un ersatz insuffisamment achevé du trust anglo-saxon aux yeux des acteurs juridiques à l’origine de l’introduction de ce concept (le cabinet Sullivan & Cromwell). Analysons maintenant les contraintes liées à la collecte des capitaux drainés au niveau mondial par l’instauration d’un système d’évasion fiscale de grande ampleur. Comment l’empire a-t-il pu organiser la collecte mondiale des capitaux ? Tout simplement en organisant un dense maillage de paradis fiscaux dans lesquels les banques et sociétés financières qui y oeuvrent sont contrôlées par « l’Etat profond » américain, c’est-à-dire les banques et organismes financiers liés à la FED. Les USA, efficacement épaulées par le FMI, l’UE, la banque centrale européenne, l’OCDE et tous leurs pays satellites, ont déclaré une guerre sans merci à tous les paradis fiscaux qui leur échappent (http://www.lefigaro.fr/flash-eco/20...), au premier rang desquels sont les paradis fiscaux locaux, axés sur le secret des comptes bancaires. C’est ainsi que la pseudo lutte ouverte contre les paradis fiscaux se résume en un mot : réduire, et si possible supprimer les paradis fiscaux qui ne sont pas sous la domination des établissements bancaires affiliés à la FED. Dans ce contexte, on comprend que Myret Zaki, par ailleurs peu convaincue par le fait que l’effondrement en cours de l’hégémonie politique américaine est à l’origine des désordres économiques, monétaires et financiers que nous connaissons, se soit émue de ce que les juridictions anglo-saxonnes aient déclaré la guerre à la Suisse (http://www.abroad-fiduciaire.com/fr...). Mais ce n’est pas tout, l’UE, le FMI et la banque centrale européeenne, autant d’organismes liés à « l’Etat profond » américain, ont déclaré la guerre à Chypre, attaquant au passage les avoirs légitimes et illégitimes russes, et critiquent le secret bancaire de l’Autriche (http://romandie.com/news/_Bruxelles...) et du Luxembourg (http://www.lematin.ch/economie/suis... ; http://www.tdg.ch/economie/suisse-l...). Ces dernières attaquent se profilent dans le cadre des fameuses révélations « offshore leaks », émanant d’une soit-disant association de journalistes (ONG) sise à Washington ; révélations arrivées à point nommé pour détourner l’intérêt du public de celles de Julien Assange (les wikikeaks) qui évoquent longuement les liens tissés entre les dirigeants américains des années 1973-1976 et les dirigeants du reste du monde à la même époque (sur les causes et les effets de la domination américaine, voir : http://www.newropeans-magazine.org/...). L’arme fatale au secret bancaire fourbie par les Etas-Unis d’Amérique est une arme juridique, les conventions d’assistance administrative mutuelles en matière fiscale (selon le modèle de l’OCDE : http://www.oecd.org/fr/ctp/echange-...), à plusieurs faces : la moins agressive est l’échange de renseignements sur demande, que la Suisse n’a pas pu éviter, et la plus agressive est l’échange automatique de renseignements, à laquelle la Suisse tente de résister, contrairement à l’Autriche et au Luxembourg. Il faut ici noter que le Luxembourg, en tant que place financière éminemment européeenne, est pour une grande partie sous contrôle des établissements bancaires et financiers anglo-saxons : il ne perd la garantie du secret bancaire que pour voir conforter son statut de paradis fiscal axé autour des trusts. La guerre des USA contre les paradis fiscaux fondés sur le secret des comptes bancaires, dont les capitaux leur échappent, a essentiellement pour objet de drainer les capitaux qui y étaient cachés vers les cieux au service de la finance anglo-saxonne. Les paradis fiscaux dont l’intégrité restera protégée sont ceux qui sont sous la domination des établissements bancaires et financiers liés à la FED. Par une ironie de l’histoire, les évadés fiscaux cachés dans les paradis terrestres anglo-saxons jouent, à leur insu, le rôle de simple collecteurs de capitaux au profit de l’empire. En s’affranchissant des liens de leur Etat, ils préparent leur asservissement à l’empire, autrement plus dominateur. Les évadés fiscaux usagés des paradis anglo-saxons seront fatalement amenés à perdre la libre disposition de leurs capitaux à mesure que croîtront les besoins de financement de l’empire. La domination anglo-saxonne revêt plusieurs habits : domination financière, domination politique et domination militaire. La domination financière existe lorsque les établissements financiers qui gèrent l’évasion fiscale sont sous le contrôle des propriétaires de la très puissante FED. La domination militaire n’a guère besoin d’être explicitée : elle est là ou l’empire américain dispose de bases militaires directes ainsi que là où sont les troupes armées de l’OTAN et même de l’ONU (casques bleus). La domination politique se trouve là où l’empire américain s’est assuré, au moyen de conventions internationales ou d’organisations politiques, la suprématie politique : l’UE est un excellent exemple de ce cas de figure, étant précisé que la Suisse échappe à l’UE (http://www.swissinfo.ch/fre/A_La_un...). Cette pseudo lutte ouverte contre les paradis fiscaux est une parfaite illustration du stratagème numéro un de l’Art de la Guerre, classé parmi les stratagèmes des batailles déjà gagnées (par l’empire), qui stipule que « le grand jour est une cachette plus sûre que la pénombre. Tout montrer c’est obscurcir tout. » Les médias montrent un grand déballage de révélations en tout genre et, ce faisant, dissimulent l’objectif de l’empire, qui est de s’assurer le financement de son hégémonie sur le dos des Etats dominés, en les appauvrissant et en leur retirant les moyens juridiques et financiers de leur défense. Le loup est entré dans la bergerie sous les projecteurs des médias qui le l’ont fait passer pour un chien de garde ! En conclusion de cette histoire : les paradis fiscaux sont devenus, à leur corps défendant, le talon d’Achille de la mondialisation. Supprimez les ou limitez leur accès, ce qui met en cause le rôle d’organismes tels que la BRI et les chambres de compensation, et le drainage des capitaux vers les bénéficiaires sera immédiatement tari, en même temps que sera tarie la domination mondiale de la civilisation anglo-saxonne.
Pour finir sur une note optimiste et en guise de perspective, proposons un petit retour sur l’histoire du richissime empire espagnol. « Si l’europe a trouvé tant d’avantages dans le commerce de l’Amérique, il serait naturel de croire que l’Espagne en aurait reçu de plus grands. Elle tira du monde nouvellement découvert une quantité d’or et d’argent si prodigieuse, que ce que l’on avait eu jusqu’alors ne pouvait y être comparé. Mais (ce qu’on n’aurait jamais soupçonné) la misère la fit échouer presque partout. Philippe II qui succéda à Charles Quint, fut obligé de faire la célèbre banqueroute que tout le monde sait ; et il n’y a guère jamais eu de prince qui ait plus souffert que lui des murmures, de l’insolence et de la révolte de ses troupes toujours mal payées. » Et encore « C’est une mauvaise espèce de richesse qu’un tribut d’accident et qui ne dépend pas de l’industrie de la nation, du nombre de ses habitants, ni de la culture de ses terres. Le roi d’Espagne, qui reçoit de grandes sommes de sa douane de Cadix, n’est, à cet égard, qu’un particulier très riche dans un Etat très pauvre. Tous se passe des étrangers à lui, sans que ses sujets y prennent presque de part : ce commerce est indépendant de la bonne et de la mauvaise fortune de son royaume. » (Cf. Montesquieu, « L’esprit des lois, volume 2 », GF Flammarion, p.68, 71 et 72)
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