Le fascisme de la peur
Le monde devient fou. Les systèmes de pensées se ferment, s’embastillent. Des individus névrotiques sont invités sur les plateaux de télé. Les médias sont peu enclins à éclairer les controverses mais assez décidés pour des polémiques mettant deux camps face à face. Et ce manichéisme simpliste est un désastre pour tous les gens dont l’esprit se déforme et qui voient dans le monde une séparation entre deux camps. Ce phénomène est plus ou moins accentué selon les domaines où il se manifeste. La pandémie grippale a vu se déployer une polémique entre les pro et les anti vaccins. Le climat générera sans doute une scission entre les partisans de la réduction des gaz à effet de serre et ceux qui pensent à juste raison que tout est bidonné. Naguère, le plus détesté des présidents, un certain GW Bush, avait décrété l’existence d’un axe du bien et d’un axe du mal. Les oppositions manichéennes sont autant dans l’esprit d’un homme que dans la société où elles polarisent les gens entre les « pour » et les « contre ». D’ailleurs, les médias abusent de sondages où il faut choisir son camp. Au final, la démocratie n’en ressort pas revigorée et la raison fait peine à voir, rangée dans les tiroirs des bibliothèques alors que la guerre des émotions et opinions fait rage dans l’univers médiatique.
Peter Sloterdijk a parlé d’un fascisme de la peur. Les médias de masses ont tendance à diffuser et amplifier les nouvelles qui effraient, inquiètent, ou parfois, suscitent la colère parce qu’elles s’offrent à l’esprit de vengeance saisi par le scandale des abus notoires. Rien de bien nouveau. La dénonciation de la démocratie d’émotion est maintenant datée. Son analyse a fait l’objet de nombreuses discussions. On pourrait penser que le sujet est saturé, néanmoins, la généralisation de ces phénomènes émotionnels invite à réfléchir plus en profondeur sur les tenants et aboutissants de cette tendance très puissante. L’émotion ne trouble-t-elle pas la raison ? Autre interrogation, les émotions ne risquent-elles pas de fixer le psychisme au point de fermer la conscience face aux signaux, idées, intuitions et autres visions en nombre tel qu’elles ne parviennent jamais à épuiser la richesse d’une existence dans un monde infini.
L’émotion serait, dans le vocabulaire de Spinoza, non pas un attribut du sujet mais un mode de la subjectivité, autrement dit une affection dont le ressort est externe. La passion est au contraire une énergie qui, si elle peut avoir des causes externes, n’en reste pas moins une production active du sujet. En ce sens, la passion semble gouverner les époques pleines d’enthousiasme, portées vers l’avenir, riches des promesses de l’aube. La passion pousse parfois vers la découverte et l’inconnu. Elle est l’essence du genre humain en tant qu’animal producteur d’histoires et d’Histoire. Au contraire, l’émotion est passive. Le sujet subit. Il est l’instrument de l’affect engendrant l’émotion. Dans une démocratie d’émotions, le sujet est l’instrument des médias et de la propagande. Une société gagnée par l’émotionnel est souvent promise à un crépuscule. S’éteignent à la fois la raison cognitive et la passion productrice. La conscience s’assombrit et l’intellect s’étiole. La raison est altérée et comme l’a si bien vu Hermann Broch dans sa théorie de la folie des masses, une perte en rationalité se produit. Avec en plus, une fermeture progressive des systèmes de pensée qui naguère, étaient les outils de la connaissance et des savoirs appliqués à la production des techniques, des sujets, d’une société, voire d’une civilisation.
Voyons maintenant quelques signes crépusculaires. La pandémie grippale, cette émotion contagieuse, cette peur irrationnelle entretenue par quelques décès mis en exergue pour servir la campagne, attestant en effet que l’homme émotionné est l’instrument de ceux qui l’affectent, et pour finir, ces âmes apeurées, se rassemblant dans les centres de vaccination, patientant des heures, n’est-ce pas un signe de fermeture dévoilé à travers ces comportements de foule ? Mais la fermeture la plus sérieuse, c’est celle de l’esprit, qui ne voit pas dans cette vaccination le résultat d’un dysfonctionnement, voire d’une machination orchestrée par l’OMS. La peur engendre des œillères, capte l’attention, et tout événement devient le signe pour alimenter les craintes ou alimenter les obsessions. C’est le cas du climat. Des images de glaciers fondants, d’insectes dévorant un tronc d’arbre, quelques chiffres sortant de la moyenne et voilà que la thèse du réchauffement devient un dogme aussi sûr que les bulles de l’infaillibilité pontificale. Le discours marche sur la tête. Un mois de novembre exceptionnellement clément et voilà que les commentateurs médiatiques y voient un signe de réchauffement. Pourtant, on apprend que les extrémités d’une distribution statistique n’ont pas de lien direct avec une moyenne.
Les citoyens suisses se sont prononcés contre la construction de minarets. En France, les politiques ont peur de quelques bouts de tissus portés par une minorité de femmes de confession musulmanes. On a peur de tout. On se méfie de tout. Parfois, la colère des élites se manifeste lorsqu’il existe quelque soupçon d’avoir été trahi par des institutions. Le bon peuple se complaît dans les théories du complot. Les explications les plus simples sont les plus prisées. Réfléchir fatigue. Raisonner prend du temps, comme du reste s’informer. On y verrait l’obstination des élites et l’impasse des solutions finales. Une véritable démocratie dans le monde aurait conduit les Etats à se retirer de l’Afghanistan, car la guerre est bien inefficace rapportée aux dépenses engagées et les finalités sont contestables.
Le monde se ferme sur ses certitudes. A-t-il été ouvert à d’autres époques ? Oui, sans doute. Est-il ouvert actuellement ? On en doute mais rien n’est affirmé définitivement. L’Islam est certainement le lieu où la fermeture sur une Ecriture est devenue une marque de fabrique depuis qu’Ibn Khaldûn eut tracé la figure du crépuscule de cette civilisation vers le 14ème siècle. L’Islam s’est fermé mais nous, Occidentaux, qui le lui reprochons, sommes aussi fermés sur nos délires, financiers, pragmatistes, climatiques, pandémiques. Adieu aurore, au revoir Lumières, la nuit tombe, le désert s’étend. Dans le dernier Books, un dossier évoque les études islamiques fermées sur tout ce qui pourrait troubler la science établie des textes. Que ce soit en matière de progressisme social ou d’études savantes sur la genèse du Coran, les islamologues adoptent l’attitude obtus. Ce n’est pas surprenant. L’Islam s’est d’ailleurs refermé au 13ème siècle. Ibn Khaldûn a tenté d’en tracer une « autopsie entre guillemets ». Car cette civilisation ne pouvait mourir. En vérité, c’est un long crépuscule et quelque part, nos penseurs occidentaux seraient bien inspirés de méditer sur le rétrécissement de la pensée. Quel désastre que l’évolution de nos médias et des études universitaires menées par des carriéristes. Adieu monde des Lumières. La civilisation s’éteint mais ne mourra jamais car les Lumières sont éternelles et l’homme n’a pas en son pouvoir de les éteindre. Son seul pouvoir est de se suicider. L’extinction de l’homme n’est du reste pas une mauvaise nouvelle. Dieu et la terre n’ont pas vocation à supporter indéfiniment cette créature stupide qu’est l’homme à l’ère des médias de masse.
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