Le faux-témoin de TF1 démasqué : le récepteur averti, seule garantie d’une information fiable
La mythologie journalistique de l’information aime brandir le respect scrupuleux d’une déontologie pour gagner en crédit auprès des récepteurs, lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. On se souvient que, le 8 janvier 2009, cette déontologie figurait en bonne place parmi les solutions préconisées par « Les États généraux de la presse » dans leur « Livre vert » de 68 pages pour tenter de remédier à la crise de confiance que traverse la presse (1).
La déontologie, au mieux un vœu pieux, au pire un leurre
La profession pécheresse, consciente de ses fautes passées, promettait à l’avenir de renoncer à Satan et à ses pompes. Un des acteurs de ces « États généraux de la presse », Bruno Frappat, ancien du Monde et de La Croix, prenait même le taureau par les cornes six mois plus tard en juin 2009, et réunissait autour de lui un comité de sages pour proposer un code déontologique de la profession (2).
Il ne s’agit pas de minimiser cette démarche vertueuse. Mieux vaut que des médias se fixent des règles morales pour diffuser des informations plutôt qu’ils ne se soucient pas d’en avoir. Le problème est ailleurs. Les contraintes qui s’exercent sur « la relation d’information » sont si rigoureuses qu’elles s’imposent le plus souvent aux consciences au détriment des règles morales qu’elles promettent de respecter.
La première de ces contraintes est le principe fondamental qui régit toute relation d’information : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Certaines autres en découlent et, en tout premier lieu, celles qu’exercent les ressources financières : propriétaires et annonceurs sont soumis au même principe ; ils ne sauraient financer une information qui leur est nuisible.
La déontologie journalistique comme garantie d'une information fiable est donc au mieux un vœux pieux et au pire un leurre qui s’apparente à l’argument d’autorité, comme si l’autorité ne se trompait jamais ou ne cherchait pas parfois à tromper ceux sur qui elle exerce son ascendant.
Un bobard de TF1 découvert par un téléspectateur
En revanche, on ne cesse pas de le répéter à longueur d’articles et de livres, pour se protéger des pressions de leur hiérarchie, les journalistes n’ont pas de meilleurs alliés que des récepteurs avertis : on ne raconte pas de bobards à qui sait les déceler. Libre aux propriétaires ou annonceurs publicitaires de contraindre les journalistes de leurs médias à répandre des bobards ! Mais ils prennent des risques si les récepteurs les débusquent : ils s’exposent à ruiner leur crédit.
TF1, allié à Nice-Matin, vient ces jours-ci d’en faire l’expérience. Jeudi 23 juin 2011, au journal de 13 heures, la chaîne a illustré d’une singulière façon le « Contrat de responsabilité parentale », entré en vigueur le 24 janvier 2011, et destiné à lutter contre l’absentéisme scolaire en menaçant à terme de suspension des allocations familiales les parents qui démissionnent devant leurs enfants. Le présentateur a jugé qu’ « apparemment les résultats (étaient) positifs ». Et pour preuve une jeune femme était interviewée dans un reportage où elle disait tout le bien qu’elle pensait de cette politique : « J’ai un enfant, qui ne va plus à l’école, avouait-elle, qui commence à sécher et je suis un peu inquiète parce que l’éducation m’a alertée (sic !) et je suis un peu désemparée. » Elle se sentait donc rassurée par « le contrat de responsabilité parentale » préconisé par le député et président UMP du Conseil général des Alpes Maritimes Éric Ciotti.
Or, parmi les téléspectateurs se trouvait Jacques Victor, président du groupe communiste de ce même Conseil général. Il a aussitôt reconnu dans cette prétendue mère d’élève, a-t-il révélé à France Info, l’attachée de presse du président du Conseil général qui n’a même pas d’enfant ! (3)
Celle-ci aurait été pressée par les journalistes de jouer ce rôle en l’absence de la mère dont ils avaient prévu de recueillir le témoignage mais qui était en retard. TF1 n’aurait pas été au courant de cette substitution : la chaîne entretient une collaboration avec Nice-Matin qui sous-traite elle-même ce type de documents vidéo à une filiale NMTV.
Les réactions n’ont pas tardé : le président du Conseil général a accepté, sinon exigé la démission de son attachée de presse. TF1 s’est plaint auprès de Nice-Matin du préjudice subi. On ne peut mieux illustrer le rôle positif et efficace que peut jouer un récepteur averti : sans l’intervention de l’élu communiste qui connaissait l’attachée de presse du président Ciotti, la scène de comédie qu’elle avait jouée serait passée pour fidèle à la réalité.
Cet exemple montre bien que les journalistes n’ont pas de meilleurs alliés que des récepteurs avertis. La menace que ceux-ci font peser sur les représentations infidèles à la réalité, imposées éventuellement par les directions des médias aux ordres de leurs propriétaires et de leurs annonceurs, est à même de faire reculer ces derniers dans leurs entreprises. La diffusion de bobards devient périlleuse puisqu’elle se paie d’une perte de crédit immédiate, donc d’audience et de revenus publicitaires. Les journalistes vont-ils enfin comprendre qu’il est de leur intérêt de cesser de répandre les erreurs de la mythologie de l’information qu’avec l’École ignare, leur profession inculque aux citoyens pour les rendre crédules ? Paul Villach
(1) Paul Villach, « Le Livre vert des États généraux de la presse : la recette du lapin-chasseur », AgoraVox, 15 janvier 2009
(2) Paul Villach, « La jolie déontologie de Bruno Frappat que voilà : ériger des leurres en devoirs pour les journalistes ! », AgoraVox, 24 juin 2009 – in Pierre-Yves Chereul, « L’heure des infos, l’information et ses leurres », Éditions Golias, 2009.
(2) Richard Place, « Une attachée de presse joue la comédie dans un reportage de TF1 » France Info, 25 juin 2011
Le Monde, « Faux témoignage sur TF1 : l'attachée de presse d'Eric Ciotti démissionne »
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