Le génie et la passion : l’homosexualité de Léonard de Vinci
Léonard de Vinci, l'homme qui a peint le sourire énigmatique de la Joconde et imaginé des machines volantes des siècles avant leur invention, fascine toujours autant. Mais derrière l'image du génie universel se cache un homme complexe, aux passions secrètes et aux amours contrariées. Plongeons dans l'intimité du maître florentin pour explorer une facette longtemps restée dans l'ombre : son homosexualité.
1476 : l'ombre de la sodomie plane sur le jeune Léonard
Florence, 1476. La cité bouillonne d'une énergie créatrice sans précédent. Dans l'atelier du maître Andrea del Verrocchio, un jeune apprenti prometteur nommé Leonardo di ser Piero da Vinci aiguise son talent. Mais une accusation anonyme vient soudain ternir sa réputation : la sodomie. Le document, conservé aux archives d'État de Florence, mentionne Léonard et trois autres jeunes hommes, ainsi qu'un certain Jacopo Saltarelli, un prostitué notoire.
L'affaire fait grand bruit. La sodomie, considérée comme un crime contre nature, est passible du bûcher. Pourtant, après deux mois d'enquête, les charges sont abandonnées, faute de preuves. Cet épisode, longtemps minimisé par les biographes, prend aujourd'hui une nouvelle dimension. Il nous rappelle que la Florence de la Renaissance, si ouverte aux arts et aux idées nouvelles, restait profondément imprégnée de morale chrétienne. L'homosexualité, bien que pratiquée, était condamnée par l'Église et la loi.
L'accusation de 1476, même si elle n'aboutit pas, laisse une trace indélébile dans la vie de Léonard, qui a passé 2 mois en prison dans des conditions particulièrement difficiles, dans l'angoisse de succomber aux flammes du bûcher. Certains chercheurs y voient l'origine de sa discrétion, voire de sa paranoïa, quant à sa vie privée. Il est possible que cet événement ait influencé ses choix de vie et ses relations amoureuses.
Salai et Melzi : muses et compagnons de route
Au fil des années, Léonard s'entoure d'une constellation de jeunes disciples qui peuplent son atelier et inspirent ses créations. Parmi eux, deux figures se distinguent par la place qu'ils occupent dans sa vie et son œuvre : Gian Giacomo Caprotti, dit Salai, et Francesco Melzi.
Salai, entré au service de Léonard à l'âge de 10 ans, est décrit comme un garçon espiègle et d'une grande beauté. Il devient le modèle de plusieurs œuvres, dont le célèbre Saint Jean-Baptiste (1513-1516), et bénéficie d'une affection particulière de la part du maître. Les carnets de Léonard regorgent de notes sur Salai, mêlant tendresse paternelle, exaspération face à ses frasques et admiration pour sa beauté.
"Salai, petit diable", "Salai, voleur", mais aussi "Salai, mon ange", peut-on lire dans ses écrits. Cette relation ambiguë, qui dure près de trente ans, a alimenté de nombreuses spéculations. Certains historiens y voient une relation amoureuse cachée, tandis que d'autres insistent sur le lien filial qui unissait les deux hommes.
Francesco Melzi, noble milanais, rencontre Léonard en 1506. Âgé de 14 ans, il devient rapidement l'élève préféré du maître, son secrétaire et son confident. Melzi accompagne Léonard lors de ses voyages à Rome et en France, et reste à ses côtés jusqu'à sa mort en 1519.
Contrairement à Salai, Melzi est décrit comme un jeune homme sérieux et studieux. Léonard lui témoigne une grande confiance, lui confiant la gestion de ses affaires et la conservation de ses manuscrits. Là encore, la nature exacte de leur relation reste sujette à interprétation. Mais la proximité et l'affection qui les unissent suggèrent un lien profond, qui dépasse le cadre de la simple amitié ou du rapport maître-élève.
Corps masculins et ambiguïté sexuelle : quand l'art reflète le désir
L'œuvre de Léonard, foisonnante et multiforme, porte elle aussi les traces de ses inclinations. Certains dessins, comme l'Ange incarné (vers 1483), révèlent une fascination pour le corps masculin, exploré avec une précision anatomique et une sensualité troublantes. Les études de couples masculins, réalisées pour le projet de Leda et le cygne, montrent également un intérêt marqué pour l'anatomie masculine et l'homoérotisme.
L'ambiguïté sexuelle de certains personnages a également été interprétée comme une expression sublimée des désirs de l'artiste. Le Saint Jean-Baptiste, avec son sourire énigmatique et sa pose suggestive, semble incarner une beauté androgyne, à la frontière entre le masculin et le féminin. De même, le Bacchus (1510-1515), initialement conçu comme un Saint Jean-Baptiste dans le désert, présente une figure ambiguë, à la fois masculine et féminine, qui a fasciné et interpellé les critiques d'art.
Certains chercheurs ont même émis l'hypothèse que le sourire énigmatique de la Joconde (1503-1517) pourrait être un hommage à la beauté androgyne de Salai. Cette théorie, bien que controversée, illustre la manière dont l'œuvre de Léonard peut être réinterprétée à la lumière de sa vie privée.
Sublimation et créativité : Freud à la rencontre de Léonard
En 1910, Sigmund Freud se penche sur la figure de Léonard de Vinci dans une étude psychanalytique intitulée Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci. Le père de la psychanalyse s'intéresse notamment à l'intense curiosité scientifique de l'artiste, à sa soif insatiable de connaissance et à sa tendance à laisser ses œuvres inachevées.
Selon Freud, ces traits de caractère seraient liés à une sublimation de ses pulsions homosexuelles. Léonard, confronté à la répression sociale de son époque, aurait canalisé ses désirs refoulés dans la recherche scientifique et la création artistique. L'exploration du monde, la quête de la connaissance, deviennent alors une manière de compenser l'impossibilité de vivre pleinement ses amours.
Cette hypothèse, bien que discutable, offre une perspective intéressante pour comprendre la personnalité complexe de Léonard. Elle suggère que son homosexualité, loin d'être un simple détail biographique, a pu influencer sa démarche créatrice et contribuer à la singularité de son génie.
Léonard de Vinci : un héritage qui transcende les siècles
L'homosexualité de Léonard, longtemps passée sous silence, est aujourd'hui un sujet d'étude et de débat. Elle nous invite à reconsidérer l'image du génie universel à la lumière de sa vie privée, avec ses zones d'ombre et ses contradictions.
Elle nous rappelle également que l'histoire de l'homosexualité est une histoire longue et complexe, marquée par la répression et l'invisibilisation. La reconnaissance de l'homosexualité de figures emblématiques comme Léonard de Vinci contribue à donner une visibilité à cette histoire et à lutter contre les préjugés.
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