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Le malaise inaugural d’une démocratie sans le peuple

Au-delà même des opinions de chacun, l’Histoire retiendra que le discours d’investiture du premier ministre Jean Marc Ayrault fût donc interrompu peu après son ouverture par le malaise d’un député, de l’Hérault. Outre un jeu de mot facile que le hasard semble avoir dicté de façon bien opportune dans la coïncidence entre un territoire et un nom, gardons surtout que cet imprévu vînt à se produire alors qu’il était question de « cet audit que m’a remis hier le premier président de la Cour des Comptes » dixit monsieur Ayrault. Oui, la France pourrait bien faire elle aussi, un malaise prochain, si malade de ses finances après une irresponsabilité dirigeante chronique durant les 30 dernières années. Si un constat objectif atteste que la prise de conscience et la première tentative réelles relatives au désendettement auront été initiées sous la mandature précédente, cette dure réalité occupera durablement tous les bancs de l'assemblée. Ce passif commun, que chacun évaluera selon son positionnement, n’autorisera aucune politique de la chaise vide. Tous les partis auraient à rendre des comptes.

L’évocation du fameux audit n’était donc pas sans rétablir assez positivement le passé plus récent, invitant surtout à prolonger la « rigueur » budgétaire désormais, innommable. A ce stade du discours, la réelle passation de pouvoir se faisait. Comme nous le verrons, le "malaise" dans l’hémicycle avait précédé celui, plus médical, d’un député. Même si certains élus n’étaient pas sans se lever comme un seul homme pour adouber le premier ministre du jour, la « petite flamme » restait assez éteinte. Il n’y aura vraiment pas eu d’état de grâce depuis longtemps, pour la France. 

Plus de peur que de mal s’agissant de monsieur Patrick Vignal, député socialiste de la 9eme circonscription de l’Hérault, il a pu se relever après son malaise et quitter l’hémicycle en s'aidant d'une canne, accompagné de Bernard Debré, chirurgien et député UMP de Paris. Un élu d’opposition venait ainsi au secours d’un élu de la majorité. Il n’est pas exclu que cette heureuse conclusion parle aussi pour l’avenir. Cette cohabitation individuelle imposée par les circonstances, dans un moment de crise, n’aura pas été sans soulever les cœurs. On entendît alors le président de l’assemblée nationale s’exclamer « Qu'est ce que je fais, là ? ». La classe politique dans son ensemble se poserait cette question face à l'état du pays.

Monsieur Bartolone, conseillé par une huissière, poursuivait en demandant aux photographes de ne pas faire de photos. Quand la réalité devient trop cruelle, au risque de bousculer le confort intellectuel du moment, on en appelle enfin à la dignité. Chacun ne peut que se réjouir face à un moment de résistance opposé au règne permanent et nauséabond de la « démocratie » par l’image. Cela étant dit, de même que l’intronisation du président Hollande ne fût pas sans devoir lutter contre une avalanche soudaine d’intempéries riches et variées, l’investiture de son premier ministre s’ouvrit donc sur un malaise, de diverses natures.

De façon plus générale, durant toute l’intervention du premier ministre suivie des réponses émanant des groupes constitutifs de l’Assemblée, cette sensation de malaise ne put ensuite quitter l’hémicycle, à contrario du député souffrant évoqué. Le cœur n’y était pas dans la représentation nationale. Les caméras insistèrent parfois sur certains élus très occupés à l’écriture de messages sur leur portable. Quelques caciques de la contestation expansive s’apparentant à des écoliers indisciplinés tentèrent de jouer le rôle que chacun leur reconnaît, mais rien de bien convainquant, juste l’accomplissement habituel de rituels. Le hurlement muet de tant de citoyens éprouvés par la dureté de la crise ne peut plus être ignoré. Aucune déclinaison de discours, si mal ou bien écrit soit-il, ne peut désormais contourner ce grand « parti » majoritaire. Parfois la démocratie semble être sur liste d’attente.

Appliqué et concentré dans la lecture d’un discours très correctement structuré, sagement, trop au goût de certains, le premier ministre devait ainsi s’engager « dans la concertation mais avec détermination ». Promis, on évitera les détails. Mais qu’on se le dise, le réveil sera douloureux à la rentrée. Il était bientôt question de « rénover et négocier » dans le respect « des engagements du président de la République » défini comme « soutenu par les français ». Avec pas loin de 44 % d’abstention au second tour des Législatives et seulement 18 % des électeurs inscrits sur les listes électorales apportant leur vote au PS, la crédibilité du soutien supposé résonnait soudain étrangement. Pour être elle-même plongée dans la crise actuelle de la démocratie, l’opposition n’y trouvait rien à redire. Toute « représentation » aurait sa part de simulacre.

Même si bien des regards paraissaient austères, le premier ministre rassemblait tout son courage pour annoncer « un effort national, mais pas l’austérité ». Austères, vous avez dit, austères ?

Oui, sur les bancs de l’assemblée, de quelque bord que l’on soit, le cœur n’y était pas, et les spectateurs devant leur petit écran, non plus. A trop se prétendre « normal », le moindre des psychologues ne tarde pas en général à ressentir le contraire chez un patient. Non, ce début de mandature n’a pas grand-chose de « normal ». Chacun s’accorde étonnamment sur l’absence totale d’état de grâce, ou d’espérance réelle. Serait-ce l’élection générale du « Ni, ni » ? Ni pour, ni contre, désabusé. Indifférent ? Le peuple dira qu’il a tout essayé. La démocratie de l’abstention ?

Même sur les rangs des diverses oppositions les hurlements habituels des séances télévisées de l’assemblée, manquaient étrangement de conviction. Le peuple n’ayant pas suffisamment voté aux législatives, et pas mieux tranché pour la présidentielle avec un faible écart entre les deux finalistes, et si ces élections n’étaient finalement que des coups pour rien ? En tout cas, la parole du peuple ne semble pas s’être véritablement fait entendre. Une large partie du peuple se réserve t’elle un temps de parole ? Dans la rue ?

Le nouveau pouvoir aurait tort de se convaincre lui-même d’avoir un réel soutien majoritaire du peuple, toute une masse de citoyens ne lui accorde en effet aucun crédit, se situant dans l’attentisme observateur « de dernière chance » donnée. Les oppositions seraient tout autant bien mal inspirées de compter seulement sur les erreurs ou échecs du pouvoir en place pour se refaire une santé et revenir aux affaires, notamment pour les Municipales. Oui, le premier ministre voyait juste en concluant que « ce sera difficile ». Se montrant bien optimiste en prétendant « mais nous réussirons » ?

Ses propos paraissaient parler pour tout l’hémicycle, de Droite à Gauche. La majorité encore silencieuse restait sourde, dehors, et les salles vides face au petit écran. Pour la finale de foot, il n’y avait plus une place assise. Certains prétendent qu’on gouverne avec « du pain et des jeux ». Avec la crise, il ne reste parfois que le jeu. La démocratie du non choix et du divertissement ?

Pour avoir passé 26 ans sur les rangs de l’assemblée, qui peut croire que le premier ministre n’ait pas ressenti que le cœur n’y aura pas été durant l’inauguration de cette nouvelle présidence ?

Disposer d’autant de pouvoirs, nationaux et locaux, disposer de tout, là se trouve probablement le plus grand cadeau empoisonné qui soit. Jusque le plus terrible retour de bâton ? Comme replié en embuscade, convaincu par avance que tout ou presque ne sera que désillusion, ayant donc situé le rival du président actuel dans un score suffisamment proche pour réunir la majorité et l’opposition dans un même constat bien pessimiste, le « peuple de France » lancerait un dernier défi à toute la classe politique. A l'Assemblée ce jour là, sur 544 votants et 527 de suffrages exprimés, il y aura eu 302 voix pour la Gauche, et 225 contre. La France avait son nouveau pouvoir au complet. Les 44 % d’abstentionnistes des Législatives auraient-ils réservés leurs votes pour bientôt ?

A plusieurs reprises le premier ministre trébucha sur certains mots, notamment sur la « sécurité » et sur ce qui "préparera de raccourcir" (des délais de régularisation des étrangers), pareillement sur des évolutions de la société « que nous appelons si longtemps de nos vœux ». Oui, rien n’est si sûr. A trop répéter que l’on entend gouverner dans la durée on finit par concéder la crainte du contraire. Quand on a tout, on a tout à perdre.

La nouvelle majorité absolue penserait l’emporter ou pouvoir rebondir durablement au travers de sujets de société, qu’elle étalerait dans le temps pour se maintenir à flot. Elle pourrait à contrario s’y perdre parallèlement à une dégradation de la situation économique et sociale. Certes, l’opposition pourrait devenir plurielle à l’excès.

Pour l’intérêt du pays, personne ne peut en conscience souhaiter voir s’accroître le malaise perceptible dans toutes les étapes du retour de la Gauche au pouvoir. Puisse le malaise d’un député contraint de quitter l’assemblée ne pas être de bien mauvaise augure, en prolongement des larmes du ciel déversées en trombes sur le président le jour de son intronisation. Gardons plutôt en mémoire le secours touchant d’un député phare de l’opposition. Un instant symbolique d'union nationale ?

Et si derrière ce pouvoir absolu reposant en réalité sur une assise électorale bien relative se cachait en vérité la fin d’un système binaire ayant vu chaque bord disposer de « tout », pour rien ou si peu dans le ressenti majoritaire du peuple ? Comme un quelque chose de « une fois pour toutes » ou « une dernière fois » dans cette séquence électorale. Majorité et opposition seraient au pied du mur.

Bien des commentateurs annoncent « du sang et des larmes » pour le peuple. Le champ politique pourrait en être premièrement frappé. La "démocratie de l'abstention" masque d'abord une grande frustration ou violence populaires refoulées. Sur quelque bord que ce soit, comme un grand malaise. Celui d’une démocratie à bout de souffle ? En recherche d'un nouveau souffle. La crise française est bien plus qu’économique et sociale. Du "Mal français" au grand malaise.

 

Guillaume Boucard


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6 réactions à cet article    


  • La mouche du coche La mouche du coche 4 juillet 2012 11:06

    Est-ce que le discours de M. Hayrault vous interesse vraiment et si oui, comment faites-vous ? smiley


    • Traroth Traroth 4 juillet 2012 14:58

      "Si un constat objectif atteste que la prise de conscience et la première tentative réelles relatives au désendettement auront été initiées sous la mandature précédente" : C’est totalement faux. Jospin avait déjà tenté d’améliorer la situation de la dette à son époque. C’est même doublement faux, car, si Sarkozy a réellement essayé de résoudre le problème de la dette, il faut constater son échec total : jamais la dette ne s’est creusée aussi vite que pendant les 5 dernières années !


      • Traroth Traroth 4 juillet 2012 15:02

        Chacun pourra apprécier l’évolution de la dette française sur la courbe suivante :

        http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Dette_publique_France_1978-2010.png

        Notez en particulier l’évolution sur la période 1997-2002 et celle sur la période 2007-2010 (fin du graphique). Ah, on voit bien quand Sarkozy est arrivé au pouvoir !


      • La mouche du coche La mouche du coche 4 juillet 2012 16:23

        Traroth pense que le problème est M. Sarkosy. C’est amusant. smiley


      • Traroth Traroth 4 juillet 2012 16:38

        Non, je me préoccupe simplement des faits. Mais chacun son truc, hein !


      • kemilein 4 juillet 2012 17:07

        les socialistes plaident « innocent » ils ont pourtant cogéré et voter (s’abstenir c’est consentir) les lois qu’ils condamnent aujourd’hui.

        mais ou est cette guillotine bordel ! ca fait une plombe que je te l’ai demandé !

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