Le Père Noël n’en a rien à cirer
Période de fête, fin d’année. Fête, comment, pour quoi et surtout pour qui ? J’aurais pu intituler cet article « Le Père Noël est une ordure ». Mais, ajouter une couche en contre-pied ne sera qu’une manière de dire « qu’on savait ».
N’y a-t-il vraiment plus de saison ?
Oui, c’est peut-être le cas. Le climat est trop doux en hiver et trop pluvieux en été. Les événements de la vie sont logés à la même enseigne.
Tout se dessine, se planifie, se crée à contre-temps. La consommation a elle aussi de l’avance à l’allumage.
Prévoir, c’est bien, planifier les choses, c’est encore mieux. Passer à l’acte en désynchronisation n’est pas une obligation voulue par le consommateur mais plutôt par le fournisseur qui ne sait plus où donner de la tête pour étendre sa période de chasse.
Car la chasse est ouverte, bien avant les dates précisées par le calendrier.
La mode, depuis longtemps, embraye les collections, une, sinon deux saisons avant l’apparition dans les étalages. Le secret qui l’entoure, s’il existe, n’est pas obligatoirement infranchissable.
Les appareils de tous types sont "bénévolement" présentés à la salive des consommateurs bien avant leur sortie dans les magazines agréés.
Les galettes des rois sont à proximité des fours de boulangers bien avant la date fatidique. Les œufs de Pâques pourraient voir le petit "oiseau" sortir de sa coquille chocolatée et casser cette coque en chocolat avant que celui-ci ne se fonde dans les douceurs anormales de fins d’automnes.
Dès mars, les grandes surfaces ont déjà négocié, âprement, les jouets de la hotte de ce bon Père Noël.
Alors, le Père Noël, lui, n’en a vraiment plus rien à cirer, et s’empresse de prendre son traîneau bien avant que la glace n’ait rendu son chemin trop glissant.
Ses prédécesseurs, Halloween, pour inverser la tristesse du lendemain par la peur du sacré, et Saint Nicolas, ensuite, qui vient entre-temps de remiser sa crosse au vestiaire et de laisser des traces, encore visibles, creusées par les sillons de son char.
Les commerçants n’en ont cure de cette fuite en avant. Ils s’inquiètent surtout des invendus. Ceux-ci sont déjà sur les tablettes. Ils feront partie des soldes de janvier, pendant lesquels les tiroirs-caisses resteront une dernière fois ouverts. Ces soldes ne fourniront que l’embarras d’un choix seulement contraint par les législations en place. Ce créneau de temps offert, bien précis, aura bien des détracteurs au sujet de dates qui ne correspondent jamais à ce que tous corps de métier seraient en droit d’attendre.
Un peu plus tard, le summum de la préparation, le Carnaval de Rio, lui, fera ses choux gras en précurseur du sacré "mardi gras". Ce ne sera, certes, pas perdu pour tout le monde, dans la liesse proche de la transe. Les touristes seront là, moins économes que d’habitude dans les hôtels de luxe. Nous sommes dans le domaine de "l’anticrise", comme je le lisais hier encore sur l’enseigne d’un magasin voisin. Mais chacun voudra, là-bas, seulement paraître, l’espace de quelques heures, de quelques jours, ce qu’il n’a en réalité jamais été : riche. Etiquette, quand tu nous tiens !
Et si on s’était trompé de date ? Si au lieu de la nuit du 24 décembre, Jésus était né, disons le 12 janvier ? Nous serions en pleins soldes. Quel bénéfice, quelle épargne pour nous, pauvres pêcheurs.
Entre-temps, on trouve déjà des galettes des rois dans les pâtisseries. Pourquoi pas des oeufs de Pâques ? Ce serait déjà ça de pris.
Que veut-on ? Une fête perpétuelle ? Si oui, ne faudrait-il pas accorder, à tous, les moyens de cette politique ?
Société de consommation ou de "cons sommation" ?
Et pour quel but ? Sommes-nous sommés d’être "cons" ? Qui est le "sommeur" ?
Celui qui somme et additionne, bien haut, au sommet, pourrais-je dire.
Et maintenant, que la fête commence...
A la date du réveillon, invités, une fois arrivés à la table de ce Père Noël généreux, que se passe-t-il ?
Tout le monde doit être joyeux, bien entendu. La radio, allumée dans le coin de la pièce, entonne la belle musique du "Noël blanc", neige synchronisée que plus personne ne voit désormais de son vivant en naturel.
Précision, je ne suis qu’un habitant de Bruxelles, loin des Iles Canaries. Une autre fois, là-bas, en cette période, j’ai encore été plus amusé de voir la neige artificielle sous le soleil ardent d’un éternel printemps.
Mais il faut jouer le jeu. On doit rire, sortir les chapeaux et souffler dans les trompettes de fantaisie.
C’est un "must". Pas question de tergiverser et de s’enfermer dans sa coquille avec la tête pince-sans-rire habituelle.
Il faut mettre les choses de la vie entre parenthèses. La "connerie" est autorisée et peut continuer puisqu’on l’a commencée devant les échoppes qui ont mis les petits plats dans les grands pour attirer les regards et les envies.
Les parenthèses évoquées plus haut sont de type divers. Elles s’habillent d’artifices divers et inattendus. En fait, chacun en a en secret.
Tout est mis, pourtant, en sourdine, latent, prêt à ressortir au moindre écart de langage ou de geste.
Les leurres, les masques sont mis, oui. Le sourire figé avec les punaises bien écartées sur les joues ne peuvent sauter. On s’y emploie. Madame a fait ses recommandations à Monsieur avant la réunion de "fortune".
La "fortune", voilà le sujet de discorde dans de grandes familles, par excellence. Sujet tabou qu’il ne faut pas sortir sous peine de faire éclater des jalousies qui s’ignorent, plongées au fond de hiérarchies de la civilisation des semblables, mais pas des pareils.
Un peu plus tard que minuit, les cadeaux ont été distribués. Derniers sourires devant la porte et après, le ouf de soulagement : ça s’est bien passé. La famille est restée solide, solidaire ou d’un air solide. Rideau.
En parallèle, le home des seniors du coin de la rue a vécu les choses en fanfares et flonflons. Les retrouvailles avec les enfants ont été très chaleureuses, du moins en apparence. Les souhaits ont fait semblant que le monde était rose bonbon. Tout l’était d’ailleurs, rose et bonbon. Il faut toujours sauver le look et les apparences, non ?
Pourtant, parfois bien avant la naissance du petit Jésus, qui n’en finit jamais de renaître tous les ans, les yeux et les dialogues se sont refermés de part et d’autre des tables. Les discussions ont tourné en silences partagés. Les sujets ne se sont plus accordés aussi aisément. On n’était pas parvenu à faire semblant complètement qu’on ne venait pas couramment visiter la "toute vieille qu’en finit pas de vibrer et qu’on attend qu’elle crève vu que c’est elle qu’a l’oseille" (Ces gens-là, de Jacques Brel). L’éclatement tragique de la famille est passé par là. Ce n’est pas le cimetière des éléphants qui est visité, car on n’y trouvait pas d’ivoire ni de défenses.
La petite vieille était contente malgré tout. C’était le principal. Elle a pensé avec nostalgie à sa copine qui n’avait pu descendre dans le réfectoire avec les autres. Elle devait, très probablement, regarder avec un oeil de dépit cette télévision, comme tous les autres jours. Personne n’était venu. Un soir comme un autre, en somme : elle a entendu, tant qu’elle pouvait, "la pendule d’argent qui ronronne au salon" (Les vieux, de Jacques Brel, qui, encore une fois, avait tout compris dans ses chansons).
Heureusement, il y a les réunions plus intimes, avec regards incorporés de haut en bas et de bas en haut. Pour les enfants, Noël veut encore dire quelque chose. Le merveilleux est là. Chez eux, la flèche qui se trouve sur le sapin ne peut être penchée. Les bougies doivent clignoter en clins d’oeil. Ils voient tout, ces bougres, ces jeunes tiges clairvoyantes. Avec fébrilité, ils vont ouvrir à minuit les paquets disposés au pied du sapin. Les enfants sont le rêve de ceux qui n’auront pas de véritable Noël.
Dehors, ce n’est pas l’euphorie, en effet, mais c’est l’apaisement. Des sans-abri ont reçu le paquet traditionnel. On est plus généreux dans le monde des vivants pendant cette période. La bouteille sous le bras a donné l’illusion que tout aurait pu être chouette. Mais le monde est ce qu’il est : il dit vague, il divague, il se trompe très souvent.
Allez, encore un petit coup de vin, de champagne ou, plus prosaïquement, dans ce cas, de bière.
Le lendemain matin, tout est au repos. Les lumières extérieures sont restées allumées, oubliées volontairement pour que les derniers fêtards ne perdent pas leur chemin embué de frimas sous leurs yeux moins frais.
Avec le recul, je ne parviens pas à perdre de vue la masse de résidus, de détritus que les poubelles auront à encaisser au cours des heures qui viennent. Pour couronner le tout, combien d’emballages cadeaux vont les rejoindre sans aucune forme de procès !
Maintenant, les cadeaux, ils sont là.
Jouets, appareils électriques, souvent dévoreurs d’énergie, vont agrémenter la vie des petits et des grands, au moins pour un temps. Quand on aime, on ne compte pas, ni en argent, ni en voltage consommés. De plus, cela ferait mauvais genre de refuser un cadeau offert par tantine ou le gadget dédicacé par un ami, mais qui, en somme, ne servira pas à grand-chose. C’est couru d’avance. C’est la rançon du progrès.
La console de jeu rutilante va au moins grâce aux loupiotes donner bonne figure à l’ensemble. Le high-tech a eu évidemment sa place à côté du sapin. Ces outils de communication n’aboutissent-ils pas à l’abolition des voyages pollueurs ?
Pas vraiment. L’Echo titrait ce 23 décembre : "Faire du shopping à Noël de l’autre côté du monde et au même prix". La faiblesse du dollar (1,32) face à l’euro, dévalué de 20% en dix-huit mois, a donné l’idée aux Européens de faire leurs emplettes aux Etats-Unis (billet 400 euros) l’espace d’un week-end. Hong-Kong et Singapour, aussi, allaient, d’après l’article, bientôt détrôner New-York et surtout saper les efforts de vente de produits "made in Europe". La tronçonneuse est en marche devant son arbre de vie. Une fois de plus, retour à la case départ du transport tous azimuts en totale insouciance de la question du pétrole en perdition, d’une part, et du commerce bien de chez nous, de l’autre.
Au total, la fête de Noël a fait quelques heureux. Les magasins ont écoulé huîtres, foie gras, dindes, saumons d’élevage d’Ecosse qui auront dépeuplé la mer, cerises importées du Chili, girolles arrivées du Canada par avion... enfin, tout ce qui fait une fête vraie. La photo du groupe, de la famille, tout sourire, en témoignera pendant quelques mois encore, avant de se réfugier dans le tiroir de la commode.
Et puis, dans ce monde de brutes, il y a l’espoir. Nous sommes au deuxième anniversaire de la catastrophe du tsunami avec l’énorme volonté de tous les pays d’être solidaires de la détresse des sinistrés dans une partie du monde inconnue de la plupart. Tous voulaient reconstruire biens et esprits en perdition dans un élan de générosité sans précédent. Faudra-t-il seulement des moments tragiques pour réveiller nos consciences d’hommes ?
Tes rennes s’impatientent, Père Noël. Il est temps de reprendre la route du grand Nord. On ne te recyclera plus qu’une seule fois par an, sois sans crainte.
Mais, avant de partir, Père Noël, puis-je tirer sur ta barbe ? Elle est si belle et si blanche qu’on se demande où se cache le vrai.
A l’année prochaine, bon vent et bonne année, tout de même.
L’enfoiré,
Citations :
"Sans les cadeaux, Noël ne serait pas Noël."
Louisa May Alcott
"A Noël, amusons-nous, profitons-en, car Noël ce n’est qu’une fois par an."
Thomas Tusser
"Pour préparer un arbre de Noël, il faut trois choses, outre les ornements et l’arbre, la foi dans les beaux jours à venir."
Zahrad
"L’adulte ne croit pas au Père Noël. Il vote."
Pierre Desproges
"Noël n’est pas un jour ni une saison, c’est un état d’esprit."
Calvin Coolidge
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