Un journal financier américain titrait il y a quelques jours en première page “Le Retour des Saisies Immobilières”. Le ton était celui d’un faire-part mortuaire mêlé de la joie non déguisée de certaines grandes banques.
Les saisies sont des procédures légales et financières visant à déposséder des propriétaires de leur maison ou appartement quand ils ne peuvent plus en payer les traites.
En apparence c’est logique, et le raisonnement devrait s’arrêter là. Cependant, rien qu’aux Etats-Unis, en 2010, on estime que le nombre des saisies dépassera les 5 millions. Ce qui veut dire que 5 millions de foyers vont se retrouver à la rue, soit environ 15 millions d’individus (s’ajoutant à tous ceux qui sont déjà dans la rue du fait des saisies des années passées). Une fois que le juge a prononcé la saisie, le Sheriff vient expulser les infortunés propriétaires, fait déposer les meubles sur le trottoir et occasionnellement les déménageurs brûlent sur place ce qui leur semble sans valeur. La poésie de la procédure n’échappera à personne, son humanité non plus.
Ce qui est beaucoup plus inquiétant, c’est que ce sont les banques, en apparence victimes du non paiement des mensualités des prêts immobiliers par les propriétaires qui sont à la source de leurs propres problèmes.
En effet, dans les années 2000-2008, les banques ont transformé les prêts immobiliers en véhicules financiers sous forme de titrisation (en français), ou securitization (en anglais), Le principe est désormais connu de tous : au lieu de s’occuper de chacun des prêts qu’elle a issu, la banque va faire un package de 10.000 prêts, les vendre à une banque d’affaire de Wall Street. Cette dernière va créer une société d’investissements immobiliers dont les Actifs seront les 10.000 prêts issus initialement par la banque, et la banque d’affaire de Wall Street va créer 100.00 actions de cette société financière immobilière.
Il va se créer ensuite un marché spécifique pour ce type d’action : on va raconter aux investisseurs qui veulent bien le croire, ou qui sont mal informés, ou les deux, que ces actions valent beaucoup d’argent. En fait ces actions ne reposent que sur le papier du prêt immobilier et non pas sur le bien lui-même. C’est comme cela que des investisseurs du monde entier de l’Autriche à la Bulgarie, de la France au Kansas, de l’Allemagne à la Bulgarie, ont acquis des actions sans valeur aucune.
L’absence de valeur s’explique par le fait que les prêts originaux avaient été accordés sans contrôle, dans un marché où les prix de l’immobilier avaient été multipliés par cinq en sept ans sans raison économique autre que la pure spéculation, et dans lequel plus rien ne correspondait à rien.
Le désastre actuel des saisies a donc repris ; il s’était arrêté il y a quelques semaines du fait des agissements de certaines banques qui, au lieu de choisir des cabinets d’avocats sérieux et de qualité, avaient décidé de choisir les services d’officines obscures aux tarifs préférentiels. Il en était résulté que lorsqu’un dossier de saisie immobilière est traité en 4 à 5 heures, soit 8 à 10 dossiers par semaine, les officines en question payaient du personnel non-avocat à traiter 8.000 à 9.000 dossiers par semaine, se bornant tout simplement à apposer une signature au bas de chaque volumineux dossier sans les lire. Ce qui créa une catastrophe judiciaire dans les 50 Etats américains devant les courts de droit où les juges rejetaient un à un tous ces dossiers frauduleux.
Ces exemples ne sont pas sortis de l’imagination fertile de Mark Twain ou de Truman Capote, mais de dépositions faites sous serment devant le Congrès des Etats-Unis par ceux qui ont commis les fraudes. Un tantinet affligeant !
Imprudemment, certains financiers se réjouissent du redémarrage des saisies, gommant au passage l’aspect humain, voire inhumain, de leur nature ; ces financiers un peu pressés oublient surtout le principe financier de base qui est celui de l’offre et de la demande. En effet on estime que les banques américaines sont assises sur un portefeuille immobilier de maisons et appartements invendus et invendables de 7 à 9 millions d’unités.
C’est ce que l’on appelle les « shadow inventories », littéralement « les invendus de l’ombre ». Ces biens immobiliers dont les banques ne savent que faire se dégradent, sont vandalisés et perdent progressivement toute valeur.
En plus de cela, elles pèsent sur le marché (qu’elles soient misent à la vente ou pas), et empêchent toute reprise du marché réel de l’immobilier et font ainsi baisser la valeur des maisons possédées par les banques elles-mêmes. Des banques qui ruinent les autres ça arrive, mais qui se ruinent elles-mêmes, c’est du prodige !
A la fin de la seconde guerre mondiale, après avoir anéanti les forces militaires et politiquement ignobles de l’Allemagne nazie et du Japon impérialiste, le Grand Pays qu’étaient les Etats-Unis avait décidé en quelques semaines de créer un Plan Marshall pour sauver l’Europe de la ruine. La décision fut prise immédiatement. Les fonds furent débloqués en quelques semaines voire quelques jours, et ainsi Roosevelt, bien après sa mort, vit son œuvre de reconstruction économique et de liberté se concrétiser une fois de plus, sauvant au passage avec les Etats-Unis, l’Europe, l’Allemagne, le Japon et quelques dizaines d’autres pays.
Les temps changent.
Olivier Chazoule