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Le scandaleux massacre des bouquetins du Bargy (analyse 2/4)

Analyse, en quatre parties, d'un scandale environnemental touchant un animal emblématique et protégé. Les Bouquetins sont des animaux interdits de chasse. Pourtant, dans les montagnes du Bargy, l'Etat les abat massivement. Une mesure scandaleuse et disproportionnée qui est massivement contestée par le biais d'une pétition (lien). 

Après avoir passé en revue, dans la première partie de cette analyse, le statut de protection du Bouquetin des Alpes, les circonstances de la découverte de cas de brucellose, la nature de la maladie et son traitement, l'évaluation du risque pour la santé humaine ; voici la seconde partie de l'analyse : 

 

Depuis le 1er octobre, l'Etat a déjà abattu plus de 220 bouquetins, et les tirs continuent.

 

V. Brucellose chez les bouquetins : un risque minime pour l’économie

 Le Préfet de la Haute-Savoie a avancé l’argument que les bouquetins du Bargy faisaient courir un grand risque économique à la France : celui de perdre le statut « officiellement indemne de brucellose » (P1) ; statut qui permet à la France d'avoir moins de contraintes sur le plan du libre échange.

 Toutefois, un pays ne perd pas son statut « indemne de brucellose » dès qu'un cas de brucellose bovin apparaît. Ainsi, depuis mars 2012, six foyers bovins de brucellose ont été découverts en Belgique (six foyers, deux souches différentes de bactéries). Grâce aux mesures de surveillance mises en place, notre voisin n’a pas perdu son statut « indemne de brucellose ». (S3)

 Il faut préciser que si la France a obtenu le « statut indemne de brucellose bovine », elle ne dispose pas du « statut indemne de brucellose chez les petits ruminants ». En conséquence, les cas détectés chez les bouquetins n’ont aucune conséquence sur le libre échange.

 Par ailleurs, comme l’illustrent les situations italienne, espagnole ou portugaise, la perte du statut « indemne de brucellose » d’une région ne remet pas en cause le statut des autres régions (S4)(S5) ; ce qui réduit le poids de l’argument économique du Préfet.

 Des agriculteurs ont exercé une forte pression sur le Préfet de la Haute-Savoie et sur les ministères en prétendant que la filière du reblochon était menacée. D’une part, le risque de contamination aux vaches est minime. (A1, p°2) D’autre part, le Conseil National de Protection de la Nature a écrit « que la filière du reblochon n’est absolument pas affectée par l’éventuelle présence de Brucella dans du lait pouvant être utilisé dans la fabrication de ce fromage, étant donné le fait que cette bactérie est inactivée durant le processus d’affinage du fromage (cf. saisine de l’ANSES N°2012-SA-0115 en date du 31 octobre 2012). » (C1) Cette donnée a été contestée par des représentants de l’Etat sous prétexte que le reblochon n’est pas assez longtemps affiné. S’il est vrai que peu de scientifiques se sont penchés sur la résistance des bactéries à l’affinage du fromage, il est pourtant bel et bien écrit dans le rapport du 31 octobre 2012 de l’ANSES qu’ « aucun fromage affiné, et ce, quelles que soient l’espèce animale d’origine et la durée d’affinage, n’est cité comme source probable de cas humain en France ». (A3, p°12) Durant l’affinage du fromage, la bactérie brucella serait peu résistante à l’acidification lactique.

 

VI. Une décision prise dans un paysage de connaissances très incomplet

 Durant de longues années, les bouquetins n’ont pas été suivis ; ce qui est étonnant pour une espèce protégée ayant fait l’objet d’une réintroduction. (A1) L’examen des photothèques a permis de retrouver une photographie, datant de 2004, d’un bouquetin cliniquement suspect. (A2, p°6) Si les bouquetins du Bargy avaient été régulièrement observés, l’épidémie aurait pu être gérée à la racine !

 Le suivi de la population de bouquetins a seulement démarré en septembre 2012. (A1, p°5) D’après les experts, avant d’avoir recours à d’éventuelles mesures drastiques, il aurait été plus sage de recueillir plus d’informations sur la population de bouquetins du massif et sur la dynamique de l’infection. Faisant allusion à un « paysage de connaissances très incomplet », l’ANSES « insiste sur l’importance d’un temps scientifique avant la mise en œuvre de mesures de gestion. » (A1, p°32 et 33) Dans ce contexte, la précipitation de la décision de l’Etat est hautement critiquable, car elle aboutit à des dommages graves et irréversibles qui auraient pu être fortement atténués, voire totalement évités.

 Les statistiques officielles comportent vraisemblablement des biais importants. D’une part, il n’est pas précisé dans le rapport du groupe d’experts (A1, p°36) si les 76 bouquetins testés sérologiquement (c’est-à-dire par prise de sang) étaient représentatifs de la population globale du massif ou s’ils ont été choisis, au moins partiellement, parce qu’ils présentaient des signes cliniques évocateurs. D’autre part, un bouquetin affaibli par une arthrite brucellique est plus facilement accessible à un vétérinaire qu’un bouquetin faisant des acrobaties sur une paroi quasi verticale.

 L’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS), qui a géré le suivi, a en charge deux secteurs (la Chasse et la Faune) dont les intérêts divergent, et est fortement influencé par le lobby de la chasse. Le rapport publié en 2012 par la Cour des Comptes interroge sur la partialité de l’ONCFS. On y apprend ainsi que : « l’autorité ministérielle a parfois fait preuve d’un laxisme regrettable », et qu’ « [une] majorité [d’’influence de représentants des chasseurs] conduit parfois l’ONCFS à être la victime collatérale des conflits opposant les chasseurs et les (…) associations de protection de la nature ». « Les formateurs ont établi et signé des certificats portant des indications erronées (…). » « L’insuffisante diversification des partenariats de l’établissement dans ses activités d’observation, d’études et de recherche nuisent à l’indépendance et à la reconnaissance de certains travaux de l’ONCFS concernant les espèces chassables ». (C2) C’est sans doute la raison pour laquelle l’association FERUS (qui défend le Loup, le Lynx et l’Ours) demande à tous ses adhérents et sympathisants « de ne plus transmettre aucune de leurs données à l’ONCFS ». (C3)

 S’appuyant exclusivement sur les observations effectuées par l’ONCFS et par « la fédération départementale des chasseurs de Haute-Savoie » (A1, p°5 et 39), la copie du groupe d’experts ne serait-elle pas entièrement à revoir ? Le doute n’est-il pas légitime ?

VII. Une regrettable opacité

 La transparence autour des abattages est quasi inexistante. Les bouquetins abattus n’ont pas été contrôlés sérologiquement ; simples à réaliser (au moins sur quelques dizaines d’animaux !), ces contrôles étaient cruciaux, car ils auraient permis aux scientifiques de mieux comprendre la dynamique de l’infection et de faire face à d’éventuels nouveaux foyers. (A1, p°25) La raison de cette opacité semble simple : plus d’une centaine de bouquetins non-contaminés ont vraisemblablement été abattus, et une enquête scientifique indépendante risquerait d’entacher l’Etat.

 D’après l’ONCFS, en 2013, 65% des bouquetins du Bargy n’étaient pas contaminés. (A1, p°36) En réalité, compte tenu des probables biais statistiques, ce chiffre pourrait être plus bas. (C2) L’absence de contrôles sérologiques sur les animaux abattus empêche de connaître la prévalence réelle de l’infection.

 Un jeu de rhétorique a injustement condamné des dizaines de bouquetins. Alors que l’ONCFS et l’ANSES traitent, dans leur étude statistique, de la tranche d’âge des animaux de plus de cinq ans (explicitement : six ans et plus) (A1, p°37), ce sont les animaux de cinq ans (inclus) et plus qui ont été abattus (P1) ; et ce, alors que la prévalence de la maladie chez les animaux de cinq ans était basse. La lecture des chiffres de l’ONCFS nous apprend que les bouquetins de cinq ans étaient 2,8 fois moins contaminés que les individus de six ans. (A1, p°37)

 En outre, l’Etat indique abattre des bouquetins de cinq ans et plus, mais l’âge d’un bouquetin ne peut pas être déterminé à distance de tir puisqu’il est quasi impossible de connaître l’âge d’une femelle sans avoir les cornes en main ! (C1)(W1, p°27)(O2) De nombreux bouquetins âgés de 3 ou 4 ans ont vraisemblablement été tués. (C1) L’impossibilité d’accéder aux données relatives aux abattages ne fait que confirmer cette opacité.

 En septembre, face à l’opacité du dossier, des journalistes ont été induits en erreur. A priori, aucun journaliste n’a signalé que la décision prise par le Préfet de la Haute-Savoie n’était pas conforme à l’avis du Conseil National de Protection de la Nature ; détail qui remet fortement en cause la légalité de l’abattage (article L. 411-2-4° du code de l’environnement). (D1) Cette omission est grave et révèle un important manque de transparence. On pouvait lire, le 17 septembre, dans le sérieux Journal de l’Environnement : « L’Anses préconise notamment d’abattre les animaux de plus de 5 ans (de la classe d’âge de ceux contaminés) ». (P7) En octobre, j’ai pris contact avec la journaliste et l’ai invitée à lire le rapport de l’ANSES : elle a corrigé son article. Le 13 septembre, France 3 titrait « Pas d’abattage massif », et expliquait que « les bouquetins du massif du Bargy vont pouvoir souffler ». (P8) Quelques jours après, 197 bouquetins étaient abattus. L’opacité n’est-elle pas flagrante ?

 Le 26 septembre 2013, soit 5 jours avant l’abattage, l’AFP et le Figaro faisaient allusion, pour la première fois, à un abattage massif éclair, mais précisaient que celui-ci devait se dérouler « durant la deuxième quinzaine du mois d'octobre ». (P9) Il s’est déroulé le 1er et le 2 octobre. En somme, cinq jours avant l’abattage, à peu près personne n’était au courant de ce qui tramait !

 Avant d’ordonner cet abattage, le Préfet n’a pas organisé de consultation publique. Or, l’article L. 120-1-1 du code de l’environnement met en place le respect d’une procédure de participation du public avant la prise d’une décision ayant une incidence sur l’environnement.

 Prenant de vitesse les journaux et les tribunaux, le Préfet a signé son arrêté le 1er octobre ; le 2 au soir, 197 bouquetins étaient déjà morts ! (P1)(P2) Pour contenir le « risque de mobiliser des mouvements d’opposants », l’Etat a opté pour un manque de transparence en avertissant le public au dernier moment. Dans le même ordre d’idée, pour contenir le « risque de mobiliser des mouvements d’opposants », l’Etat pourrait, par exemple, interdire d’exprimer l’injustice. La transparence et le respect des mouvements d’opposants ne sont-ils pas l’essence de la démocratie ?

 

A suivre... En attendant, n'oubliez pas la pétition : 

http://avaaz.org/fr/petition/Petition_Stop_a_labattage_des_bouquetins_du_Bargy

 

Texte, photo 2 et photo 3 : Matthieu Stelvio (l'auteur de la photo de l'hélicoptère est anonyme) ; Détails des sources sur : http://lebruitduvent.overblog.com/bouquetinsdossier.html


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2 réactions à cet article    


  • viva 9 décembre 2013 10:56

    Il n’y a rien de scandaleux si rien n’est fait 80% des bouquetins vont disparaitre

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