Le syndrome du feu rouge
Imaginez-vous au milieu de la nuit, en pleine campagne, sur une route déserte au volant de votre automobile. Soudain, vous arrivez à un feu rouge. Vous vous arrêtez et vous attendez. Après quelques minutes, comme le feu est toujours rouge, et que vous n’avez vu aucune voiture passer, vous regardez des deux côtés pour vous assurer que la voie est libre. Rien à l’horizon. Pas la moindre lumière à part celle de vos phares. Pas le moindre piéton. Le feu, quant à lui, reste obstinément bloqué sur le rouge. Combien de temps vous faudra-t-il pour passer outre l’interdiction d’avancer et franchir cet obstacle ?
Parce qu’il faut bien nous rendre à l’évidence, la plupart des règles que nous respectons, nous les respectons pour de mauvaises raisons. Alors qu’à chaque fois que nous sommes sommés de les respecter, nous devrions nous poser la question du bien-fondé de ces lois qui régissent nos vies, nous y réagissons en termes de risques, de prix et de bénéfices. S’arrêter à un feu rouge, même lorsque nous sommes sûrs de ne pas provoquer d’accident au cas où nous passerions outre cette interdiction, ne se justifie que par la peur du gendarme : perdre quelques secondes vaut mieux que de risquer d’avoir à payer une amende. Et même, après ces quelques secondes d’hésitation, une fois sûrs qu’aucun agent ne se tient embusqué de l’autre côté du carrefour, beaucoup d’entre nous vont continuer d’attendre. Pourquoi ? Parce que malgré toutes les raisons invoquées par notre conscience, le respect de cette norme n’est plus un moyen (d’éviter les accidents ou de réguler le trafic), mais une fin en soi.
Nous n’obéissons plus parce que cela nous permet de vivre dans un monde meilleur, nous obéissons parce que nous ne voulons pas désobéir.
Dans de nombreux pays, la délinquance est telle qu’il est dangereux de s’arrêter aux feux rouges en pleine nuit, en particulier sur une route de campagne. Il est alors facile de passer outre l’obligation imposée aux automobilistes et de poursuivre son chemin. Mais en France, pays où le car-jacking relève le plus souvent de la simple malchance, il faudra trouver une autre bonne raison pour passer outre.
Cette raison viendra toute seule puisque plus nous passerons de temps à attendre et plus il nous sera facile de nous convaincre que ce feu rouge est en panne. Nul n’étant censé se plier aux ordres d’une machine défaillante, il sera alors aisé de reprendre notre route sans souffrir du remord ni être tiraillés par notre mauvaise conscience.
Mais si nous pouvons aisément pointer les dysfonctionnements d’une machine, lutter contre ceux du système relève le plus souvent de l’exploit. Les institutions sont de farouches adversaires et elles se battent avec d’autant plus d’acharnement qu’elles savent qu’elles défendent une cause injuste. À titre d’exemple, l’administration fiscale est l’image même de l’intransigeance avec les petits, alors que l’impôt dégressif qu’elle impose à la population est l’exemple type du dysfonctionnement administratif. Récemment, le projet de fichage des contestataires de contraventions nous montre lui aussi à quel point le système ne tolérera pas que l’on pointe ses erreurs.
Ce qui aggrave la situation, c’est que depuis peu le système s’appuie sur des concepts reconnus et acceptés par tous pour imposer ses règles iniques. Personne ne veut qu’il y ait plus de morts sur les routes, mais est-ce une raison suffisante pour les truffer de radars ? Tout le monde comprend que les artistes doivent pouvoir vivre du fruit de leur travail, mais est-ce une raison pour couper internet à des familles entières quand un adolescent a téléchargé une musique qui passe en boucle sur toutes les radios ? Toutes ces mesures, prises à des fins purement électoralistes et aussi inefficaces qu’inutiles, donnent le sentiment d’évoluer dans un système qui ne fonctionne plus ; et dans un tel système, l’obéissance s’apparente à la bêtise alors que la désobéissance devient la norme.
Puisque les politiciens utilisent maintenant des concepts admis par le peuple (principe de précaution, sécurité routière, propriété intellectuelle, droits d’auteurs…) pour satisfaire les intérêts de lobbies qui se soucient peu du bien commun (fabricants de vaccins, d’éthylotests, de films grand public, de variété…) les règles qu’ils nous imposent, à l’instar du feu bloqué au rouge, ont perdu leur légitimité.
Il est temps de désobéir, parce que si ce n’est pas l’absurde qui nous pousse à nous révolter aujourd’hui, ce sera la faim ou la peur qui nous y pousseront demain. Et dans une telle situation, nous ne pourrons plus nous contenter de contourner les lois, il nous faudra aussi nous attaquer au système qui les promulgue.
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