Législatives : des ministres sur la sellette
Pourquoi un ministre fraîchement nommé devrait-il briguer aussi un poste de député ? N’est-ce pas une mesure contre-productive, tant pour lui que pour les citoyens français ?
Parmi les différents cadeaux empoisonnés que Nicolas Sarkozy fit aux membres de son propre camp, il y eût celui de demander à ses ministres fraîchement nommés de se présenter à la députation, lors des législatives qui suivent de près l’élection présidentielle. Demande assortie d’une sanction, et non des moindres : accepter de démissionner de leur poste gouvernemental en cas d’échec. Cette exigence républicaine, qui veut adjoindre à la nomination ministérielle l’aval du suffrage populaire, n’était pas en soi une idée neuve, puisqu’elle était déjà active depuis 1988. Mais c’est Sarkozy qui l’a officialisée en 2007, sans doute pour mettre un bémol aux accusations de népotisme qui ne manquent jamais d’accompagner les nouveaux entrants au gouvernement. Tous ne passeront pas avec succès cette épreuve. Ce fut le cas pour Alain Juppé, nommé ministre de la transition écologique, qui abandonnera un mois plus tard cet important maroquin, suite à sa défaite dans sa circonscription bordelaise. Même s’il reviendra plus tard aux affaires par d’autres voies.
Bien qu’inégalement suivie, cette mesure – qui concernait d’abord des ministres ayant déjà des mandats locaux – n’a pas été remise en cause par les deux successeurs de Sarkozy à l’Elysée. Olivia Grégoire, l’actuelle porte-parole du gouvernement, l’a encore confirmée le 24 mai dernier. Malheur aux perdants ! Une épée de Damoclès est donc pendue au dessus de la tête des quinze membres de l’exécutif (sur vingt-huit présentement) qui relèveront le défi de la députation les 11 et 19 juin prochains. Gare à certains parachutages, hors des zones de confort macronistes. Parmi eux, il y a aussi Elisabeth Borne, première ministre en exercice, qui se présente dans le Calvados, à Vire-Evrécy. Même si elle a de grandes chances de l’emporter, rien n’est joué d’avance ; car elle peut focaliser la colère des opposants à Macron et ainsi pousser de potentiels abstentionnistes à aller voter contre elle.
Mais, à vrai dire, le problème n’est pas là. Il n’est pas, non plus, dans le souci du sort final de quelques privilégiés de la politique. Le problème est dans le caractère paradoxal, sinon incohérent, de cette demande faite aux ministres. D’abord, elle n’est pas suivie par tous et l’on peut alors se demander pourquoi elle n’est pas obligatoire, même pour les nouveaux-venus. Ensuite, elle n’est inscrite nulle part dans la constitution de la Cinquième République (c’est une sorte de loi coutumière). Enfin elle va à l’encontre de la loi – bien réelle – de non-cumul des mandats votée en 2014. Si un député - pour des raisons évidentes de disponibilité, voire de conflits d’intérêt - ne peut plus être en même temps maire, président d’une collectivité territoriale ou dirigeant d’entreprise, il ne peut pas non plus être ministre ou secrétaire d’état.
Comment d’ailleurs pourrait-il l’être avec une égale efficacité, tant au gouvernement qu’à l’Assemblée Nationale ? Où trouverait-il, dans ces conditions, le temps pour écouter les citoyens de sa circonscription et faire remonter leurs doléances dans les hautes sphères de l’état ? Etre ministre est un emploi à plein temps, tout comme celui de député, et l’une de ces deux fonctions, si elles sont conjointement exercées par le même homme (ou la même femme) risque fort d’être escamotée par l’autre. Concrètement, on sait ce qui va se passer : le ministre élu délèguera, pendant son mandat, son activité de député à son suppléant, le second sur sa liste électorale. Mais est-ce une option souhaitable pour la vie politique dans ce pays ? Franchement je ne le crois pas. Autrement dit, on s’achemine vers des situations qui vont encore galvauder notre république et accroître la colère des électeurs qui se sentiront, une fois de plus, délaissés par ceux censés les représenter.
Jacques LUCCHESI
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