Léon Degrelle. le « Führer wallon » : du Christ à la croix gammée
Il voulait être le fils spirituel d’Hitler, le sauveur de la Wallonie, un héros de l’Europe nouvelle. Léon Degrelle, cet orateur charismatique au verbe enflammé, a traversé le XXe siècle comme une comète sombre, laissant derrière lui un sillage de trahison, de sang et de controverses. De ses débuts catholiques à sa fuite en Espagne franquiste, son parcours mêle ambition démesurée, collaboration nazie et amitiés sulfureuses.
Un jeune Wallon en quête de destin
Léon Joseph Marie Ignace Degrelle naît le 15 juin 1906 à Bouillon, une agréable petite ville ardennaise nichée au sud de la Belgique. Fils d’un brasseur prospère et fervent catholique, il grandit dans un milieu conservateur, imprégné des valeurs traditionnelles d’une bourgeoisie rurale. Très tôt, le jeune Léon se distingue par une intelligence vive et une éloquence naturelle, des qualités qu’il mettra au service de ses ambitions dévorantes. Élève chez les jésuites, il se passionne pour la littérature et la théologie, mais déjà, une soif de pouvoir bouillonne en lui, loin des modestes horizons de sa province natale.
Dans les années 1920, Degrelle se lance dans le journalisme, un tremplin idéal pour son tempérament théâtral. Il rejoint Le Vingtième Siècle, un quotidien catholique, où il côtoie Georges Remi, alias Hergé, futur créateur de Tintin. Une rumeur persistante – amplifiée par Degrelle lui-même – voudra plus tard qu’il ait inspiré le célèbre reporter à la houppe. Si cette anecdote relève davantage de la mythomanie que de la vérité historique, elle illustre déjà son goût pour l’autoglorification. À cette époque, il se rêve en croisade contre le modernisme et le libéralisme, dénonçant la décadence morale dans des articles au ton virulent.
C’est en 1930 que sa trajectoire prend un tournant décisif. À 24 ans, il prend la tête des éditions Christus Rex, une maison de presse catholique. Sous son impulsion, le mouvement Rex naît, d’abord comme un cri de ralliement contre la corruption et les élites politiques belges. Degrelle y voit une mission divine : purifier la société par un retour aux valeurs chrétiennes. Mais derrière cette façade pieuse, un autre feu couve : celui d’un nationalisme exacerbé et d’une fascination croissante pour les idéologies autoritaires qui secouent l’Europe.
De Rex au fascisme
Le Rex de Degrelle n’est d’abord qu’un mouvement marginal, mais il gagne vite en popularité grâce à son charisme et à ses diatribes enflammées. En 1936, il atteint l’apogée de son influence : aux élections législatives, Rex décroche 21 sièges de députés et 8 sénateurs, un succès fulgurant pour un parti né à peine six ans plus tôt. À Bruxelles ou dans les campagnes wallonnes, ses discours électrisent les foules, surtout les jeunes et les désabusés. On parle alors du "Rex Appeal", cette capacité à séduire par un mélange de populisme et de romantisme révolutionnaire. Une femme dans la foule aurait crié : "Il est beau comme un dieu !". Une flatterie que Degrelle ne démentira jamais, bien entendu.
Mais ce triomphe cache une radicalisation. Inspiré par Mussolini, qu’il rencontre en 1936, et soutenu financièrement par le Duce, Degrelle délaisse peu à peu le catholicisme pour embrasser un fascisme assumé. Il multiplie les provocations : il insulte le roi Léopold III, qu’il juge trop faible, et menace les "pourris" de la classe politique. Ses méthodes rappellent celles des chemises noires italiennes ou des SA allemandes : intimidations, défilés, coups de force. Pourtant, les Allemands, déjà influents en Europe, le regardent avec méfiance : ils le trouvent trop imprévisible, trop wallon, pas assez docile.
L’invasion de la Belgique par l’Allemagne en mai 1940 marque un tournant. Arrêté par les autorités françaises à Abbeville, Degrelle échappe de justesse à une exécution sommaire avant d’être libéré par les nazis. Rentré à Bruxelles, il voit dans l’occupation une opportunité. Oubliant ses racines catholiques, il se jette corps et âme dans la collaboration, fondant la Légion Wallonie pour combattre aux côtés de la Wehrmacht sur le front de l’Est. "Les fluides passent avec Hitler", dira-t-il plus tard, convaincu que le Führer le considère comme un fils spirituel. Cette alliance scelle son destin et celui de milliers de volontaires wallons qu’il entraîne dans l’abîme.
Sur le front de l’Est : la Légion Wallonie et la Waffen-SS
En août 1941, la Légion Wallonie part pour l’Ukraine, intégrée aux forces allemandes contre l’Armée rouge. Degrelle, simple soldat au départ, se bat avec une bravoure qui impressionne. Ou du moins, c’est ce qu’il racontera. Blessé à plusieurs reprises, il grimpe les échelons, devenant officier dans la 28e division SS Wallonie en 1943. Sous son commandement, les Wallons s’illustrent dans des combats sanglants, comme à Tcherkassy en 1944, où ils subissent des pertes effroyables. Adolf Hitler lui décerne la croix de chevalier de la croix de fer avec feuilles de chêne, une haute distinction militaire rare pour un non-Allemand, et le reçoit en personne. "Si j’avais un fils, j’aimerais qu’il soit comme vous", aurait dit le Führer. Une phrase que Degrelle brandira comme un trophée, bien qu’aucune archive ne la corrobore.
Cette période est aussi celle de sa rencontre avec Heinrich Himmler, le chef de la SS. En mai 1943, à Berlin, Degrelle tente de négocier une autonomie pour la Wallonie dans le futur Reich. Il se vante d’avoir "impressionné" le Reichsführer-SS, mais les documents allemands racontent une tout autre histoire : il obtient peu, sinon des promesses très vagues et un grade de SS-Sturmbannführer (commandant). Himmler, pragmatique, voit en lui un outil de propagande, pas un égal. Quelques jours avant la capitulation allemande, en mai 1945, leurs chemins se croisent à nouveau par hasard au Danemark. Himmler, en fuite, l'aurait verbalement promu SS-Oberführer (grade entre celui de colonel et général de brigade, sans équivalence en français). Une nomination sans trace écrite, typique des derniers instants du chaos nazi.
Sur le front, Degrelle cultive sa légende. Il parade en uniforme, harangue ses hommes, rêve d’un Reichsgau wallon sous son contrôle. Mais la réalité est plus sombre : ses troupes, décimées, sont sacrifiées dans une guerre perdue d’avance. Pour les nazis, il reste un pion, un "collaborateur utile" au visage avenant. Sa mégalomanie éclate dans ses écrits, comme ceux publiés dans Le Pays réel, où il exalte l’annexion de la Belgique par l’Allemagne. À ses yeux, il n’est pas un traître, mais un visionnaire incompris.
De Bruxelles à Malaga
Le 27 décembre 1944, alors qu’il combat encore à l’Est, Degrelle est condamné à mort par contumace par le Conseil de guerre de Bruxelles pour intelligence avec l’ennemi. La Belgique libérée le vomit : son nom devient synonyme de trahison. En avril 1944, il avait pourtant défilé une dernière fois dans la capitale, juché sur un char avec sa femme et ses enfants. Une mise en scène grotesque, presque pathétique. Mais le IIIe Reich s’effondre et avec lui ses rêves de grandeur. Le 7 mai 1945, il s’enfuit du Danemark dans un petit avion Heinkel, atterrissant miraculeusement sur une plage espagnole après un vol de 2 500 kilomètres.
L’Espagne franquiste, refuge des vaincus du nazisme, l’accueille à bras ouverts. Naturalisé en 1954 sous le nom de León José de Ramirez Reina, Degrelle échappe à l’extradition malgré les demandes répétées de la Belgique. Il s’installe à Malaga, où il vit confortablement grâce à des soutiens obscurs : anciens SS, nostalgiques d’extrême droite, réseaux franquistes. Là, il se réinvente en écrivain, publiant des mémoires comme La Cohue de 1940, où il falsifie son passé avec une audace sidérante. Négationniste convaincu, il nie les crimes nazis et se pose en martyr d’une Europe trahie par les Alliés.
Sa chute est aussi morale. Jadis adulé, il n’est plus qu’un paria pour la Belgique, où son souvenir ravive la douleur de l’occupation. Pourtant, il conserve un pouvoir de fascination : des jeunes d’extrême droite affluent pour voir "le beau Léon", ce survivant d’un monde englouti. Sa mégalomanie ne faiblit pas : jusqu’à sa mort, il se rêve en prophète d’une renaissance fasciste, un rôle qu’il joue avec une théâtralité intacte.
Les amitiés sulfureuses : Jean-Marie Le Pen, Alain Delon et la postérité
En exil, Degrelle tisse des liens avec des figures controversées. Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, le rencontre dans les années 1980. En 1992, sur TF1, Le Pen le qualifie de "personnage considérable" et loue ses écrits, provoquant un tollé. Cette amitié, assumée sans complexe, illustre la fascination de l’extrême droite française pour ce reliquat vivant de la collaboration. Degrelle, flatté, voit en Le Pen un disciple, un écho à ses propres combats. Leurs échanges, bien que peu documentés, révèlent une convergence idéologique profonde.
Alain Delon, l’icône du cinéma et ami proche de Le Pen, entre aussi dans ce tableau trouble. En 1974, lors du tournage de Zorro en Espagne, l’acteur demande à rencontrer Degrelle. Une photo les immortalise, souriants, et Degrelle affirmera plus tard à la RTBF qu’ils se parlaient "tous les quinze jours" par téléphone. Delon, connu pour sa fidélité en amitié – il défendra aussi Jean-Marie Le Pen face à Marc-Olivier Fogiel – ne s’est jamais expliqué sur ce rapprochement. Était-ce une curiosité d’artiste ou une sympathie cachée ? Le mystère demeure, mais l’image choque encore.
Ces relations nourrissent la légende de Léon Degrelle, le "Führer wallon", tout en révélant son talent pour s’entourer de personnalités influentes. Jusqu’à sa mort, le 31 mars 1994 à Malaga, il reste un symbole ambigu : héros pour une frange radicalisée, monstre pour l’immense majorité. Ses cendres, dispersées à Berchtesgaden, là où se trouvait le Berghof, la résidence secondaire d'Adolf Hitler, par un ancien camarade SS, closent une vie marquée par l’orgueil et l’aveuglement.
Une tache sur l'histoire de la Belgique
L’ascension fulgurante de Degrelle pose une question lancinante : comment un homme a-t-il pu séduire autant de Belges ? Son succès initial reflète les fractures d’une société en crise économique, politique, identitaire. Rex a prospéré sur le désespoir des années 1930, offrant des réponses simples à des maux complexes. Mais son virage nazi a dévoilé une vérité plus sombre : une partie de la Wallonie, comme d’autres régions d’Europe, a succombé à la tentation totalitaire. Les 5 000 volontaires de la Légion Wallonie en sont la preuve tragique.
Sa collaboration a eu des conséquences durables. En Belgique, elle a exacerbé les tensions entre Flamands et Wallons, les premiers étant souvent perçus comme plus compromis dans l’occupation. Degrelle, en se posant en "Volksführer der Wallonen", a alimenté ce clivage, rêvant d’une Wallonie arrachée à l’État belge pour rejoindre le Reich. Après guerre, son exil a empêché un procès public, laissant un sentiment d’injustice. La Belgique a dû panser ses plaies sans jamais confronter pleinement ce spectre encombrant.
Aujourd’hui, Degrelle reste un cas d’école pour les historiens. Sa mégalomanie, son opportunisme et son charisme en font un archétype du collaborateur européen. Mais il est aussi un miroir tendu à une époque troublée, où les idéaux pouvaient basculer dans l’horreur. Son héritage, s’il en est un, se limite à une poignée de nostalgiques et à une leçon : la vigilance face aux beaux parleurs qui promettent l’impossible.
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