Les animaux morts au champ d’honneur
Montrer de la gratitude aux animaux qui nous rendent service, c’est une bonne chose. Le chien qui protège la maison ou des enfants dans un cadre domestique mérite d’être remercié par une bonne dose d’affection en plus de sa ration de croquettes. Celui qui en Gendarmerie piste les personnes disparues ou flaire de la drogue rend service à la société : il y en a même qui sont décorés pour ça ! L’histoire du dragon de la Garde impériale Melet et de son cheval Cadet1 est exemplaire d’une belle loyauté mutuelle entre l’homme et la bête. Certains chevaux ont légué leur nom à l’histoire : Bucéphale, Marengo, Albe. Les anonymes mulets du Corps Expéditionnaire Français en Italie étaient les indispensables auxiliaires des troupes et ont participé plus que largement au succès décisif tricolore, et nombreux sont morts là-bas. La reconnaissance peut dépasser la stricte durée de vie de la bête : un quasi-culte était rendu aux oies sacrées de Junon au Capitole à Rome longtemps après que leurs ancêtres eurent donné l’alarme lors de l’attaque nocturne des gaulois. Oui, des animaux ont participé à des guerres depuis longtemps, qu’ils soient chevaux, chiens, mulets ou pigeons voyageurs.
Quatre « sculptures plates » de ces animaux d’un bleu agressif ont été installées square Boucicaut à Paris (VII°). Ce monument a été inauguré ce 30 janvier 2024 afin de rendre hommage aux animaux morts pendant les guerres. Paris s’enlaidit d’une « œuvre » qui ne présente aucun intérêt esthétique semblent penser quelques parisiens rétifs à la performance artistique de Gérard Collin-Thiébaut2.
Alors se posent quelques questions.
Quel commanditaire faut-il blâmer pour ces silhouettes ? La mairie ? Un quelconque ministre ? Après les fontaines « Swarowski » de Ronan et Erwan Bouroullec3 et le Cœur de Paris de Joana Vasconcelos4, peut-être eut-il été avisé de tenter une œuvre moins polémique ?
Paris n’a pas eu de monument aux morts à proprement parler jusqu’au 11 novembre 2018, et celui qui est au Père Lachaise ne concerne que les parisiens morts au combat (ou des suites de leurs blessures) lors de la guerre 1914-1918. Faut-il conclure que les conflits ultérieurs sont subalternes ? Résonne alors un refrain de Georges Brassens : « Mais, mon Colon, celle que j’préfère, c’est la guerre de 14-18 ». Et les animaux morts tous conflits confondus sont-ils plus honorables que les soldats tués en 39-45, en Indochine, en Algérie ?
Veuillez excuser la métaphore qui empreinte à la maltraitance animale, mais la Mairie de Paris, l’hôtel de Brienne ou le Palais-Royal n’auraient-ils pas d’autres chats à fouetter ? Allouer des deniers publics à ça quand ces maisons sont exsangues et s’avèrent incapables de remplir leurs missions les plus essentielles, n’est-ce pas un brin provocateur en ces temps de crise ?
Donner des gages aux écologistes semble être une compulsion fréquente chez tous les décideurs politiques. Serait-ce le cas ici ?
Enfin, onze millions d’équidés morts pendant la Grande Guerre, c’est certes un tribut énorme, mais c’était un cheptel existant, disponible, à une époque où les transports mécaniques étaient un luxe. Et 220 000 avortements par an depuis 50 ans, ça fait aussi onze millions. Aujourd'hui où les victimes reçoivent des médailles, qui pour leur ériger un monument ? Mais chut ! En ces temps où tant de veules députés votent pour que le droit d’avorter entre dans la constitution, évoquer ce scabreux calcul vous rangera parmi les pisse-vinaigres.
Illustration : © X.com @CorineFaugeron
1https://youtu.be/kXYTEOsiRbc?si=XrOJhnjPH3mv2r32
2https://www.leparisien.fr/paris-75/on-dirait-des-dessins-denfants-a-paris-le-tout-premier-monument-aux-morts-des-animaux-peine-a-seduire-30-01-2024-KMWLN2GENRFGPO6CRFDR3NHKRM.php
3https://www.leparisien.fr/paris-75/les-champs-elysees-meritaient-ils-ces-fontaines-07-04-2019-8048244.php
4https://www.leparisien.fr/paris-75/porte-de-clignancourt-tres-cher-coeur-de-paris-27-02-2019-8021616.php
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