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Accueil du site > Tribune Libre > Les barbares dans la cité (III) – Les produits d’appel du (...)

Les barbares dans la cité (III) – Les produits d’appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise.

Il semble que la politique d’un mécène milliardaire repose sur une recette éprouvée qui doit tout au procédé de la répétition : il n’est pas d’erreur qui, inlassablement répétée, ne finisse par prendre des airs de vérité. Appliquée au domaine de l’art, elle s’énonce ainsi : il n’est pas d'horreur qui inlassablement exposée de façon répétitive ne finisse par passer pour la beauté.

Il faut dire, cependant, que, dans l’extraordinaire ville de Venise, musée du patrimoine de l’humanité à ciel ouvert, la belle obstination du milliardaire Pinault touche à l’héroïsme.

Vitrine d’horreur devant le Palais Grassi
 
Depuis qu’il s’est offert le Palais Grassi sur le Canal Grande, il ne cesse de renouveler à sa porte sur un ponton ce qu’en bon commerçant il doit appeler des produits d’appel pour tenter de déclencher chez les touristes de passage en vaporetto une pulsion de visite de ses collections.
 
- Une année, c’était appétissant, une gigantesque tête de mort était posée à même le sol à la façon des têtes olmèques géantes de Villahermosa au Mexique, mais elle n’était pas en pierre, seulement en ferblanterie : louches, écumoires, cafetières, pots, cuillers et fourchettes étaient agglomérés pour faire ressortir… le délicieux sourire de la mort !
 
- L’an dernier, on voyait un énorme paquet de cigarettes éventré à l’abordage par un tabouret de bar.
 
- Cette année, on a peine à reconnaître la répugnante silhouette squelettique de ferraille noire qui oscille, selon les intericonicités suscitées en chacun, entre un gorille putréfié titubant et un sinistre personnage tiré d’un film d’horreur. (Photo 1 ci-dessous)
 
Qui, en sortant du musée de l’Accademia où il est resté en extase devant « La tempête  » de Giorgione », « Le repas chez Lévi  » de Véronèse ou « Le jeune homme  » rêveur de Lotto, ou encore tout simplement devant les ravissantes figurines aux chapiteaux du Palais des Doges, peut se sentir attiré par la vitrine des horreurs de M. Pinault ?
 
Baigneur blanc circoncis au crapaud et vigile à la pointe de la Dogana
 
Trop à l’étroit sans doute dans le Palais Grassi pour les abriter, le milliardaire, on le sait, s’est offert aussi la Dogana, à la proue de l’île qui s’avance entre le Canal Grande et le Canal de la Giudecca. Devant l’entrée, le produit d’appel, lui, n’a pas changé depuis l’an dernier, à croire qu’il représente bien la collection et ne saurait être remplacé. C’est un baigneur géant de plus de deux mètres, debout tout nu, ventre bombé, à la blancheur immaculée, qui exhibe, face à San Giorgio à droite et au Palais des Doges à gauche, son sexe circoncis tandis qu’il tient à bout de bras un crapaud par la queue (Photo 2 ).
 
L’exposition de l’œuvre sur un des sites les plus en vue de Venise indigne à ce point que le milliardaire est contraint d’affecter à sa garde un vigile pour qu’ « un indigné » ne la jette pas à l’eau. Du coup, le baigneur blanc et son vigile forme désormais un couple symbolique, révélateur de la violence que les barbares introduisent dans la cité : vient un temps, en effet, où les représentations absurdes que leur puissance financière impose comme œuvres d’art, sont vécues comme des agressions qui suscitent en retour la tentation d' une riposte. (Photo 3)
 
Une métaphore d’une stratégie de confusion des esprits
 
Mais, cet été, le milliardaire ne s’en tient pas à ces seules exhibitions pitoyables en vitrine. Une campagne publicitaire assène deux slogans qui trahit l’esprit des expositions en cours à la Dogana et au Palais Grassi, 
 
- L’un d’eux qu’on voit à la Dogana et sur un vaporetto, est « ÉLOGE DU DOUTE  », en italien, français et anglais. On s’en réjouirait, si l’idée saugrenue d’inverser les lettres qui rend d’abord les mots illisibles, ne jetait pas précisément le doute sur le sérieux de l’éloge supposé (Photos 4 et 5).
 
- L’autre slogan apposé sur la façade du Palais Grassi n’est ni plus ni moins qu’un leurre de la flatterie tant prisé de la publicité, traduit lui aussi dans les trois langues : « Le monde vous appartient  » (Photos 6 et 7). Mais, cette fois, ce sont les mots des différentes langues qui sont mélangés dans un sabir de Tour de Babel incompréhensible, ôtant, lui aussi, tout sérieux aux phrases privées de sens : « IL MONDE VOUS BELONGS – LE WORLD VI APPARTIENNE – THE MONDO APPARTIENT TO YOU  ».
 
Qui peut donc se laisser prendre à pareille flagornerie par temps de mondialisation sauvage qui nivelle les niveaux de vie par le bas ? Il n’y a qu’un milliardaire, obnubilé par le pouvoir de son argent, pour avoir l’idée étrange que le monde puisse appartenir à quelqu’un. En revanche, ce mélange insensé de lettres et de mots est une belle métaphore de la stratégie de confusion des esprits suivie par la ploutocratie mondialiste.
 
Que ce soit à Vienne, au Kunsthistorishes Museum comme on l’a vu dans un premier article avec Jan Fabre (1), ou que ce soit à Venise avec Anish Kapoor dans l’église de Sans Giorgio (2) et les produits d’appel du milliardaire Pinault, l’art officiel contemporain tente, cet été, de s’installer de force sous les yeux d’un public qui le fuit. Il en a manifestement les moyens financiers pour investir les hauts-lieux de culture fréquentés, comme un musée, une église ou une capitale de l’art comme Venise. Mais, il a beau faire, l’argent ne suffit pas pour susciter chez les êtres les quatre états que provoque une œuvre d’art accomplie : le saisissement réflexe, l’enchantement de la grâce, l’admiration devant la technique de l’artiste et la réceptivité maximale à la transmission d’une expérience humaine (3). Au contraire, cette indécente prétention à se vautrer dans les écrins les plus achevés de l’art , rend encore plus insupportable l’inculture de barbares qui s’emploient à jeter la confusion dans les esprits pour mieux ruiner la cité à leur profit. Car, en protégeant ceux qui ne possèdent rien, la culture reste le dernier rempart qui contrarie leur dévastation en cours. Paul Villach 
 
 
(1) Paul Villach, « Les barbares dans la cité (I) – Jan Fabre au Kuntshistorischesmuseum à Vienne  », AgoraVox, 9 août 2011.
 
(2) Paul Villach, « Les barbares dans la cité (II) – « L’Ascension » d’Anish Kapoor à l’Église Sans Giorgio de Venise  », AgoraVox, 10 août 2011.
 
(3) Paul Villach, « À Rome, « Apollon et Daphné », une œuvre du Bernin à couper le souffle  », AgoraVox, 13 septembre 2010

Documents joints à cet article

Les barbares dans la cité (III) – Les produits d'appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise. Les barbares dans la cité (III) – Les produits d'appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise. Les barbares dans la cité (III) – Les produits d'appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise. Les barbares dans la cité (III) – Les produits d'appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise. Les barbares dans la cité (III) – Les produits d'appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise. Les barbares dans la cité (III) – Les produits d'appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise. Les barbares dans la cité (III) – Les produits d'appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise.

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9 réactions à cet article    


  • Clouz0 Clouz0 11 août 2011 11:39

    11.08.2011 EXCLUSIF

    L’ART vient enfin d’être défini par ce qu’il doit impérativement provoquer chez son spectateur pour avoir accès à l’appellation officielle Oeuvre d’Art Accomplie ® © TM (Copyright PV 2011) :

    « … les quatre états que provoque une œuvre d’art accomplie :
    1 -le saisissement réflexe,
    2- l’enchantement de la grâce,
    3 -l’admiration devant la technique de l’artiste
    4 -la réceptivité maximale à la transmission d’une expérience humaine »

    C’était donc ça ! La science, l’art et l’esprit de synthèse clairvoyante viennent de faire 1 grand pas ! smiley


    • SATURNE SATURNE 11 août 2011 11:51

      @Clouz0 :
      Oui, enfin attention tout de même, votre analyse est lacunaire :

      A ces 4 états doivent s’ajouter le leurre d’appel, la recherche de la méthonymie et, naturellement, la recherche de la sexualité torride et poisseuse.
      Bref, je vous trouve un peu béat, ou méme Béa, M’sieur Clouz0.
      Soyez plus rigoureux.
      Sans rancune.


    • COVADONGA722 COVADONGA722 11 août 2011 12:26


      salions ici mr Villach qui vient de ramener Kant au néant , bravo Agoravox de nous faire decouvrir les phares de demain .......



      « Lorsqu’il s’agit de ce qui est agréable, chacun consent à ce que son jugement, qu’il fonde sur un sentiment personnel et en fonction duquel il affirme qu’un objet lui plaît, soit restreint à sa seule personne....................... C’est pourquoi il dit : la chose est belle et dans son jugement exprimant sa satisfaction, il exige l’adhésion des autres, loin de compter sur leur adhésion, parce qu’il a constaté maintes fois que leur jugement s’accordait avec le sien. Il les blâme s’ils jugent autrement et leur dénie un goût, qu’ils devraient cependant posséder d’après ses exigences ; et ainsi on ne peut dire : « À chacun son goût ». Cela reviendrait à dire : le goût n’existe pas, il n’existe pas de jugement esthétique qui pourrait légitimement prétendre à l’assentiment de tous »
       Kant : « de l’art »


      • Lorenzo extremeño 11 août 2011 15:34

        Encore un article qui utilise des photos racoleuses en tête d’article, comme autant de leurres

        d’appel sexuels,tout cela pour masquer l’indigence d’une fallacieuse critique d’art estivale,

        Non Monsieur ! je ne suis pas tombé dans votre piége grossier  smiley

        Diantre ! la modération est elle aussi en vacances ?


        • Alpaco 11 août 2011 21:49

          Cher Paul,
          au regard des commentaires précédents il apparait que l’art c’est quand des gens payent pour ce qui est à leur gout. Libre à eux de payer pour du caca ou du vomi car « il n’existe pas de jugement esthétique qui pourrait légitimement prétendre à l’assentiment de tous ».
          Et juger de la valeur artistique d’une oeuvre ne procéderait que du gout du néophyte. Tous ceux qui enseignent aux beaux arts ne parlent que du gout de chacun, rien de technique, aucun artiste dont les références ne sont pas liées au prix de vente (vu à la télé).

          Répetez après moi : le laid est le beau, le beau est le laid.


          • Paul Villach Paul Villach 12 août 2011 11:58

            @ Alpaco

            je répète après vous « Le laid est le beau et le beau est le laid » et quand le laid est sur le feu, il ne faut pas le quitter des yeux, dès fois qu’il se sauverait... Paul Villach


          • Bobby Bobby 11 août 2011 22:25

            Bonsoir,

            Une petite précision bénigne, c’est par la patte (a.d.) que l"enfant tient le crapaud et non par la queue !

            bien à vous


            • Paul Villach Paul Villach 12 août 2011 11:56

              @ Bobby

              Vous avez raison. Comment expliquer mon erreur ? La doxa freudienne a sûrement réponse à ce « déplacement » fort malencontreux. Paul Villach


            • docdory docdory 16 août 2011 09:48

              Cher Paul Villach

              1°) Je suppose que la « statue » du bébé au crapaud n’est même pas en marbre ( bien peu de ces artistes contemporains seraient capables de travailler le marbre ) , mais en vulgaire polymère.
              2°) Plaignons ce vigile qui doit passer huit heures par jour dans un uniforme sombre sous un soleil de plomb, tel que doit l’être celui qui règne à Venise en été, pour surveiller ce machin très voyant mais sans intérêt artistique ! Faut-il que la crise économique soit grave pour que des êtres humains en soient réduits à choisir une pareille profession ...
              3°) Quant à cette représentation partiellement terminée ( la structure métallique restant visible ) d’une sorte d’hybride entre un monstre marin et un alien, on se demande bien qui, à part François Pinault, voudrait acheter, ou même commander, une pareille horreur ! 
              Le monde nous appartient ? Oui, celui que nous a laissé les dirigeants des multinationales tels que François Pinault : un monde en vrac, sens dessus dessous, comme les écritures prétentieuses qui « ornent » les murs du palais qu’il s’est offert !

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