Les Etats-Unis ont secrètement retiré leurs bombes atomiques d’Europe
Le chercheur associé au bureau berlinois de l'Institut pour la recherche sur la paix et la politique de sécurité de l'université de Hambourg (IFSH), Oliver Meier, vient de déclarer dans le Zeit que « Etats-Unis ont retiré un tiers de toutes les bombes atomiques d'Europe et que personne ne l'a remarqué ».
Pour l'auteur invité à s'exprimer dans le Zeit, « les bombes atomiques en Europe ont perdu leur importance en tant que marchandises d'échange de contrôle des armements avec la Russie et en tant que symboles politiques de la solidarité de l'Otan ». Selon lui, « c'est l'occasion pour le gouvernement fédéral [Berlin] de faire pression pour de nouvelles mesures de désarmement, car le gouvernement de Joe Biden veut de toute façon réduire le rôle des armes nucléaires dans la politique de sécurité américaine ». Une nouvelle stratégie américaine et européenne se dégage à l’horizon.
Stupéfaction. On apprend que des experts de la Fédération des scientifiques américains Hans Kristensen et Matt Korda écrivent que les Etats-Unis ont considérablement réduit le nombre de leurs bombes nucléaires en Belgique, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie au cours des dernières années. Il n'y a plus 150 armes nucléaires, mais une centaine de bombes nucléaires de type B61 stationnées en Europe dans le cadre de la participation nucléaire de l'Otan. Washington a apparemment retiré un tiers des armes nucléaires américaines stationnées en Europe. L'absence de réponses politiques au désarmement montre aujourd'hui que les armes nucléaires américaines ont perdu leur importance politique et militaire en Europe. « Un retrait aussi important des armes nucléaires aurait fait la une des journaux pendant la guerre froide. Le silence entourant cette réduction est stupéfiant », raconte l’expert en sécurité.
Signification. Cette réduction considérable des armes nucléaires américaines en Europe, sans que cela ne soit commenté à Berlin ou clairement discuté à Bruxelles, permet de tirer quatre conclusions sur l'importance politique et militaire des armes américaines stationnées en Europe. « Dans un premier temps, les armes nucléaires stationnées en Europe sont moins importantes pour la cohésion de l'Otan qu'elles ne le sont habituellement.
Deuxièmement, la politique concernant les armes nucléaires de l'Otan est de plus en plus élaborée dans le champ secret », martèle l’invité du Zeit. « Les décisions sont désormais prises par des organes qui se réunissent secrètement à Bruxelles ou simplement annoncées depuis Washington », explique Oliver Meier, envisageant aussi « un manque d'intérêt politique », tout en relatant que le gouvernement allemand « lance des enquêtes parlementaires inoffensives du Bundestag en raison des règles du secret de l'Otan » et de conclure que « la transparence et la participation démocratique en matière de dissuasion nucléaire ne sont apparemment pas souhaitables ».
Troisièmement, la valeur des armes stationnées en Europe comme monnaie d'échange dans les négociations sur le contrôle des armements avec la Russie est apparemment limitée car une grande partie des armes est partie sans que Moscou ait à fournir quoi que ce soit en retour ou même qu'on lui demande de le faire.
Quatrièmement, les armes américaines stationnées en Europe présentent un risque pour la sécurité. Prenant l'exemple de la Turquie, membre de l'Otan, on comprend que Washington vise une stratégie différente au sein de l'Otan, regardant avec défiance ces alliés que cela soit la Turquie et même aujourd'hui l'Allemagne principalement.
Selon Hans Kristensen et Matt Korda, les Etats-Unis ont retiré la plupart, environ 30, des armes nucléaires de la base de l'armée de l'air turque à İncirlik. Ces dernières années, il y a eu des rumeurs répétées expliquant que Washington aurait mis les 50 bombes atomiques B61 stationnées là-bas en lieu sûr après la tentative de coup d'Etat de 2016. Ankara avait temporairement coupé l'alimentation de la base d'armes nucléaires, isolé l'installation du monde extérieur et arrêté le commandant turc. Mais 20 armes nucléaires restent sur la base, qui est à environ 120 kilomètres de la frontière avec la zone de guerre civile syrienne.
Une nouvelle situation géostratégique. Berlin, négociant avec la Russie pour la faisabilité de Nord Stream 2 et avec sa politique de désarmement du moins américaine, semble provoquer ce mouvement américain sur le grand échiquier géopolitique. Olivier Meier souligne que Berlin devrait donc profiter des discussions à venir sur un nouveau concept stratégique de l'Otan pour annoncer à Bruxelles le retrait à l'amiable des armes restantes, expliquant, certainement, les sorties récentes d'Emmanuel Macron sur l'Otan. C’est le signal de la mise en place d'une nouvelle stratégie militaire du côté occidental chez les alliés de l'Otan et aux Etats-Unis directement puisque « l'administration de Joe Biden veut réduire le rôle des armes nucléaires dans la politique de sécurité américaine » et que « les généraux américains admettent volontiers que les armes nucléaires n'ont plus de valeur ajoutée militaire en Europe ». En outre, Berlin ne suit pas fidèlement son partenaire français dans les pas de danse sous le couplet franco-allemand de la musique des projets militaires.
Pierre Duval
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Source : http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=2547
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