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Accueil du site > Tribune Libre > Les folies de la Guerre Froide révélées (3) : le champion abattu

Les folies de la Guerre Froide révélées (3) : le champion abattu

En 1960 encore, trois ans après sa mise en service, l'U-2 fait toujours le ravissement de son employeur, à savoir la CIA. L'aigle chauve ("Bald Eagle") son tout premier surnom (avant "Angel" et aujourd'hui "Dragon Lady") fait des merveilles en survolant impunément l'URSS. Les russes savent qu'il existe, le voient même passer au dessus de leur tête... mais n'arrivent pas à l'attraper : leurs chasseurs, même les plus récents (alors le Mig-17), sont distancés. Ou plutôt n'arrivent pas à grimper aussi haut que lui. Fort de sa supériorité, l'U-2 se hasarde davantage à l'intérieur des terres russes : la CIA s'intéresse beaucoup à un village perdu situé en plein désert de steppes du Kazakhstan, à environ 200 kilomètres à l'est de la Mer d'Aral. Il s'y passe de bien étranges préparatifs...

La découverte qu'y fera l'U-2 sera en effet fondamentale : en une seule photo, extraite du lot de photos (ramenées dès 1957,puis confirmé en 1959), les efforts de la CIA avaient été récompensés. Ils paliront cependant à vue en regardant la taille de ce qu'il venait de survoler : un pas de tir, mais de taille plus que conséquente : eux qui en étaient alors à se battre avec une fusée juste capable de lancer un pamplemousse se retrouvent avec devant les yeux un site de lancement russe énorme, surdimensionné à leurs yeux. L'histoire de la découverte du site mérite d'être rappelée : les russes avaient été trahis... par une voie ferrée, qui ne menait à rien, à ne conduire qu'au milieu d'un désert.  Ce qui avait intrigué les fins limiers de la CIA, qui avaient eu recours à un vieux document pour découvrir le pot aux roses. "Le renseignement américain soupçonne l'existence d'un site d'essai de missiles à proximité de la mer d'Aral vers 1957. Il est devenu l'un des objectifs principaux de recherche des avions espions U-2 qui survolaient la Russie. Le U-2 a ramené les premières photos aériennes de l'emplacement de test à l'été 1957. Grâce à l'utilisation de cartes allemandes militaires de l'Union soviétique, la CIA était en mesure de corréler la région avec la ville de Tyura-Tam. Une carte de 1939 a montré une voie ferrée, à partir d'une jonction à Tyura-Tam et conduisant 28 kilomètres plus loin dans la steppe. Davantage de photos des installations de Tyura-Tam, y compris un superbe cliché très connu du siite de lancement de la R-7 ont été réalisés en 1959" : les américains n'ont donc pu voir le pas de tir du célèbre Spoutnik que deux ans après son lancement, après avoir subodoré qu'il s'y préparait quelque chose d'important ! Le secret soviétique est resté bien gardé ! Tellement bien, que les espions US devront patienter 10 ans et se rendre au Bourget (en 1967 !) pour admirer la forme de la fusée lanceuse de Spoutnik et de de Vostok ! La forme fabuleuse trouvée par Korolev, celle d'un corps central ceinturé de 4 boosters était tellement géniale qu'elle fonctionne toujours 50 ans après, et a été copiée partout,  notamment par les américains avec leur Titan III, véhicule qui se chargera des lancements les plus lourds en dehors de la conquête lunaire. En ce sens, on peut parler d'échec relatif du renseignement US, celui qu'amène le choc médiatique de l'annonce de Spoutnik, très vite suivi d'une onde déferante de satellites de plus en plus lourds : en fait, les soviétiques avaient lancé une boule d'acier de 80 kilos avec une fusée capable de mettre 4,7 tonnes en orbite, le poids du Vostok  ! Le poids aussi des futurs satellites espions russes ! Il y avait de quoi s'inquiéter en effet !

Les américains ne sauront pas déterminer en effet la taille de la fusée russe, même si un document déclassifié en date de mars 1966 montrait un assemblage de boosters autour d'un corps central. Dans l'exemplaire de Mécanique Populaire de mai 1963 (N°204) encore ; on n'avait pas su déterminer la forme ni de la fusée ni du vaisseau Vostok, dont les russes, plutôt malins, n'avaient alors montré que la coiffe. A peine si on était arrivé à déterminer un élément de la capsule : son siège éjectable, qui avait servi de réceptacle au boîtier contenant les premiers chiens de l'espace revenus vivants, Belka et Strelka, (plus 40 souris, deux rats et des varétés de plantes) le module de Spoutnik 5 (de son vrai nom Korabl-Sputnik 2, lancé le 19 août 1960).

Sur le document de la CIA, les coûts différentiels sont estimés à 280 millions de dollars pour le prpgramme Mercrury contre 320 déjà pour le programme Vostok : les USA savent déjà que les soviétiques "avaient mis le paquet", dans la course à la Lune, but ultime de l'époque pour l'astronautique : l'ensemble du programme astronautique US coûte 4,5 milliards de dollars contre 4,5 chez les russes. La CIA estime qu'en 1966, ce sont 5,5 milliards annuels qui sont dépensés aux USA pour la recherche spatiale. La majeure partie se préoccupant du débarquement sur la Lune, les russes semblant moins y songer que les USA, affirme le même rapport (page 6).

Toujours dans le même rapport secret, trois ans avant d'aller sur la Lune, les américains s'aperçoivent que ça coûte très cher, que leurs budgets spatiaux explosent, et que si l'URSS s'est fixée elle aussi une limite à 1970 pour aller sur la Lune, les efforts qu'elle montre pour l'atteindre semblent faibles : selon la CIA, "ils ne sont pas compétitifs avec ceux d'Apollo".

Plusieurs années auparavant, question appareils abattus, la Guerre Froide n'avait pas encore soldé tous ses comptes. L'année même du lancement de Spoutnik III, un engin de plus de 1300 kilos (soit le tiers encore de ce dont est capable la Semyorlka, mais les américains l'ignorent) s'élance, et le tir au pigeons aux avions indiscrets reprend aussitôt : quatre MiG-17 soviétiques abattent de concert le 2 septembre 1958 un C-130 de reconnaissance (numéro 60528). La scène se passe cette fois au sud, à la frontière arménienne, l'appareil emportait 17 personnes, toutes tuées dans le crash qui a suivi. Le C-130 aurait dévié de sa trajectoire et serait entré en URSS. Survolant auparavant Trabzon à une altitude de 25 500 pieds (7700 m), le C-130 s'est écrasé près du village de Sasnashen, à 34 miles (54 km) au nord-ouest d'Erevan, la capitale arménienne. L'avion basé à Rhein-Main, en Allemagne, venait de la base aérienne d'Incirlik (Adana), en Turquie.  Selon les américains, le C-130 aurait été désorienté par des balises soviétiques de navigation en Arménie et en Géorgie soviétique, qui se trouvaient sur des fréquences similaires à celles de Trabzon et de Van. 22 jours plus tard, les russes remettent 6 corps aux américains, en niant avoir abattu l'appareil : aucune nouvelle des 11 autres membres d'équipage, tous de l'USAFSS, des spécialistes des télécoms : auraient-il réussi à sauter avec leur équipement de parachutistes, dont ils étaient munis ? Pendant cinq mois aucune nouvelle. Les USA savent pourtant que leur avion a été abattu. Les américains, lassés des dénégations russes, font entendre le 6 Février 1959, lors d'une session à l'Organisation des Nations Unies l'enregistrement-choc des conversations des pilotes de chasse russes au moment où ils ont attaqué le C-130 (resté donc en liaison avec sa base). Les russes sont pris sur le fait. Il faudra néanmoins attendre 32 ans plus encore, en 1991, et Boris Yeltsin pour que les russes reconnaissent vraiement avoir abattu l'appareil ! Deux ans plus tard, une équipe de recherches US autorisée à revenir sur les lieux du crash retrouvera une plaque d'identification ("dog" tag) appartenant à Archie Bourg, un technicien de maintenance à bord de l'appareil. 

Au seuil des années 60, les russes continuent à lancer satellite sur satellite, pendant ce temps là. Cette frénésie de lancements met en émoi la CIA, qui se doute que le prochain, à ce rythme-là, sera pour sûr un être humain... ou une capsule bourrée d'appareils photos. Le cliché de 1959 leur a certes donné la dimension de la base de lancement, mais les américains ignorent toujours celles de la fusée : ordre est donné d'aller tenter de surprendre un des lancements de la R-7 dont ils ignorent alors tout. En face, pour ne pas rester indifférent, les soviétiques ont décidé de renforcer les défenses du site... avec leur nouvelle arme : des missiles, et non plus leurs Migs poussifs (le Sukkhoï Su-15 "Flagon", introduit en 1962, plus rapide, culminera à 17 500 m).

Leur arrivée sera fatale au prochain visiteur d'altitude, piloté par Gary Powers, à bord d'une mission qui se terminera mal, on le sait : "Selon un vétéran de la INPI-5 , le renseignement soviétique connaissait le survol à venir de FH Powers en mai 1960. En Avril 1960, une de brigade de la défense antiaérienne a été déplacée précipitamment de Leningrad à Tyura-Tam. Les missiles de la brigade sont arrivés à l'aérogare de fret du site 2 et ont été déployés à l'installation n°38 ainsi qu' à proximité du bâtiment d'assemblage de la R-7 et ont été notifiés de se prépararer au combat pour le 30 avril. Alors que Gary Powers décollait de la base du Pakistan le 1er mai 1960, le site de test INPI-5 a été mis en état d'alerte élevé. Selon une source russe, les hommes de la défense aérienne de Tyura-Tam ont activé leur guidage radar trop tôt, permettant au pilote de l'U-2 en approche de détecter le danger et de contourner Tyura-Tam ; la source de l'Ouest, cependant, affirme que la couverture nuageuse ce jour-là a empêché Powers de survoler le site. Dans tous les cas, l'avion a été abattu plus tard sur l'Oural." Historiquement, on constatera que Khrouchtchev, prévenu de la mission d'espionnage de l'avion U2 américain, avait décidé de ne pas l'abattre pour ne pas compromettre le sommet de Paris auquel il tenait. Le passage au dessus d'un régiment spécilalisé aura eu raison des ordres en plus haut lieu. L'annonce de la perte d'un appareil espion est dramatique pour les américains et une aubaine pour les soviétiques, qui vont tout faire pour théâtraliser au maximum le procès qu'il vont intenter au pilote capturé, destiné à humilier avant tout les Etats-Unis. C'est un Kroutchev rayonnant qui a visité l'endroit où ont été amassés les débris de l'avion de Powers. Les américains, dans un premier temps, nieront la mission, faisant même appel au concepteur de l'appareil pour réaliser ce qu'on peut appeler un faux témoignage : dans le Los Angeles Times, Kelly Johnson viendra même dire que la photo des débris de l'U-2 montrés dans les journaux US était un faux ! (*).

L'U-2 N°6693 venait de loin (du Pakistan) et a été abattu... par hasard, les soviétiques ne s'attendant pas à le voir passer à la verticale de leur DCA. Effectivement, c'est bien après être passé au dessus de sa cible qu'il a été l'objet d'un tir de DCA fait avec des missiles : "le plan de vol de Powers devait le mener de Peshawar, au Pakistan à Bodo, Norvège, un trajet de 9 heures et demie et qui devait couvrir 3788 miles (plus de 6000 km !), dont la plus grande partie dans l'espace aérien soviétique. Cependant, à Sverdlovsk dans l'Oural, il passa au dessus de deux bataillons soviétiques équipés avec le nouveau missile de surface-air-SAM. C'est un de ces SAM qui a explosé derrière Powers et a fait partir en morceaux le fragile U2". Malgré sa longue tuyère pour diluer le flux de son réacteur et laisser le moins de chaleur possible à la sortie, le SAM s'était dirigé vers lui. "Un autre SAM, tiré par erreur, a frappé un MiG volant sous Powers, tuant son pilote soviétique (c'est le Mig-19 du pilote Serguei Safronov qui sera décoré à titre posthume). Contre toute attente, Powers a été capable de sauter en parachute en toute sécurité sur le sol où il a été immédiatement arrêté et emmené pour interrogatoire au quartier général du KGB redouté de la Loubianka, à Moscou. "La surprise pour le pilote aura été totale : "selon Thomas Boghardt , historien, "le 1er mai 1960, le pilote Francis Gary Powers a conduit son avion de reconnaissance U2 le long des montagnes de l'Oural, profondément à l'intérieur de l'Union soviétique, quand tout à coup un bruit sourd a secoué l'avion et un énorme flash orange a illuminé le poste de pilotage et le ciel. "Mon Dieu, je l'ai eu aujourd'hui !" s'est écrié Power quand son avion a commencé à tournoyer". Une attaque surprise que la CIA aura du mal à croire au début, et que le Pentagone, comme à son habitude pendant la Guerre Froide, niera ouvertement : "Ignorant du sort Powers, le Directeur adjoint pour les vols de la CIA, Richard Bissell, a informé le Président Eisenhower que le la survie du pilote était de "une sur un million". Lorsque les Soviétiques ont annoncé qu'un avion américain avait pénétré dans leur espace aérien et avait été descendu, le Département d'Etat a donc répondu faussement qu'un avion météo américain avait fait fausse route et, éventuellement, s'était écrasé en URSS". "Avion météo", tout le monde le savait, été l'euphémisme de rigueur pour ne pas dire "avion espion".

Après sa capture, le malheureux Gary Powers fut l'objet d'une campagne immonde aux USA, où on l'accusa d'avoir trahi, en n'activant pas l'autodestruction de son avion (ce qui aurait correspondu à sa propre mort, évidemment, ou de ne pas avoir utilisé la pièce contenant du curare pour se suicider). Une enquête menée à son retour aux USA (il sera échangé contre un espion soviétique) le lavera de tout soupçon, les enquêteurs déclarant que le nombre de G à ce moment bord dans son avion en perdition était tel qu'il lui était impossible d'atteindre la manette la déclenchant. Plus tard encore (en 2006), bien après le décès de Powers (dans un bête accident d'hélicoptère, en 1977) deux chercheurs en histoire, Timothy Naftali et Aleksander Fursenko, découvriront les notes de son interrogatoire à Moscou. Bien qu'interrogé jusqu'à 11 heures d'affilée par jour,  Powers n'avait rien avoué à ses géoliers : même pas son altitude de croisière, ni le nombre de fois où il avait survolé l'URSS et encore moins les noms de ses supérieurs de la CIA ! Lorsque ses interrogateurs lui dirent qu'il avait été envoyé pour saborder le traité de Paris, il a même répondu « Je ne sais pas pourquoi j'ai été envoyé. Il doit y avoir eu de bonnes raisons". 

Un très bon fllm de Delbert Mann, ma foi fort correct réalisé pour la télévision, sorti 16 ans après les faits et un an avant sa mort lui rend justice (**). En vedette, Katharine Bard jouant la femme de Powers, ce dernier l'étant par Lee Majors, celui qui avait joué "L'homme qui valait trois milliard" (l'homme bionique). Le film se tient, car il a été écrit par Robert E. Thompson et Curt Gentry, sur les bases de l'excellent livre "Operation Overflight" de Curt Gentry et Francis Gary Powers. Dans le film, un Allen Dulles joué par Lew Ayres et un Richard Bissell joué par William Daniels se révèlent fort convaincants : ils sont retors, calculateurs et cyniques à souhait !

Gary Powers n'effectua pas la sentence de 10 ans de captivité dont l'avait taxé le tribunal soviétique (signe déjà d'un net réchauffement des relations diplomatiques !). Les tractations pour le libérer durèrent 17 mois, au bourt desquelles il fut échangé au célèbre pont de Glienicke contre l'espion du KGB William Fischer. Après sa disparition en 1977, son fils mena une campagne fort digne pour réhabiliter son honneur. Il y parvint entièrement. La CIA, tout d'abord, avait reconnu ses errements en lui accordant dès son retour en 1963 son Intelligence Star. En 1998, un document déclassifié révéla qu'effectivement la mission était bien une mission secréte dictée par le pouvoir US. Lors du quarantième anniversaire de l'opération, la famille de Powers reçut à titre posthume trois médailles (la Prisoner of War Medal, la Distinguished Flying Cross,et la National Defense Service Medal). En plus, George Tenet, alors directeur de la CIA, lui accorda la Director's Medal, pour sa "fidélité et son courage dans l'exercice de sa mission". Powers n'avait pas trahi son pays. Le 15 juin dernier encore, Gary Powers reçut la Silver Star medal pour son "courage extrême lors des inrerrogatoires" à la prison de Lubyanka : une médaille remise par l'Air Force Chief of Staff, le général Norton Schwartz, aux enfants et petits enfants de Powers, lors d'une cérémonie tenue au Pentagone. Powers a été ainsi entièrement réhabilité - au secondplan, le fils de Gary Powers et sa sœur Dee -(et les errements de la Guerre Froide définitivement enterrés par la même occasion !).

On croyait en avoir terminé avec les avions abattus après l'affaire Powers : pas du tout. Deux mois jour pour jour après, soit le 1er juillet 1960, un autre drame apparaît. C'est un RB-47H de reconnaissance (numéro 53-4281), cette fois, qui est touché par la gachette rapide des pilotes de Migs. Il venait d'être a affecté au 343eme escadron de reconnaissance stratégique de la 55e escadre basé à Forbes Air Force Base, au Kansas, et était arrivé sur la base de Brize Norton, appartenant à la Royal Air Force en Angleterre pour débuter ses missions. L'avion avait comme équipage le commandant Willard Palm, le Capt Bruce Freeman Olmstead, comme pilote, le capitaine John McKone, comme navigateur, soit les trois habituels à bord plus trois officiers de reconnaissance (ou "Ravens") : le major Eugène Posa, le capitaine Dean Phillips et le capitaine Oscar Goforth. L'avion faisait partie de "l'Operation Iron Work" pour surveiller le site de Baikonour... autrement dit, il tentait de savoir lui aussi ce qui se passait là-bas, preuve que les américains ignoraient encore tout de la fameuse Semyorka qui avait emporté Spoutnik trois ans auparavant. Dans cette configuration, trois hommes n'avaient aucune chance de s'en sortir en cas de pépin : les trois spécialistes de l'espionnage, qui "habitaient" alors dans la soute à bombes rendue plus ventrue, enfermés dans un caisson pressurisé leur servant lieu de bureau de calculs et d'écoute (à droite, le caisson "ELINT" qui équipera les B-52, sur le même principe). Un vrai cercueil en cas de pépin !

L'itinéraire de vol prévu venu de l'Angleterre passait cette fois par la mer de Barents au nord-est de la Norvège et continuait à 50 miles (80 km) de la Péninsule de Kola soviétique (d'autres vols partaient plutôt de Thulé ; comme indiqué ici à droite sur la carte, ils visaient la Nouvelle Zemble, haut-lieu des tests nucléaires russes). Alors que le RB-47H poursuivait sa mission de reconnaissance en volant à 30 000 pieds (9150 m) et 425 noeuds (787 km/h), un Mig-19 soviétique de la 206e Division aérienne basé à Mourmansk piloté par Vasily Polyakov, s'est approché en formation serrée de l'aile droite du RB-47 à 40 pieds (à peine 12 mètres !). Lorsque le RB-47 a tenté de tourner vers la gauche, le Mig a commencé à tirer. Le MIg a atteint l' aile gauche, les moteurs et le fuselage dès sa première passe de tir. Le capitaine Olmstead a immédiatement riposté (via le canon arrière du RB-47), mais l'avion a été abattu sur les 18 heures (heure locale) dans les eaux internationales en mer de Barents. Trois des six membres d'équipage - le capitaine Olmstead, le capitaine et les majors McKone et Palm - ont réussi à s'éjecter de l'avion sinistré (le radariste par le dessous de l'appareil ! ). Les trois officiers de reconnaissance (ou "Ravens") assis dans la soute à bombes convertie de l'avion n'avaient pas pu s'extraire de leur cercueil volant.  Le Major Palm est apparemment mort d'une exposition dans l'eau glaciale, mais les capitaines Olmstead et McKone ont été capables de monter dans leurs radeaux de survie et ont été repêchés par des chalutiers après six heures passés dans leurs radeaux minuscules. Remis aux autorités russes, les deux capitaines seront l'objet de longues tractations, et comme Powers, ils résisteront aux interrogatoires, pensant à ne rien laisser paraître dans les courriers que les soviétiques les autoriseront à faire. La promesse de Kennedy une fois élu d'arrêter les vols d'U-2 au dessus de l'URSS leur assurera la liberté dès la mise en place du nouveau présiden. John F. Kennedy, le 24 janvier 1961, les fera donc libérer contre la promesse d'arrêter ce genre d'expédition en altitude. Pour leur retour triomphal aux states, ils auront l'honneur de la couverture de Time, et d'une réception à la Maison Blanche avec Johnson et Kennedy.

Le retour des héros marque un tournant des missions de surveillance : comme on vient de le dire, l'U-2 ne survolera plus l'URSS (***). Kennedy, en fait, à peine élu n'a aucun mérite tenir la promesse d'Eisenhower ; depuis deux ans, l'Amérique a trouvé beaucoup mieux pour surveiller l'adversaire potentiel...  avec aucun risque désormais de perdre des hommes (mais plutôt celui d'égarer du matériel, comme on va le voir !). Le jour même ou Gary Powers était condamné à 10 années de prison, le 17 août 1960 (le procès a été plutôt expéditif depuis le crash du 1er mai !) le New-York Times affichait deux titres importants sur sa "une". Coïncidence, ou mise en page voulue, le second était celui de la solution trouvée pour que ne se reproduise plus jamais le cas de Powers, ou d'Olmstead et McKone.. ;

Quelques semaines après, des magazines complaisants avec le pouvoir mettaient en scène ce qui allait révolutionner l'espionnage. On y voyait trois responsables (les généraux Charles Mathison, en casquette et Ray-Bans, Bernard Schriever ( le "missile man" du Pentagone, et Thomas White), franchement hilares devant une sorte de demi-sphère dorée, un chaudron d'or appellé "Discoverer XIV". Les américains n'avaient pratiquement rien su des 13 modèles précédents. Des vidéos leurs expliqueraient plus tard encore en quoi consistait cet engin. Ce que le grand public ne saura pas, c'est l'incroyable fiesta que feront les ingénieurs de chez Lockheed, dont James W. Plummer, l'un des responsables du projet, pour célébrer la réussite de la mission, Plummer ayant été jeté tout habillé par ses collègues dans la piscine de l'hôtel d'Hawaï où ils étaient descendus dans l'attente de l'événement. Lui d'ordinaire si peu expansif... fêtait un événement extraordinaire à ses yeux. La condamnation de Gary Powers était déjà oubliée, les américains avaient trouvé de quoi occuper les décennies à venir...

 

(*) il convient de faire attention aux clichés parfois présentés comme étant ceux du crash de russie, car l'U-2, avion fort délicat à poser sur son monotrain , a connu de nombreux incidents sur le territoire US ou aileurs dans le monde, où il avait été déployé. Rappelons aussi que lors de la crise cubaine, on avait penser le faire décoller d'un porte-avions ! Cette version U-2G, munie d'un train renforcé et d'un crochet d'appontage sera testée sur l'USS Lexington et en 1964 seulement envoyée sur Muroroa pour suivre les tests nucléaires français, puis continués avec le U-2R introduit en 1967, beaucoup plus imposant que les premières versions. Aucune mission ne fut effectuée de la sorte.

celui-ci, tombé en allemagne de l'Est :

http://www.flickr.com/photos/mbell1975/7227319130/

ici en Chine :

http://area51specialprojects.com/u-2_photo_archive/u2_wreck_china_2.jpg

une Chine visitée plusieurs fois semble-t-il :

http://area51specialprojects.com/u-2_photo_archive/u2_wreck_china_1.jpg

http://i.ytimg.com/vi/DOnSNzjE8ZM/0.jpg

Etonnant cliché de quatre épaves d'U-2... du Black Cat Squadron. La ROCAF en possédait officiellement deux seulement, des U-2C basés à Taoyuan, au nord de Taiwan. En réalité le 35e Squadron de 1959 to 1974 perdra 11 appareils sur un total de 220 missions effectuées. L'ère Nixon arrêtera la surveillance lors du réchauffement des relations de 1972.

A Beijing 

http://www.cieldegloire.com/as_vietnam/images/u2wreckagechina.jpg

ici avec un train principal non sorti :

http://www.youtube.com/watch?v=YJAGBQltTZo

ici sur le lac salé :

http://area51specialprojects.com/u-2_photo_archive/u2rfirst_taxi_2.jpg

ici en forêt :

http://area51specialprojects.com/u-2_photo_archive/66700_wreckage.jpg

cela a dû se passer aux USA, le N°66700 prévu pour se rendre en Allemagne étant remplacé par le N°66716.

aux USA on suppose d'après les tenues :

http://nsa20.casimages.com/img/2010/11/13/101113103210224012.jpg

Ici, ce pourrait être 16 février 1956 avec un crash en Arizona, le sort du pilote Robert Everett étant inconnu.

Ou en 1956 encore pour le N° 345 crashé à "The Ranch", le pilote Rose de la CIA étant tué.

Ou le 4 avril 1957 et le N°6674 lors du test du "Dirty Bird" tuant le pilote d'essai Robert Seiker.

Ou le 28 juin 1957 avec deux crashs : le N°6699 près de Del Rio, Texas, tuant les pilotes Ford E. Lowcock et Leo E. Smith tué près d'Abilene, par asphyxie à bord.

Ou le N°6694 crashé le 26 sep 1957 près de Laughlin AFB, au Texas son pilote ayant sauté de 50 000 pieds (15240 m)

Ou le 28 Nov 1957 avec le N°6704 à Laughlin AFB tuant son pilotge Bennedict A. Lacombe

Ou la sinistre série de l'été 1958 avec :

-le 8 Jul 1958 avec le N°6713 crashé à Wayside, Texas, tuant Christopher H. Walker

-le lendemain 9 Jul 1958 et le N°6698 crashé près de Tucumcari, au Nouveau-Mexique, tuant Alfred Chapin, Jr.

-ou le 6 Aug 1958 et le N°6697 près de Laughlin AFB, Texas, tuant Paul L. Haughland : la terrible liste montre combien cet avion était et est toujours dangereux.

pendant la crise de Cuban et la mort du Major Rudolph Anderson :

http://www.flickr.com/photos/7211615@N02/448834562/

http://airandspace.si.edu/exhibitions/lae/images/LE284L7.jpg

ici aussi à Osan en Corée du Sud

http://www.youtube.com/watch?v=Pq2RIUCovFI&feature=related

des avions étroitements surveillés par les Flanker chinois

http://defensetech.org/2011/07/26/plaaf-su-27-chased-u-2-into-taiwan-airspace/

Le livre de référence est "Eyes in the Sky, Eisenhower, the CIA, and Cold War Aerial Espionage" de Dino A. Brugioni

(**) L'excellent film de télévision "The U-2 Spy Plane Incident ", est visible ici intégralement, en plusieurs épisodes :

N°1 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-1.html

N°2 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-2.html

N°3 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-3.html

N°4 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-4.html

N°5 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-5.html

N°6 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-6.html

N°7 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-7.html

N°8 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-8.html

N°9 : http://www.savevid.com/video/francisgary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-9.html

N°10 : http://www.savevid.com/video/francis-gary-powers-the-u-2-spy-plane-incident-part-10.html&nbsp ;

(***) étrangement, il reviendra assez vite sur scène, et reste depuis incontournable : récemment, le 28 janvier dernier, on vient de le préférer à l'immense drone Global Hawk, trop frayeux et pas assez fiable qui aurait dû le remplacer en 2015 : "le Pentagone a annoncé jeudi que le Global Hawk s'est avéré être une déception et pas moins cher à utiliser, il est annulé. En conséquence, l'Armée de l'Air étend la durée de vie de l'U-2, surnommé "Angel" par Kelly Johnson, l'ingénieur de Lockheed qui a aidé à concevoir l'avion espion à haute altitude. Depuis 1994, la Force aérienne a dépensé 1,7 milliards de dollars pour moderniser le U-2, dont les titres de gloire comprennent les vols de plus d'octobre 1962 sur Cuba, qui ont confirmé la présence de missiles nucléaires soviétiques, ce qui a déclenché la crise des missiles de Cuba". A 100 millions de dollars l'exemplaire, le Global Hawk a montré ses limites... "l'arme ultime" est aujourd'hui bonne pour la casse : c'est "l'Ange" qui l'aura terrassé. Ou les pilotes de l'Air Force, plutôt... qui ont obtenu leur revanche sur les drones qu'ils détestent.

sources :

tableau des différents modèles de Dragon Lady

http://area51specialprojects.com/images/u-2_poster.jpg

lire ceci sur Gary Powers :

http://britishpathe.wordpress.com/2012/02/10/the-secret-story-of-the-cias-francis-gary-powers/
et regarder ici le reportage de British Pathé :
http://www.britishpathe.com/workspaces/BritishPathe/history-of-francis-gary-powers
en vidéo 7, une très bonne vision de l'U-2 et de la tenue du pilote.
 
-on peut aussi regarder ici à la fin l'intervention du fils de Gary Powers, expliquant que son père fut laminé par ce qu'il avait pu lire à son sujet dans la presse US à son retour au bercail.

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6 réactions à cet article    


  • alberto alberto 25 août 2012 16:31

    Salut morice,

    Du beau travail !

    Et puis les sweet sixties c’est toute ma jeunesse que tu racontes-là !

    Je me souviens très bien des polémiques suscitées même ici en France après le canardage de l’U2 par les russes : il se peut que Khrouchtchev ait été lui aussi un peu pris de court par des évènements qui ont eut le don de fâcher De Gaulle qui l’a traité de « Tartuffe ». Comme si NK avait été au courant de l’affaire avant sa visite à Paris, ce qui n’était pas le cas...

    Et puis aussi les braillements de nos braves cocos et les contorsions des politiques américains qui ne dupaient personnes : on avait les jetons d’un affrontement est/ouest, mais on rigolait bien, non ?

    Bien à toi.


    • morice morice 25 août 2012 17:20

      mais on rigolait bien, non ?

      Bien à toi.


      peut-être, mais à l’époque on y comprenait rien, englué dans la propagande des deux côtés... 


      merci pour les encouragements.


      • Laurent C. 25 août 2012 20:55

        Bonsoir morice,
        Superbe ! Tant pis si je vais me faire moinser. Apparemment les liens directs de photos sur le site
        http://area51specialprojects.com/
        ne fonctionnent pas bien, mais ce site est une mine !!!

        Une question, les russes ont abattu un paquet de « missions météos », mais la réciproque doit être vrai ?

        J’ai toujours été surpris que seule la mission de Gary Powers ait été la seule autant médiatisée. Sans doute parce que l’U2 était si insaisissable !!!

        Mais la cerise sur le gâteau, c’est que le Global Hawk pourrait être abandonné pour le U2. C’est tout de même un scoop !!
        Va falloir à tout un groupe de « geeks » de retrouver l’Etoffe. Fini la guerre à la télé assis dans un fauteuil.

        Et dire que nos militaires envisagent d’acheter ce Global Hawk.


        • morice morice 26 août 2012 00:28

          Et dire que nos militaires envisagent d’acheter ce Global Hawk.

          euh pas à ma connaissance, c’est le Predator/Reaper qui les intéresse il me semble

          Ce soir, on annonce le décès de Neil Armstrong. Un très grand bonhomme, pour sûr.


          so long, Neil. Ton pote Léonov est très triste, pour sûr aussi.

          • Cosmicray 26 août 2012 00:36

            La lune est ma résidence principale depuis fort longtemps et je n’ ai jamais vu un buveur de coca trainer ses guêtres en ces lieux.


            • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 26 août 2012 12:54

              Tres élegant ce U2 .
              Merci .

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