Les moments de bonheur
Cyrano de Bergerac
Un livre, relu d’une seule traite, une émotion qui me gonfle le coeur, ce soir, loin des miens, aux antipodes de ma jeunesse, cette envie d’écrire, de me rappeler.
La nuit est tombée depuis longtemps. D’ailleurs sous ces latitudes, la nuit tombe très vite. Il fait bon, presque chaud, la saison des alizés s’achève dans un brouhaha de vents tour à tour violents et caressants.
Est-ce cette lecture qui me rappelle la lueur de ce poêle Godin, rougeoyant dans la maison de mes grands-parents, en Bretagne ? Une tradition familiale nous ramenait chaque Noël à Pontivy. La messe de minuit (Grand-Mère y tenait), le retour à pied à la maison, la chaleur bienfaisante de ce poêle, le repas, les rires, les cadeaux, ce Père Noël, auquel je ne croyais plus depuis quelque temps, mais attendu impatiemment par mon petit frère.
Un demi-siècle est passé sur ces souvenirs, mais qu’il a passé vite. J’avais 12 ans. Le Père Noël, connaissant les goûts de mon frère, lui avait apporté, au pied du sapin, un garage garni de ses Dinky Toys. Presque le même que celui de l’an passé, cassé, usé, oublié depuis longtemps, certainement presque identique à celui qu’il recevrait, plus beau, plus moderne, au Noël suivant. Il présenterait ses Dinky survivantes, aux toutes nouvelles arrivées.
Cette année-là, je me vois encore déballant mes deux paquets enrubannés, ce si joli papier d’emballage, que l’on devrait conserver toute sa vie, pour se souvenir. Magnifique ! Deux livres. Leurs couvertures cartonnées, les titres ; je les vois encore : Les Trois Lanciers du Bengale et Cyrano de Bergerac.
Me préparant une bonne soirée de lecture, je me dirige vers la chambre de mon oncle Gérard, j’y avais droit depuis quelque temps, il s’était marié un an auparavant. Bon, je vais commencer par lequel ? La couverture des Trois Lanciers est alléchante. Cyrano, voyons voir ; hum, en vers. A ce moment-là, passe mon père
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Tu peux me prêter un de tes livres, je n’ai rien à lire.
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Choisis.
A mon grand regret, Les Lanciers prirent la direction de la chambre paternelle me laissant en tête-à-tête avec Cyrano.
La première page, les premiers vers, le premier acte.
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A la fin de l’envoi je touche...
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C’est un pic, c’est un roc, c’est un cap, c’est une péninsule...
D’une seule traite, je l’ai lu. Et puis je l’ai relu à nouveau. Ah, Cyrano, ah, Roxane, que vous m’avez fait rêver cette nuit de Noël. Cette tirade des nez, que je connaissais par coeur trois jours après. Et je la déclamai à haute voix dans la cour de récré de mon école, à la grande surprise de mes professeurs. Ce n’était pas au programme des sixièmes, Cyrano de Bergerac, à cette époque, ni maintenant je pense.
J’avais 12 ans. Je commençais à comprendre ce qu’était l’amour fou.
Diégo Suarez
Madagascar
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