Les politiques de l’urbanisme, du logement et de l’immobilier (suite)
Urbanisme, logement, immobilier sont 3 angles totalement imbriqués d’une seule et même réalité : l’espace de vie. A l’heure du droit - utopique et mensonger- au logement opposable (DAL) il est difficile d’aborder l’urbanisme sans évoquer son pendant complémentaire qu’est l’immobilier avec ses paramètres et contraintes. Le logement n’étant, au final, que la résultante qualitative et quantitative issue des choix opérés dans les deux autres champs. Cet article se décomposera en 2 parties. Après une première partie plus orientée sur les constats liant urbanisme et immobilier, voici la seconde partie traitant des résultats et réactions à entrevoir pour infléchir les tendances à l’œuvre.
Partie II. Voir plus loin que le bout de son nez, un truc pas trop français
Agir sur l’urbanisme « durablement », cela a certes un coût mais cela nécessite surtout une vision globale qui s’inscrit sur des durées supérieures à celle d’un mandat électoral. Cela nécessite également un investissement sans ambivalence, une volonté politique structuré sur une panoplie de projets.
« Faire de l’urbanisme » c’est bien souvent décliner une approche globale sur plusieurs thèmes d’attaque, qu’il s’agisse des transports, d’architecture cohérente ou bien tout simplement de l’environnement, puisqu’on en parle enfin en 2007.
Pour exemple, la simple question de la mise en place d’un incinérateur sur un bassin de vie, espace pourtant partagé, prend souvent plus de 15 ans (effets de paroisses communales oblige) alors que les besoins pour la préservation de l’environnement se font aujourd’hui. De même pour la collecte des déchets et le tri sélectif : tout le monde en parle, une ville sur deux ne connaît toujours pas les bacs différenciés et certains vendeurs de meubles encore moins.
Pire, à l’heure des aides multiples et variés de l’ADEME, il est fort souvent interdit par les municipalités elles-mêmes via leur PLU (ex-POS) de pouvoir en implanter sur les toits des constructions. Quant aux modalités des dispositifs, seuls les plus motivés arrivent au final à pouvoir enfin jouir d’une énergie propre.
Alors volonté pragmatique ou démagogie de bas étage ?
Pour le moment on peut réellement douter des volontés à trancher sur le fond, à prioriser clairement les choses et à donner un signal « Governatorien » pour les énergies propres (voir dispositions prises en Californie par Arnold Schwarzenegger).
Alors on peut se consoler et espérer que la « taxe environnemental » sur le traitement des déchets électroménagers soit utiliser à bon escient et incite des filières à se structurer, amenant progressivement les vendeurs à utiliser non seulement l’argumentaire environnemental, mais cherchant aussi à l’appliquer. Les acteurs économiques sont eux aussi une partie prenante de « l’urbanisme - qualité de vie » : car il s’agit bien de concevoir et structurer une qualité d’organisation sociétale qui est l’enjeu à long terme.
Voir globalement et à long terme, sur plusieurs thématiques, voilà la force des urbanistes, et voilà aussi la raison pour laquelle leur savoir est si peu valorisé :
Ils ne sont pas dans l’ère du temps.
Et pourtant !
A l’ère de la « compétitivité des territoires » la force d’une ville repose essentiellement sur la qualité de vie qu’elle propose, donc non seulement sur ses tissus économiques et sociaux, mais aussi sur la vision que les élus actuels et précédents lui ont insufflé.
C’est aussi cette part de rêve et d’utopie que l’on ne propose que trop rarement en France...
L’utopie est ce qui n’a pas encore été réalisé - Théodore Monod
La dilution des financements et des responsabilités a tué et tue les capacités à rêver. C’est cela qu’il faut changer (réforme des institutions et de l’architecture de fonctionnement de l’état et des ses collectivités) pour redonner aux décideurs des capacités concrètes d’action jugées à la date des élections par des électeurs citoyens - consommateurs.
Il suffit de voire à l’étranger pour comprendre qu’en France, l’argent que l’on perd dans divers biais est autant d’argent que l’on n’a pas pour faire des choix nets et « booster » les villes (ou les campagnes du reste), celles-ci perdant de ce fait peu à peu leur compétitivité à l’international.
Combien sont ceux, qui, une fois de retour des Etats-Unis ou du Japon ont la forte impression de revenir en France au temps du Moyen-Age ?
Les pôles de compétitivités n’ont sur ce point pas fondamentalement changé la donne, ils n’ont fait que conforter les majors dans des positions qu’elles occupaient déjà. L’approche étant plutôt de regrouper des acteurs économiques plus que des dynamiques spatiales ou urbaines. Du coup, la France reste une forteresse du Moyen-äge dotée de fleurons qui servent de faire-valoir aux discours présidentiels et de politique étrangère.
Pour simple comparaison, l’Irlande va employer 14 milliards d’euros en 10 ans pour débloquer Dublin et construire
Bien sûr, toutes les villes n’ont pas les mêmes degrés de retard ou d’avance. Lyon, Nantes, Strasbourg, Bordeaux ou Grenoble ont fait des choix importants sur les transports, d’autres comme St-Etienne font de même sur l’aspect renouvellement urbain. Des villes de « banlieue » au contexte dit « difficile » comme Aulnay et Bondy ont même forcé le destin en proposant pour 2007 le premier Tram-train de France alors que Nice n’arrive toujours pas à sortir son Tram...
Néanmoins la mise en avant du travail des urbanistes est, si ce n’est nul, quasi inexistante.
Au mieux parle t’on des architectes ou des élus-présidents de syndicats mixtes, mais le travail des agents de terrain est souvent mis sous silence. L’octroie foisonnant de plans diverses et variés (PDU, PLU, SCOT, SRT, Agenda 21, DTA, Schémas d’accessibilité...) occupe bien évidemment beaucoup -trop- de personnes mais ne leur donnent que peu de satisfactions concrètes car ces plans ne sont jamais que des bonnes intentions déconnectées des financements. Parfois un PDU devient le plan stratégique à venir, mais dans l’ensemble des cas, il s’agit de la transcription des actions réalisées ou déjà programmées.
La planification stratégique est un mythe, car la stratégie en France est dévolue à des politiques et autres administrateurs provenant essentiellement des mêmes formations (Polytechnique, HEC, mines-ponts, ENA) et ayant les mêmes référentiels de pensée.
Donner une responsabilité à des urbanistes pour proposer des pistes d’actions concrètes ? Pensez-vous donc, ce serait une possibilité de remise en question !
Donner un savoir-faire exportable dans des pays en voie de développement et pas franco-franchouillard, pensez vous donc ça pourrait se savoir et créer des emplois en dehors des Majors du service public (Véolia, Vinci, Bouygues, Eiffage...) !
Donner aux universitaires le pouvoir d’être à la fois généralistes mais aussi et surtout experts techniques, juridiques et financiers, pensez-vous donc !
Trop de bonnes idées, trop pluridisciplinaires (donc pas trop bêtes), trop de risque de perdre le contrôle du pouvoir ! Autant leur donner des plans sans lendemain et des compétences limitées payées au lance-pierre, le tout sans ouverture sur les organisations étrangères et le savoir-faire de terrain...
Des résultats sans appel
Les politiques se font au jour le jour suivant les dogmes du moment. Rares sont les « PDG du public » qui organise leurs rangs pour proposer une gamme de projets transversaux afin d’améliorer le quotidien des citoyens, pour compenser les excès, et pour faire « rêver de manière réaliste ».
Parallèlement les bonnes idées « montantes du terrain » sont, sauf miracle, noyées dans la masse désorganisée d’acteurs qui sont aussi peu lisibles que pragmatiques.
Quant aux acteurs privés, si la rentabilité n’est pas optimale, il ne faut pas attendre qu’ils s’investissent sur des projets à la marge alors que l’immobilier ou les services leur offre des rendements bien plus juteux et bien moins risqués.
Si la politique urbaine est si faible et -coûteuse par ailleurs- , c’est avant tout parce qu’elle est éclatée et que dans la temporalité des élus, il n’y a que peu de place aux visions globales.
Et pourtant, n’est-ce pas là ce que l’on attend des urbanistes et des élus : proposer une vision de long terme qui s’appuie sur des projets qui dynamise le territoire, pour les citoyens et pour leur espace de vie ?
Faut-il encore leur donner des marges de manœuvre et des outils pour agir face aux puissantes logiques de « facilité » qui jalonnent notre paysage...
Mais alors que faire ?
S’il ne devait y avoir qu’une action pour changer la donne de l’urbanisme, ce serait clairement celle d’une réorganisation opérationnelle des institutions.
Aujourd’hui la politique urbaine est morcelée entre des acteurs de planification et des acteurs opérationnels dont les plus connus sont les offices HLM. Néanmoins les uns comme les autres ne disposent pas des périmètres ni des moyens adaptés pour agir réellement sur une échelle de territoire vécue et pertinente.
S’il ne devait y avoir qu’une seule mesure pour changer la donne et redonner une puissance à l’action publique, une puissance seule capable de compresser les hausses vertigineuses des prix de l’immobilier, ce serait celle de concevoir des « Autorités Organisatrices du Logement » (AOL) sur le modèle des autorités organisatrices de transports.
Et ces AOL, pour qu’elles ne rament pas (clin d’œil), il faut leur donner les pleines compétences sur des échelons à minima des agglomérations, au mieux au niveau des régions.
La création d’AOL doit supprimer/réunir les anciennes institutions (ne pas sédimenter) pour mieux mutualiser les moyens et les compétences, à une échelle locale.
Ces compétences doivent non seulement se traduire par
- une planification cohérente, mixant les activités, les logements, les dimensions (transports, économie, habitat, équipements...) groupant à l’échelle pertinente ce que font les échelons territoriaux et les agences d’urbanisme sans application sur le terrain du fait de la déconnexion planification - financements liés.
- Un rapprochement vitale des architectes et des urbanistes, chacun dans leurs rôles complémentaires, afin de proposer et soutenir des projets de sociétés pour le développement urbain rationnel.
- une autonomie financière réelle et efficiente permettant d’engager les constructions et rénovations sur plusieurs programmes en même temps, ce que font déjà les OPHLM mais de façon morcelée ou les SEM sur différentes dimensions de la construction (pas que du logement).
- Une capacité à pouvoir faire du portage foncier, c’est à dire à acquérir au préalable des terrains pour y réaliser des projets urbains (logique des Etablissements publics fonciers ou EPFL)
- Une seule structure porteuse, composée de plusieurs branches d’action et des profils pluridisciplinaires capables d’accompagner la vision politique pour proposer des projets complexes « clés en main », à l’image des ZAC, mais avec une plus grande force financière et technique d’action.
- Des lois juridiques de cadrage permettant de répartir les marchés aux petites entreprises (small business act à la française) tout en utilisant les différents outils de commande public à disposition (marchés, délégation, PPP) et les investissements privés rationnels pour donner rapidement vie aux projets.
- Un groupe de pilotage mené par une présidence publique tournante (2 ans) accompagné d’un conseil de direction constitué d’acteurs publics ET privés, seul susceptible de construire des projets d’envergure de manière réaliste et opérationnelle sur des durées adaptées et ne correspondants plus aux temps électoraux.
Bien évidemment ce bras armé de la construction de « projets urbains » ne peut fonctionner que s’il a les marges de manœuvre nécessaire pour agir, le tout sous l’aval des décisions des élus territoriaux compétents (maires et présidents de Département-Région).
Parallèlement, l’Etat « régalien » peut aussi se charger de changer certaines règles du jeu dont la suppression de la loi « De Robien » ou bien le doublement du prêt à taux zéro (PTZ) au lieu de créer des usines à gaz de type loi « Borloo » ou PTZ « Borloo » beaucoup trop complexes et finalement réduits. Il est pourtant au courant des mécaniques à l’œuvre (voir http://www.senat.fr/rap/l03-073-315/l03-073-3156.html).
On pourra aussi évoquer la réévaluation à la baisse des seuils pour l’attribution des logements sociaux, particulièrement pour le PLAI afin que ces logements sociaux bénéficient réellement à des publics « sociaux » : la sortie d’une partie de la classe moyenne des logements sociaux amènerait par ailleurs les promoteurs privés à adapter leur prix ou leur type de produits afin de capter une clientèle non négligeable.
Pour information, aujourd’hui, 80-85% des foyers français est éligible au logement social PLAI,le plafond le plus élevé(voir http://www.logement.gouv.fr/article.php3?id_article=5641
pour les plafonds en vigueur).
On insistera aussi sur la production de logements sociaux, vraiment sociaux, mais sous petites unités au sein de projets plus importants ouverts à des accédants plus aisés, seule manière véritablement efficace de faire du « 20% de logement social » sans créer des ZUP à côté des villes (phénomène très tendance de
En effet, on peut aussi faire du 20% de social, en regroupant tous ces publics de l’autre côté d’une rocade... cela se voit parfois... la loi « Solidarité et renouvellement urbain (SRU) » de 2000 n’étant en réalité que trop faible face à l’enjeu.
Le renforcement de
L’attraction de population plus aisés dans les communes dites « sociales » est aussi le pendant d’un rééquilibrage urbain salvateur pour ne plus voir des quartiers entiers vivre de l’économie souterraine et en marginalisation sociale et spatiale.
Certains évoqueront aussi la possibilité de créer de nouvelles « villes nouvelles ». Cette expérience mitigée ne doit pas une nouvelle fois faire oublier que l’essentiel des tâches à mener concernent ce qui existe déjà. On pourra toujours faire émerger des villes sans âme mais sous un modèle à priori novateur, cela ne permettra pas de régler les problèmes existants et encore moins de faire cohabiter différentes couches de développement urbain autour
Conclusion
Oui, je suis persuadé que immobilier-urbanisme font parti d’une seule et même entité que l’on aborde par des prismes différents (souvent privé-public) et dont les résultats se traduisent directement sur la qualité et la quantité du parc de logements.
Le logement étant, au même titre que le travail, essentiel pour la vie des citoyens et plus encore pour leur qualité de vie, on ne peut le réduire à une marchandise « commerciale ».
Le raisonnement est à mon sens tout aussi valable pour le marché de l’énergie (stratégique).
C’est pourquoi, la défaillance de l’action publique via l’urbanisme, laissant uniquement les acteurs privés être maîtres du marché du logement, est très dangereuse à terme pour la structuration même de la société (de la localisation des habitants à leur lieux de rencontres en passant par leurs moyens de déplacements) et pour les effets induits non « chiffrables ».
L’urbanisme n’a plus les moyens suffisants - et certainement pas en multipliant les plans de « constats passifs » tels que les SCOT ou les PLH- pour infléchir les tendances à l’œuvre et surtout pour donner aux élus de véritables leviers d’actions territoriaux. L’urbanisme opérationnel (OPHLM-SEM) est lui aussi trop limité financièrement et relativement aveugle quand à sa connaissance territoriale particulièrement lorsqu’il s’agit de préempter ou bien de porter du foncier. Enfin les rares EPF existants portent du foncier, mais ne savent qui a besoin de quoi pour quand, laissant transparaître l’évidente absence d’une structure globale d’action, absence issue du morcellement institutionnel ne permettant aucunement le consensus technique nécessaire à la création d’une structure technique puissante supra communale et infra étatique.
Celle-ci se devant de s’appuyer sur les connaissances et remontées de terrain, sur une autonomie financière de fait et surtout par un pilotage mesurée aux résultats, c’est à dire loin des jeux politiques et des rythmes électoraux.
Une fois encore, s’il fallait encore le rappeler, tout revient à dire que sans réforme profonde de nos institutions, à tous les étages, tant qu’il n’y aura pas une refonte de l’architecture de fonctionnement et d’articulation des instances de notre pays, l’urbanisme comme bon nombre d’autres thématiques structurantes pour la vie des citoyens (l’emploi/travail entre autres), on continuera à faire croire que l’on fait fonctionner une Ferrari avec notre moteur et notre armature de 2CV.
Le prix a payer étant que, plus le temps s’écoule, plus les mécaniques perverses s’installent, brouillant les cartes et l’égalité même des règles du jeu, plongeant certains dans une pauvreté mécaniquement reproductible alors que d’autres pourront en permanence asseoir leur réussite future sur les succès des générations passées.
Et cela, ce n’est non seulement pas la démocratie républicaine que l’on enseigne à des publics naïfs pendant 20 ans, et encore moins ma conception d’une société rationnelle ou chacun à ses chances face à des règles du jeu homogènes.
Pire encore, en se voilant la face au vu de cette réalité de fait, nous ne faisons que charger avec force « convictions » - et surtout démagogie de l’inaction- le boulet qui nous fait couler dans les profondeurs des classements... de qualité de vie.
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