Je tiens à dire d’emblée que j’ai été des vôtres à chaque manifestations. Aussi, je crois qu’il nous appartient donc aujourd’hui de faire preuve de responsabilité en lieu et place de ceux qui en sont incapables. Il me semble essentiel en parallèle du rapport de force instauré, de la partie de bras de fer entamé de préparer la sortie, une sortie qui constitue une victoire, une sortie intelligente.
Une chose est certaine, et personne ne peut aujourd’hui le contester, le mouvement de protestation contre la réforme des retraites élaborée par le gouvernement est une réussite pour plusieurs raisons :
- en premier lieu, elle a permis la réalisation d’une intersyndicale sur la durée et dont l’unité n’a jamais vacillé alors même que le contexte ne lui était pas favorable (élections de représentativité dans un mois) ce qui prouve que les organisations syndicales savent se montrer responsables et privilégier l’intérêt général des salariés sur leur intérêt électoraliste ;
- en second lieu, elle a permis de faire émerger des idées et des propositions qui ont fendu le discours officiel simpliste selon lequel à problème démographique correspondait la seule et unique réponse démographique, à savoir l’allongement de la durée de cotisation et le report de l’âge légal de départ à la retraite, solution dont il a été démontré qu’elle ne permettait pas de résoudre le problème et qu’elle produirait rapidement des effets pervers en l’état de non préparation de la société française et au regard notamment de son marché de l’emploi ;
- en troisième lieu, elle est en passe d’agréger l’ensemble des partis de gauche, mais pas seulement, puisque même des députés proches de Dominique De Villepin ou de l’UMP se montrent réticents, pour ne pas dire pas dire plus, à afficher leur solidarité au projet gouvernemental. Pour preuve la lenteur des débats au Sénat et les péripéties des votes avec leurs lots d’erreurs et de manœuvres qui participent à donner une drôle d’image de la démocratie.
La défaite ne serait donc finalement pas tant dans le vote d’une loi décriée élaborée par un gouvernement impopulaire dont le seul fait d’arme aura été de s’obstiner à refuser le dialogue social jusqu’à provoquer les blocages actuels au risque de déstabiliser l’économie du pays. Elle serait que le vote enterre le mouvement et l’élan suscité.
Aussi, appartient-il à l’ensemble des acteurs du front de résistance à la réforme de prolonger la lutte et de transformer la réussite de la mobilisation en projet. Ainsi, ne s’agit-il plus de rester uniquement dans le rapport de force, dans le bras de fer. Il faut laisser au gouvernement la responsabilité pleine et entière de sa réforme et lui démontrer par l’exemple qu’une autre méthode était possible et qu’elle aurait abouti à une autre solution.
Comment ? Tout simplement en commençant dès aujourd’hui, dès le lendemain du vote définitif de la réforme un processus de négociation et d’élaboration d’un projet de loi à la fois équilibré, juste, efficace et financé.
Un tel processus est possible du fait de la réunion dans le mouvement de contestation des syndicats et des partis politiques.
L’ensemble des composantes aurait à y gagner. Les syndicats en démontrant ainsi leur sens des responsabilités et leur faculté d’être force de proposition. Les partis d’opposition en démontrant leur capacité à négocier et à élaborer un projet avec l’ensemble des composantes sociales du pays. Ils pourraient ainsi intégrer dans leur platte-forme électorale ledit projet ou s’engager à prolonger le dialogue entamé avec l’assurance de ne pas susciter de blocage au moment du vote de la nouvelle réforme. Enfin, la société française qui tordrait ainsi le cou à l’idée qu’elle n’est pas réformable et accréditerait celle que l’esprit critique est bien l’une des composantes de l’esprit français.
Bien sûr, un tel débat ne serait pas sans difficultés tant la problématique est tout autant transverse que complexe. Il s’agirait justement d’embrasser le problème dans l’ensemble de ses dimensions et de ne pas le restreindre à un simple jeu de calcul en colonne. Dans Le Monde de l’économie de la semaine dernière portant sur la réforme des retraites en Finlande comme modèle d’une réforme réussie, il était notamment indiqué qu’il avait fallu quinze ans pour la préparer étape par étape. Ce serait l’enjeu des négociations de fixer un plan d’action.
Les élections présidentielles sont dans un an. Elles pourraient venir valider la démarche et permettre de détricoter le projet actuel pour le remplacer par un autre.
L’attitude autiste du gouvernement ouvre un boulevard à ses opposants. La question reste de savoir s’ils sauront l’emprunter. A vous Mesdames et Messieurs des syndicats et des partis politiques d’apporter votre réponse.