Limiter les gros plans sur les supportrices sexy, pourquoi c’est une bonne initiative
De nombreux footballeurs de couleur (dont plusieurs Français) jouant en Russie avaient alerté l'opinion publique dès avant le début de la Coupe du Monde sur le phénomène raciste en Russie : certains ayant été victimes d'injures raciales, de cris de singe ou de jets de bananes de la part de supporters moscovites. Par conséquent, la Fédération Russe de Football a très tôt pris des mesures pour empêcher cette Coupe du Monde d'être entachée par ce fléau, notamment en interdisant l'accès des stades aux hooligans et aux skinheads qui pullulent hélas par milliers dans le pays de Pouchkine.
Les efforts ont porté leurs fruits. Aucun incident raciste n'est venu enlaidir cette communion sportive. Les joueurs français (dont Kanté et Mbappé) auraient même conquis le public et leurs maillots s'arracheraient parmi les supporters russes. Piara Powar, directeur de l'ONG Fare, déclare enthousiaste : "les Russes ont joué un rôle magnifique en faisant en sorte que tout le monde se sente bienvenu".
C'est cependant du côté du sexisme que le bât blesse. C'est en tout cas ce qu'affirme la FIFA qui dresse un rapport accablant : plusieurs supportrices et journalistes sportives auraient ainsi été harcelées ou sexuellement agressées par d'autres supporters ou par des footballeurs eux-mêmes. Le terme agression recouvre aussi bien les remarques désobligeantes, que les baisers surprises, les attouchements ou l'exhibition de pénis devant une femme. "On estime à 10 fois plus les cas non-signalés où des femmes russes ont été prises pour cibles", affirme Piara Powar. Notons que la majorité des coupables sont des hommes occidentaux.
Les hautes instances du football en on pris note et entendent y mettre fin, comme l'a déclaré Federico Addiechi, responsable du programme diversité au sein de la FIFA, lors d'un briefing : "Nous allons prendre des mesures sur les choses qui ne vont pas". Après avoir analysé les enjeux de la Coupe du Monde et le phénomène du machisme et du sexisme dans le football, il a notamment énoncé une critique envers les opérateurs qui font des gros plans sur les supportrices glamours lors des matches. M. Addiechi a déclaré vouloir "discuter" de la pertinence de cette manie avec les télévisions nationales et les instances sportives afin de limiter le phénomène.
La presse française, de Libération au Figaro, s'est empressée de titrer (par emphase ou dans un grand élan de putacliquisme) : "La FIFA veut interdire les gros plans sur les supportrices sexys", un titre mensonger puisqu'il ne s'agit pas d'interdire mais seulement de limiter le phénomène. Comble de la provocation, tous les articles qui ont fait part de cette information étaient illustrés par... des photos de supportrices sexy ! Enfin, ces articles ne précisent pas que cette limitation est une des nombreuses mesures proposées pour lutter contre le sexisme dans le football et que ces mesures font suite aux nombreux harcèlements subis par des journalistes et des supportrices.
Par ces titres, la presse française a, consciemment ou non, orienté les avis des internautes en faisant passer cette mesure pour une résultante d'un hypothétique lobbying féministe. La chose s'est notamment ressentie dans les commentaires : "Ces féministes nous préparent un monde aseptisé", "Bientôt faire un rêve érotique sera considéré comme du harcèlement onirique", ou "je discutais de ça justement avec un pote hier et on se disait que les féministes n'allaient pas tarder à se pointer pour dénoncer ça"… Ce dernier commentaire est d'autant plus savoureux qu'il reflète l'homme occidental dans ce qu'il a de plus vaniteux : deux potes avinés discutant de foot et de gros seins autour d'une bière dans un PMU et en profitant pour se gausser de ces féministes qui ont la drôle d'idée de réclamer que le corps féminin ne soit plus vu comme un objet de satisfaction pour ces messieurs. Hérésie !
Cette requête de la FIFA est-elle si stupide que ça ? Il s'agit avant tout d'une mesure paritaire. En effet, avez-vous déjà vu un opérateur montrer un jeune supporter bodybuildé afin que les spectatrices se rincent l'œil ? Il n'y a donc aucune raison que l'on montre des femmes à ces messieurs comme si c'étaient des articles dans une charcuterie. On rétorquera : "Oui, mais ces femmes ne se cachent pas quand on les montre, elles sont au contraire contentes et font des signes de la main !". Un tel commentaire est un affreux sophisme. Premièrement, on n'a pas demandé l'avis de ces femmes, elles sont donc mises face à un état de fait qui les oblige presque à sourire afin de coller à l'ambiance. Si elles se cachaient ou faisaient les timides, elles feraient en effet face aux moqueries et peut-être à encore plus de harcèlement. En outre, si elles sont contentes sur le coup, beaucoup ne réalisent pas que cette seconde de gloire peut avoir des conséquences négatives pour elles. Plusieurs de ces supportrices ont ainsi été harcelées à la sortie du stade par des types qui les avaient repréré et suivi. Enfin, vous souvenez-vous de la jolie supportrice blonde colombienne que le caméraman fixait en boucle lors de la Coupe du Monde 2014 ? Eh bien, apprenez que son identité a été révélée par des stalkers qui l'ont harcelée une fois rentrée chez elle et que des mafieux ont même tenté de la racketter ; elle a finalement du déménager dans une autre région pour être tranquille.
Quant à ceux qui gloussent du qualificatif "sexiste", ils devraient y réfléchir à deux fois. Les filles que les caméramans montrent sont toujours légèrement habillées et ont toujours la vingtaine, un air glamour et correspondent affreusement aux canons de beauté occidentaux. Pas une seule fille à lunettes, bien en chair ou âgée de plus de trente ans. Ces messieurs préfèrent des bimbos maigrelettes et adolescentes peinturlurées. Et, comme c'est étrange, toujours des filles blanches ! Lors des matches du Nigéria et du Sénégal, les gros plans se fixaient invariablement sur les filles du public opposé… Idem pour des pays comme l'Iran, l'Arabie Saoudite ou l'Égypte : pourtant, les femmes orientales sont si réputées pour leur beauté que même l'impitoyable Aurélien en fut subjugué au point de laisser la vie sauve à la rebelle Zénobie qui avait fait trembler l'Empire romain… Mais non, pour ces caméramans, seules des femmes correspondant au typage et aux stéréotypes esthétiques occidentaux ont droit de cité sur nos écrans.
Enfin, on peut sérieusement se demander s'il est vraiment pertinent de monopoliser le débat public avec ce sujet quand les femmes gagnent 40% de moins que les hommes et qu'une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ? La meilleure façon de mettre fin à ces pratiques télévisuelles (qui sont effectivement sexistes) est d'interdire purement et simplement de focaliser la caméra sur les supporters et de ne filmer que le terrain. Cela évitera les distractions inutiles. On ne regarde pas un match de football pour avoir une demi-molle durant quelques secondes mais pour s'abreuver d'une compétition sportive entre deux équipes. On se fiche bien que telles supportrices soient "jolies". L'homme occidental veut bander ? Eh bien, qu'il trempe son zigouigoui dans de l'eau froide, ça le calmera !
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