Si la mobilisation contre la réforme des retraites ne faiblit pas, si au contraire elle augmente, c’est d’abord et avant tout parce que la pensée n’a pas capitulé, pour une fois, devant le discours scientiste appelé aujourd’hui à gouverner le monde, symbolisé par l’argument démographique. De même, il y a le refus d’une science économique présentée comme une science dure, quasi binaire (vérité/erreur) parce que régie notamment par les mathématiques dont on oublie trop rapidement, et la crise financière l’a pourtant durement rappelé, qu’elles ne traitent que d’une vérité formelle laquelle ne dit rien du réel comme l’écrivait pourtant, il y a déjà longtemps le grand philosophe et logicien Bertrand Russel (Mysticisme et logique 1918).
Sans rentrer dans le débat épistémologique qui pourrait conduire à remettre en cause jusqu’à cette summa divisio entre sciences dures (mathématiques, physique) et sciences molles au sein desquelles on retrouve les sciences dites aussi sociales (psychologie, sociologie, histoire etc), il convient pourtant de rappeler que l’économie, dont on nous dit qu’elle a définitivement pris le pas sur le politique, n’obéit pas pour autant à des règles, à des mécanismes de l’ordre de la pesanteur.
Bien souvent le discours des économistes ne sert que pour habiller au mieux des visées politiques au pire des intérêts plus particuliers, si le parti pris reste de penser que la politique renvoie à quelque chose de l’intérêt général.
Pour preuve, il n’est pas rare de trouver sur une même question l’avis contradictoire de plusieurs experts. La période actuelle en est un exemple frappant. Récemment Le Monde de l’économie s’interrogeait sur les politiques économiques mises en œuvre dans les différents pays sous le titre « Trop de relance ou pas assez ». En réalité, personne ne peut le savoir à l’avance.
Où il nous faut revenir à la Politique comme prise de risque au nom d’un sens que l’on souhaite donner à l’action menée.
Et c’est précisément sur ce plan, le sens de l’action, qu’il me semble que quelque chose d’important est en train de se produire aujourd’hui. Et pour plusieurs raisons.
D’abord parce que l’argument selon lequel la réforme serait dictée par une logique tout aussi imparable que responsable laquelle discréditerait par avance toute opposition manifestée à son égard se trouve balayé par l’unité syndicale. Quand l’opposition à la réforme n’est pas uniquement portée par Sud, Fo ou la CGT que le gouvernement et les médias à sa botte de cataloguent systématiquement de dogmatiques afin de justifier le fait qu’il refuse de les entendre, mais aussi par la CFDT, la CFTC (ou ce qui en reste) et même la CFE-CGC, il lui est plus difficile de défendre l’idée qu’il se trouve en butte à de dangereux gauchistes irresponsables. D’où aussi l’importance à maintenir l’unité syndicale.
Ca se complique davantage encore quand des responsables de l’UNEDIC viennent expliquer que la réforme transfert simplement du déficit d’une caisse à l’autre sans vraiment résoudre le problème.
Enfin, ça devient à la limite du tenable quand, avec Internet et ses réseaux et, en dépit de la main mise sur les grands médias, il est difficile d’empêcher la diffusion des informations sur les amendements qui favorisent le développement des comptes épargnes d’entreprise et donc l’assurance privée et de cacher plus longtemps la philosophie d’un projet (http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/retraites-une-reforme-tout-benef-82325). Tout comme il est difficile d’éviter que ne circulent les solutions alternatives portées par des groupes tels que le think tank Terra Nova (http://www.tnova.fr/index.php/toutes-les-publications/3-essais/1296-solutions-progressistes-pour-la-reforme-des-retraites.html), groupe de réflexion de la sociale démocratie et qui donne des pistes concrètes d’une réforme à la fois plus juste et efficace. On peut encore les discuter mais elles existent et mériteraient à tout le moins débat.
Alors, peu à peu, l’idée que le simplisme, l’opération politique, le cataplasme appliqué sur une jambe de bois, ne sont pas forcément du côté des opposants comme certains voudraient le faire croire à grand renfort notamment d’avis venus d’une partie de la presse étrangère censée être plus objective et avisée, comme par exemple celui, entendu sur radio Classique, d’une journaliste de The Economist, journal anglais dont il serait sans doute osé et déplacé de dire qu’il entretient des liens très étroits avec les marchés. Après avoir stigmatisé la propension française à faire grève, elle avait invité les retraités français à venir voir en Angleterre ce qu’est un vrai retraité en difficulté. Voilà un argument qui motive à faire des réformes qui vont dans le sens voulu par les marchés !
D’ailleurs, sur ce mode de « Regardez nous sommes les derniers dans le monde et même en Europe », j’attends avec impatience que le gouvernement s’attaque enfin avec tout son courage à un vrai problème qui plombe la compétitivité française : les congés payés, véritable hérésie économique de par leur longueur. Imaginer qu’on puisse offrir au salarié cinq semaines payées à ne rien faire ! Quelle folie ! Mais patience, ça ne devrait pas tarder.
Pour redevenir un peu plus sérieux, je n’accuse pas le projet actuel de ne pas être cohérent, d’être imbécile ou dans l’erreur. Non, au contraire, il est très cohérent et intelligemment amené au nom d’une urgence qui, par définition, prive le débat de toute chance d’exister. Il conviendrait juste qu’il dise plus clairement son nom et non pas qu’il tente de se dissimuler sous le couvert d’une rationalité en faisant croire qu’il veut sauver le système par répartition quand il entend démontrer peu à peu qu’il est voué à disparaître.
L’ampleur des manifestations, quelle que soit l’issue de la lutte, et même si le projet de loi est voté, aura eu le mérite de faire naître le débat sur la question, de sortir d’une apparente évidence. Il est habituel de parler après les élections de deuxième tour social. Quoi qu’il arrive, et même si la réforme passe, ce qui n’est pas encore acquis (dans un brusque regain de lucidité, le gouvernement pourrait avoir la sagesse d’ouvrir un Grenelle des retraites, la formule est devenue un label pour dire négociation), la mobilisation doit déboucher sur un second tour politique qui se jouera dans peu de temps en 2012. Et il sera alors de la responsabilité des partis de gauche appelés à accéder au pouvoir de se souvenir que quelques mois auparavant, ils défilaient dans les rues.
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ceux qui vont venir après seront bien obligés de tenir compte du passé.
Il y a eu un quinquennat sarkosy avec de telles outrance que plus rien ne sera pareil.
la France possède pléthore de grands hommes capables de bien faire pour le bien collectif. mais ce sont des hommes, donc faillibles quelque soit leur bonne volonté. c’est pourquoi le peuple devra leur rappeler en permanence quels sont leurs devoirs et si pas capables, les virer sans états d’âme. l’heure n’est plus aux idéologies mais au pragmatisme.
prévenu, l’homme politique sera bien obligé de « faire attention ».
quand aux puissants qui pilotaient le régime en sous main afin d’accroître indéfiniment et illégitimement leur richesses, ce sera aussi la démonstration que cela (et leur arrogance) n’est viable que quelques mois.
c’est à dire le temps que les Français ont mis pour se rendre compte qu’ils avaient été floués.
Espérons que De Gaulle qui pensait que les français avaient la mémoire courte se soit trompé. Dans l’histoire récente, il a plutôt eu raison sur le sujet...
Je connais quelques sarkozistes qui semblent enfin avoir compris à qui ils avaient à faire et qui seront dans les manifs samedi, mais il en aura fallu beaucoup pour qu’ils comprennent....
Un autre aspect délirant actuel aura été de voir ceux que nous avons élus directement (députés) ou indirectement (sénateurs) pour NOUS REPRESENTER « s’amuser » pour une partie d’entre eux (Droite et Centre) à précipiter sans vergogne lors de leurs délibérations les décisions majeures voulues par le Gouvernement , pour l’aider à prendre de vitesse les contestations de leurs électeurs... Outre l’aspect un peu veul de la chose, il est inadmissible d’agir de cette façon en tant qu’élus du peuple contre les intérêts des français. Qu’ils aient ou qu’ils pensent avoir raison est une chose, mais leur mandat leur ne leur est pas donné pour faire des lois dans la précipitation. Ils bafouent leurs fonction, montrent qu’ils sont inféodés avant tout à leur parti et qu’ils ne sont donc pas dignes de confiance.
Les électeurs devraient tâcher de s’en souvenir pour les prochaines élections et en reléguer un maximum aux oubliettes !
ou pire ont rejeté l’amendement qui alignait leur régime spécial de retraite particulièrement favorable sur le régime général comme ils vont l’exiger par ailleurs d’autres régimes spéciaux !
C’est de l’ordre du symbole, mais c’est quand même incroyable de cynisme !