Méfiez-vous les uns des autres
C’est une épidémie ? Non Sire, c’est une guerre !
« Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, et qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale. Nous sommes en guerre ». Le 16 mars à 20 heures, le président Macron prononçait avec la gravité qui sied cette terrible sentence. Nous sommes en guerre contre un ennemi invisible, insaisissable. Invisible ? S’agissant d’une protéine de 100 nanomètres, difficile de l’apercevoir en effet. Insalissable ? Pas tant que cela.
Le virus est là, bien présent, il peut être partout nous dit-on. Partout peut-être, mais surtout dans le corps de chacun d’entre nous, dans et sur notre corps. Mais alors, si l’on sait où se cache l’ennemi, si on le sait tapi dans nos corps sans que l’on puisse l’observer, ce sont nos corps mêmes qui incarnent cet ennemi. L’ennemi vit en nous. L’ennemi est en nous. Il EST nous. Voilà donc une guerre bien étrange. Le président nous intime de nous mettre en ordre de bataille pour combattre cet ennemi, il prononce notre mobilisation générale, mais cette injonction a quelque chose de schizophrène.
Une drôle de guerre.
Nous appartenons simultanément aux deux armées qui doivent s’affronter. Ça ne marche pas. Dans une guerre, il y a forcément un gentil (l’ami), et un méchant (l’ennemi). Et les deux combattent l’un contre l’autre. Et à la fin, il y a un vainqueur et un vaincu. Et la guerre est finie. Alors dans quelle armée devons-nous nous ranger ? S’agissant des malades déclarés, pas de problème, ce sont les ennemis. Il faut les capturer et les mettre hors d’état de nuire en les enfermant (il faut dire en les isolant). Mais les autres, tous ces « asymptomatiques » (des enquêteurs chinois nous disent qu’ils pourraient représenter jusqu’à 80% de l’armée ennemie !), comment les détecter ? Justement, c’est le mot d’ordre du Général en chef Philippe. Il faut DE-TEC-TER. Comment ? Simple, il n’y a qu’à tester tout le monde, et on verra bien alors qui est qui, ami ou ennemi. Mais là, le Général en chef a un petit problème. Il manque de munitions. Cette guerre lui est tombée dessus sans prévenir, et il n’a pas eu le temps de fourbir ses armes. Il y a bien des test, 700 000 par semaine nous dit-on. Mais à ce rythme, il ne faudrait pas moins de 24 mois (oui, 2 ans !) pour tester toute la population française. Et c’est sans compter le caractère sournois de l’ennemi. Il passe d’un corps à l’autre sans crier gare, si bien que négatif lundi, vous pourriez très bien être positif jeudi. Un casse-tête insoluble pour notre Etat Major. Résultat : Virus 1 - France 0. Mais perdre une bataille ne signifie pas perdre la guerre.
Délation, quand tu nous tiens…
On oublie les tests qui ne servent à rien (en réalité on continue à faire comme s’ils servaient à quelque chose parce qu’il faut bien faire semblant de se battre pour donner le change). Autre stratégie. Pas jolie jolie comme stratégie, mais vieille comme la guerre : faire appel aux plus bas instincts, aux plus vils réflexes de la peur, j’ai nommé la délation. Cette arme ci pourrait se révéler beaucoup plus efficace que les tests. Il suffit de coincer un positif et de le faire parler. En général, c’est assez simple, la collaboration est souvent spontanée lorsqu’il est question d’agir pour sauver son pays. Les noms des suspects sont révélés sans avoir besoin de recourir à la torture (ça, c’était à une autre époque, dans une autre guerre). La traque peut alors commencer. Les brigades « d’anges gardiens » (si, si, c’est comme ça qu’il les nomme) du Généralissime entrent en action. Les plus fins limiers remontent les pistes et finissent par identifier les ennemis. Il ne reste plus qu’à les capturer, et à les enfermer, pardon, les isoler, dans des hôtels transformés pour l’occasion en centre de rétention. Pas d’inquiétude pour eux, ils sont protégés par la convention de Genève. Résultat ? Virus 1 – Liberté 0. Deuxième défaite pour la démocratie.
L’enfer, c’est les autres.
Dans cette guerre, l’ennemi est partout, mais l’ennemi, c’est d’abord l’autre. Pour le pouvoir, l’ennemi c’est son peuple. Pour tout un chacun, l’ennemi, c’est tout un chacun. L’ennemi, c’est celui qui ne porte pas de masque, et qui offre son corps pour héberger le virus. L’ennemi, c’est celui qui se rend en catimini dans sa résidence secondaire, et qui transporte le virus meurtrier en zone libre. L’ennemi, c’est celui qui organise une Garden party chez lui, avec ses proches, et répand le virus et la mort autour de lui. L’ennemi enfin, c’est cette infirmière qui reçoit dans sa boîte aux lettres des menaces et des injonctions à quitter les lieux, et dont on vandalise la voiture. L’ennemi c’est vous, c’est moi, c’est le corps, nouvel objet de méfiance, nouvel objet de défiance. Les standards téléphoniques des commissariats de police sont assaillis d’appels de ces nouveaux résistants qui, pour lutter contre l’invasion virale, dénoncent aux autorités ces ennemis de l’intérieur. On le croyait mort, mais le civisme est bien vivant, plus vigoureux que jamais, et prêt à envoyer derrière les barreaux les dangereux ennemis de la nation. Dormez tranquilles braves gens, la milice veille sur vous, la milice veille pour vous.
Les heures sombres de l’histoire se répètent. Que les circonstances soient créées, ou qu’elles se produisent fortuitement, elles révèleront aussitôt notre véritable nature. Des héros et des lâches, des résistants et des délateurs, à chacun son combat. Cette guerre civile d’un nouveau genre que nous vivons nous a pris par surprise. L’effet de sidération passé, les réactions émotionnelles maîtrisées, il est peut-être temps de revenir à la raison et de comprendre que la rhétorique guerrière du Pouvoir n’aura servi qu’a attiser ce qu’il y a de pire en nous. Il est peut-être temps de retrouver notre dignité d’Homme. Nous sommes encore vivants, et à défaut d’être libres de nous déplacer, nous sommes encore libres de penser. Alors l’enfer pourra bien nous attendre encore un peu.
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON