Mélenchon, un cauchemar pour l’Ukraine
Quelques notes sur Mélenchon.
Mélenchon souhaite que la France soit non alignée et projette sur l'Ukraine — pour le bien de ce pays ? — sa vision. Lui importe-t-il que dans sa grande majorité la population ukrainienne souhaite intégrer l'OTAN ? Lui importe-t-il que pour de nombreux pays d’Europe la plus grande dissuasion à une possible invasion russe est d'intégrer l'OTAN ? Il ne s’intéresse pas au peuple ukrainien, il dit que les sanctions vont nuire au peuple russe (et Français). Il condamne l'invasion russe, mais dès le début de la guerre il critique le fait de livrer des armes à l’Ukraine et les sanctions contre la Russie, il l'exprime dans cet entretien :
Mélenchon ferait-il mieux sans livraison d'armes et sans sanctions (sauf contre les oligarques, s'est-il corrigé au bout de quelques jours de guerre) ? Croit-il que le Kremlin se calmerait devant la seule volonté de discuter ? Dirait-il à Poutine que l’Ukraine n'entrera pas dans L’OTAN, alors que la France et l’Allemagne ont déjà usé pour cela de leur veto ?
Il faut en convenir avec Thomas Kleine-Brockhoff, le vice-président du German Marshall Fund (GMF), lorsqu'il dit : "L'Europe ne s'est pas trompée, c'est l'Allemagne et la France qui se sont trompés. La France et l'Allemagne ont tendance à parler au nom de l'Europe. Mais ces erreurs d'appréciation ont été faites à Paris et à Berlin, pas ailleurs. L'Europe de l'Est ne s'est pas trompée, l'Europe du Nord non plus. Non seulement le nouvel ordre mondial de l'après-Guerre froide s'effrite sous nos yeux, mais les stratégies déployées par l'Allemagne et la France également. »
Maintenant, voyons. C'est parce que les Ukrainiens en grande majorité souhaitaient intégrer l'OTAN que Poutine ne supporte pas les Ukrainiens ; il ne supporte pas leur liberté de vouloir choisir des alliés qui pourraient dissuader la Russie de faire ce que bon lui semble de l'Ukraine. Si le veto allemand et français n'a pas réussi à rassurer le Kremlin, c'est parce qu'il est inadmissible, pour le Kremlin, que l'Ukraine veuille décider de son propre sort. Cela Mélenchon refuse de le prendre en compte et manque ainsi de se mettre à la place du peuple ukrainien, lequel verrait en lui, à coup sûr, dans le cas où il accéderait à la présidence, un grand danger pour eux et pour l'Europe.
Mélenchon s'aligne ici, ou presque, sur les positions du président Orban (Hongrie) : Pas d'armes pour l'Ukraine. Et pas de sanctions qui risqueraient de nuire au peuple russe (c'est-à-dire : continuons des relations commerciale avec la Russie et laissons l'Ukraine aux russes). De quoi désespérer les pauvres ukrainiens ! Aussi a-t-il toujours refusé de critiquer Maduro, lequel, récemment et sans grande surprise, a déclarer : « Le Venezuela est avec Poutine. Le Venezuela est avec les causes courageuses et justes dans le monde. »
Mélenchon nie l'importance de l'Otan pour les Polonais, les Tchèques, les Slovaques, les finlandais, les Roumains, les pays baltes, ou encore l'Ukraine. Il refuse d'écouter la crainte justifiée que ces pays éprouvent à l'égard d'une Russie impérialiste. Dès l'entrée des chars russes dans ce pays il déclare, au sujet de l'OTAN dans le conflit en Ukraine : « Ils cachent leur jeu ; leur jeu, c'est quoi ? C'est un nouveau partage de l’Europe, entre les américains et les russes. » Et d'ajouter plus loin : « Tout ce qui rentre, pour les Amerlos, c'est l'OTAN. Et tout le reste, c'est pour les russes, voilà. » Il n'aime pas l'OTAN, et il veut qu'on en sorte, nous dit-il dans l'entretien évoquer plus haut (une vidéo).
Si les pays baltes et la Pologne, la république Tchèque et la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, d'autres encore, et même la Hongrie, ont librement voulu intégrer l'OTAN, et en sont devenus membres, c'est parce qu'ils craignaient (et la crainte ne s'est toujours pas dissipée) de se retrouver un jour entre les crocs de la Russie. Il faut lire le petit livre de Milan Kundera, Un occident Kidnappé ou la tragédie de l'Europe centrale, pour mesurer à quelle point cette peur a depuis longtemps habité les petites nations qui se trouvent à proximité de la Russie. De ce petit livre (une soixantaine de pages) notons ceci : « Les russes aiment appeler slave tout ce qui est russe pour pouvoir plus tard nommer russe tout ce qui est slave, proclama déjà en 1844 le grand écrivain Tchèque Karel Havlicek. » Et notons aussi ce passage poignant : En 1956, au mois de septembre, le directeur de l'agence de presse de Hongrie, quelques minutes avant que sont bureau fût écrasé par l'artillerie, envoya par télex dans le monde entier un message désespéré sur l'offensive russe, déclenchée le matin contre Budapest. La dépêche finit par ces mots : « Nous mourons pour la Hongrie et pour l'Europe. » Milan Kundera nous explique ensuite que le directeur de presse de Hongrie voulait signifier par là que l'Europe était visée en Hongrie même.
Zelensky, le président ukrainien, est un juif, laïc, dont certains membres de sa famille sont morts dans les camps de concentration nazi (c'est un détail qui dit beaucoup sur les mensonges et la propagande du Kremlin), et il est russophone (le russe est sa langue maternelle), un russophone qui ne se sent pas appartenir au « monde russe » mais au monde européen. C'est le cas de la plupart des ukrainiens. Et c'est l’Europe qui est visée en Ukraine même.
Mais parlons maintenant du livre de Michel Elchnaninoff (livre qui date de 2015) : Dans la tête de Poutine. Cet auteur avait déjà prédit ce qui allait se passer. Averti comme il était des discours de propagande du Kremlin, la suite logique, pour lui, de l'annexion de la Crimée, allait être la guerre de conquête de l'Ukraine, ou de ce qu'il serait possible d'annexer dans ce pays. Dans son livre, Eltchnaninoff cite le président russe qui en 2010 disait : « Nos racines se situent dans la Russie kiévienne. Notre fraternité n'est pas une légende, mais un fait historique. » Et plus loin, Eltcha- ninoff nous raconte ceci :
Durant l'été 2003, juste avant la visite du patriarche orthodoxe de Moscou à Kiev pour célébrer le 1025ème anniversaire de ce qu'on appelle le « baptême de la Russie » sous le prince Vladimir en 987, Poutine invoque l'histoire de la religion : « La conversion au christianisme a décidé du destin et du choix civilisationnel de la Russie. » Deux jours plus tard, à Kiev, il évoque « notre unité spirituelle ». Le lien avec l'Ukraine serait indestructible et un départ de celle-ci vers l’Europe couperait la Russie d'une partie d'elle-même. En désespoir de cause, voyant que ni les arguments pragmatiques ni les allusions historiques ne sont entendus, il passe franchement au vocabulaire de l'unité : « L'Ukraine est sans aucun doute un État indépendant. Mais n'oublions pas que l’état russe actuel a des racine liées au Dniepr (fleuve ukrainien). Comme on dit, nous avons les même fonts baptismaux dans le Dniepr. La Russie kiévienne est à l'origine de l’immense État russe. Nous avons une tradition commune, une histoire commune, une culture commune. Nos langues sont très proches. En ce sens, je veux le répéter, nous sommes un seul et même peuple. » C'est dit : toute tentative de prise de distance serait interprétée par Poutine comme crime contre l'identité russe elle-même et un déchirement intime. Le message est entendu : le 21 novembre suivant, le président Ianoukovitch – président pro-russe de l'Ukraine - suspend les négociations pour la signature d'un partenariat avec l'Union européenne, qui devait avoir lieu une semaine plus tard. Cette décision inopinée lance le mouvement du Maïdan, qui aboutira à la violence contre les manifestants et la fuite en Russie du président Ukrainien à la fin février 2014.
Comme le dit Michel Eltchaninoff, dans un autre passage de son livre : L'annexion de la Crimée et la guerre en Ukraine sont la suite logique de l'échec d'un impérialisme de persuasion.
Il faut lire le petit livre de Michel Eltchaninoff. Cet auteur parle le russe et il a suivi, depuis longtemps, les discours, la propagande de Poutine, des intellectuels et historiens proche du Kremlin. Et comment, après cette lecture, voter encore pour les Insoumis — qui, pour le dire ironiquement, soumettrait l'Ukraine à la Russie. Russie qui irait ensuite grignoter ou annexer la Moldavie, puis attiser le séparatisme en Bulgarie (où il y a des russophones), et qui voudrait troubler la Bosnie et la Serbie (Dieu merci le président Serbe, progressiste, a été réélu), provoquer là-bas des tensions encore plus fortes que celles d'aujourd'hui, et pourquoi pas s'occuper de la Croatie, et qui irait aussi malmener la Finlande et les pays Baltes, et qui se voudrait être le sauveur conservateur de l'Europe, car pour le Kremlin, l'Europe est vicié, elle pervertie le monde (à cause du droit des homosexuelles, de la liberté individuelle, de la liberté de pensée, etc.).
Laisser faire la Russie finirait par provoquer d'autres conflits en Europe. Nous avons peur d'une guerre mondiale aujourd'hui, elle serait certaine à l'avenir si nous n'aidons pas l'Ukraine. C'est maintenant qu'il faut agir, car ensuite ce sera encore plus périlleux, encore pus dangereux. Et ce n'est pas avec Mélenchon que l'Europe sera en plus grande sécurité.
Chose curieuse : Pour certains électeurs, voter Mélenchon ce n'est pas seulement voter contre ce qu'il y a de plus dangereux dans le capitalisme, c'est aussi faire un grand barrage à l'extrême-droite, alors qu'il est de ceux qui feraient le moins de barrage à Poutine — Poutine à côté duquel Marine Le Pen est un bisounours en matière d’extrémisme de droite. Et souvenons-nous qu'aux dernières élections présidentielle (2017), au 2eme tour, Mélenchon n’avait pas vraiment, quoi qu'il en dise, appelé à voter Macron face à Le Pen.
L'espoir d'une vraie gauche attire vers Mélenchon des électeurs alors même que sa gauche tourne le dos aux craintes des populations européennes. Il est resté souverainiste contre l'union européenne, et dans une France de l'ancien monde, ignorante des nations qui l'entourent, indifférente aux petites nations d'Europe.
La France a fait de grands progrès par rapport au passé. Après la deuxième guerre mondiale, la Russie a annexé la Lituanie. En Lituanie il y eut résistance, de 1944 à 1953. Elle se solda par un échec et un terrible bilan humain : 60 000 Lituaniens assassinés, près de 200 000 emprisonnés, et plus de 100 000 déportés en Sibérie. La France condamna l'invasion mais ne livra pas d'armes à la Lituanie. Aujourd'hui les pays d'Europe sont bien plus solidaires, les nations d'Europe centrale sont davantage assurées d'être soutenues par les pays riches de l'Ouest et par les États-Unis.
Mélenchon a défendu Poutine dans sa guerre en Syrie et il ne veut pas armer l'Ukraine, cela n'est pas supportable. Il est trop centré par sa critique qu'il fait aux américains et aux occidentaux. Cette fixation idéologique ne le rend pas assez sensible à la situation du peuple ukrainien et risque de le rendre sourd aux espoirs des petites nations d'Europe d'être convenablement protégées.
Impossible pour moi de voter pour les Insoumis, je ne l'ai pas fait pour la présidentielle, je ne le ferai pas pour les législatives. j'aurais trop honte pour ce pauvre peuple ukrainien.
Si les personnes qui ont lu le livre de Jacques Baud (qui va dans le sens de Mélanchon) veulent bien prendre le temps de lire le livre de Michel Eltchaninoff (qui lui aussi parle le russe), intitulé "Dans la tête de Poutine " (2015) , ils pourront alors comprendre que Baud ne sait pas tout, bien qu'il semble tout savoir. Il leur faudra aussi lire les livres de la journaliste Anna Politkovskaïa, qui fut assassinée en 2006 (assassinée pour ses positions très critiques vis à vis de Poutine) et notamment son livre intitulé : "La Russie selon Poutine." Ajoutons aussi ce livre dont j'ai parlé plus haut, du Tchèque Milan Kundera : "Un occident Kidnappé ou la tragédie de l'Europe centrale". Et puis celui d'Alexandra Goujon (publié en 2021) : "L'Ukraine de l'indépendance à la guerre" - qui pourrait se résumer par une phrase de Voltaire (phrase datant de 1733) : "L'Ukraine a toujours aspiré à être libre ; mais étant entouré de la Moscovie, des Etats du grand-seigneur et de la Pologne, il lui a fallu chercher un protecteur, et par conséquent un maître dans les trois États. Elle se mit d'abord sous la protection de la Pologne qui la traita en sujette ; elle se donna depuis aux Moscovites qui la gouverna en esclave autant qu'il le put." Alors vous serez moins confortés dans votre opinion, moins assurés de la toute puissance démonstrative de Jacques Baud et de Mélenchon. Il est inquiétant de voir que l'on se jette sur son livre (numéro 1 des ventes sur amazone) sans se jeter sur d'autres, qui parlent du même sujet mais qui ont un son de cloche fort différent, davantage avertis sur la situation et l'histoire de ce conflit.
On peut reprendre ce passage d'un article de Philippe de Lara (maître de conférences à l’université Paris-II en philosophie et sciences politiques), qui nous dit : "Le discours russe sur l’expansion de l’OTAN vers l’Est est très efficace pour troubler les opinions publiques parce qu’il escamote la menace russe tangible que la Russie exerce contre ses anciennes colonies et pays satellites, et parce qu’il profite de l’ignorance des médias et des peuples sur la réalité des forces en présence. C’est ce qui permet par exemple à un Luc Ferry, pourtant libéral et européiste, de comparer la présence de forces de l’OTAN aux frontières de la Russie avec les missiles installés à Cuba qui avait provoqués une crise majeure en octobre 1962. Cet argument ridiculise ceux qui l’emploient car il n’y a aucune commune mesure entre les missiles nucléaires que l’URSS voulait installer à proximité des États-Unis et la présence symbolique de quelques milliers d’homme de l’OTAN installés en 1997 et en 2004 dans le cadre de l’élargissement de l’OTAN à la Pologne, aux Pays Baltes. Les bases aériennes et les armes nucléaires de l’OTAN n’ont pas bougé ni augmenté depuis cinquante ans. Malheureusement, la confusion instillée par le storytelling russe est efficace. Il y a quelques jours, d’excellents journalistes sur une chaîne d’info étaient tous persuadés que l’OTAN avait en Europe de l’Est des forces comparables à celles de la Russie tournées vers l’ouest. Gérard Araud présent sur le plateau a eu beau mettre les choses au point, ces excellents journalistes avaient du mal à le croire. Le déploiement de la Russie comprend des bases anciennes et nouvelles à sa frontière occidentale, mais aussi à Kaliningrad, au Belarus, en Crimée et en Transnistrie. On trouvera facilement sur l’Internet la liste des armes nucléaires de moyennes et longues portées et leur localisation — la Crimée est devenue depuis l’annexion la plus grande base militaire du monde."
Martin
Petite note final sur la Russie poutinienne : À l'édifiante propagande du Kremlin comme quoi la Russie, contre l'Allemagne nazie, a été le sauveur de l’Europe, on peut bien sûr répondre, de façon très simple, évidente, que les États-Unis y sont aussi pour quelque chose, et ajouter ces quelques lignes de l'écrivain polonais Witold Gombrowicz : La fin de la guerre n'a pas apporté la libération aux Polonais. Dans cette triste Europe centrale, elle signifiait seulement l'échange d'une nuit contre une autre, des bourreaux de Hitler contre ceux de Staline. Au moment où dans les cafés parisiens les nobles âmes saluaient d'un chant radieux « l'émancipation du peuple polonais du joug féodal », en Pologne, la même cigarette allumée changeait tout simplement de main et continuait de brûler la peau humaine.
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