La politique est un sport de combat où les coups sous la ceinture pullulent dans tous les sens. Seulement voilà, c’est également un sport collectif. Les athlètes du ring politique ont tendance à l’oublier. Oublier, c’est mourir un peu. En comparant l’histoire du socialisme français avec celle de l’équipe de France de football, de troublantes similitudes me frappent :

- L’équipe de France de socialisme aujourd’hui (reviens, Jaurès !)
Tout d’abord, l’équipe de France de football fut créée en 1904, soit un an avant l’unification du socialisme français, incarné par Jean Jaurès, sous le sigle de la SFIO, fondée en 1905. Ensuite, une lente progression fut marquée par la victoire du Front Populaire en 1936 et par un quart de finale à la Coupe du Monde 1938. Dans les années 1950, dans la lignée du Conseil National de la Résistance, une génération dorée apparut : les Raymond Kopa, Guy Mollet, Just Fontaine, Léon Blum, Roger Piantoni et Pierre Mendès France arrachèrent quelques réformes historiques (vote des femmes, sécurité sociale, nationalisations) et une troisième place à la Coupe du Monde 1958. Hélas, en 1958 également, le coup d’Etat du Général De Gaulle fit perdre le sens du collectif au onze tricolore et entraîna la traversée du désert du socialisme et du football français jusqu’au début des années 1980.
Ce fut alors l’heure de la reconquête : François Mitterrand, Michel Platini, Pierre Mauroy, Alain Giresse, Laurent Fabius et Jean Tigana gagnèrent les présidentielles et les législatives de 1981, arrivèrent en demi-finale de la Coupe du Monde 1982, menèrent de profondes réformes (augmentation du SMIC, abolition de la peine de mort, réduction du temps de travail, décentralisation), gagnèrent le Championnat d’Europe 1984 et finirent troisième de la Coupe du Monde 1986. Malheureusement, les conséquences de la politique de rigueur économique, la fin d’une génération d’exception, la défaite aux législatives de 1986 avec la première cohabitation et la non-qualification à l’Euro 88 et au Mondial 90 eurent raison de ces années d’espoir. Certes, François Mitterrand fut réélu en 1988, mais ni Jean-Pierre Papin, ni Michel Rocard, ni Eric Cantona, ni Pierre Bérégovoy ne purent recadrer la politique à gauche et le ballon au centre : Les législatives de 1993, la qualification à la Coupe du Monde 1994 et les élections présidentielles de 1995 furent toutes les trois manquées.
Aimé Jacquet et Jacques Chirac contribuèrent alors à la reconstruction des deux formations, l’un par la mise en place d’un solide bloc défensif et l’autre par la dissolution de l’Assemblée Nationale en 1997. Une troisième grande génération vit le jour : les Zinedine Zidane, Lionel Jospin, Didier Deschamps, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Blanc et Martine Aubry gagnèrent la Coupe du Monde en 1998, mirent en place quelques réformes (35 heures, emplois-jeunes, PACS, Couverture maladie universelle, sans oublier les innombrables privatisations) et remportèrent l’Euro 2000 dans la foulée. Rien ne semblait pouvoir leur résister. Mais en politique comme en football, l’excès de confiance mène droit dans le mur : En 2002, tandis que les médias nous abreuvaient de publicité pour l’équipe de France et de deuxième étoile de champion du Monde,
Lionel Jospin riait aux éclats à l’idée d’une défaite au premier tour de la présidentielle. On connaît la suite : Un 21 avril, un France-Sénégal et une élimination au premier tour pour les deux favoris rose et bleu.
Depuis, les deux équipes alternent le bon et le moins bon : Un parcours parfait en éliminatoires de l’Euro 2004 (8 victoires en 8 matchs), un triomphe aux élections régionales et cantonales de 2004 (20 régions sur 22), une élimination en quart de finale de ce même Euro, une division profonde au sujet du référendum sur la Constitution Européenne en 2005… Alors que la qualification pour la Coupe du Monde 2006 et la campagne de la présidentielle de 2007 semblaient mal engagées, le retour des éléphants (Zidane, Jospin, Thuram), sortis de leur retraite anticipée, permit à l’équipe de France de retrouver son équilibre et au Parti Socialiste de susciter un élan d’adhésion. Les dribbles de Ribéry affolèrent l’Espagne, les passements de jambes de Zidane désemparèrent le Brésil, les tacles de Thuram découragèrent le Portugal et Ségolène Royal faisait jeu égal avec Nicolas Sarkozy dans les sondages. Comment alors interpréter le fameux coup de boule de Zidane à Materazzi lors de la finale de la Coupe du Monde face à l’Italie qui coûta la défaite aux présidentielles ? Etait-ce la perverse tentative de déstabilisation de Ségolène Royal par Nicolas Sarkozy lors du duel télévisé où ce dernier évoque la relation de la première avec François Hollande, à l’instar de Materazzi qui se mêle de la vie privée de Zizou pour le provoquer ? Ou le manque de soutien de la part de nombreux responsables socialistes, notamment de Jospin qui eut des mots très durs à l’encontre de Ségolène Royal ? Je dirais plutôt que dans une équipe, quelle qu’elle soit, il est dangereux de vouloir instituer un homme ou une femme providentielle, un héros sur lequel repose tout le poids des responsabilités : A un moment ou à un autre, cela se retourne contre l’équipe…
Aux élections européennes de 2009, qui font suite à l’élimination des Bleus au premier tour de l’Euro 2008, le Parti Socialiste s’est une nouvelle fois effondré. On peut bien sûr critiquer la gestion et les choix hasardeux de Martine Aubry et de Raymond Domenech, mais plus que l’émergence d’individualités, c’est d’une dynamique de changement et d’un esprit collectif dont ont besoin les deux formations centenaires. La première secrétaire et le sélectionneur n’ont certes pas de grande légitimité dans leur rôle, l’une ayant fraudé, l’autre étant constamment remis en cause, mais l’essentiel est d’avancer avec ce que l’on a, pour mettre en place une équipe soudée avec une ligne cohérente et une assise défensive, quitte à laisser de côté les égos qui veulent se mettre en avant.
Aujourd’hui, à l’aune des élections régionales et de la Coupe du Monde 2010, les Bleus et les Roses devront affronter un adversaire de taille : les Verts ! Face au fighting spirit de la République d’Irlande et au totalitarisme écologique à la mode de chez nous, il serait malvenu de combattre avec les mêmes armes qu’eux : la tactique doit jouer un rôle important. Dans sa volonté de mettre en place la taxe carbone, on sent bien que Nicolas Sarkozy tente de rallier à lui l’électorat bobo qui vote écolo, ou du moins le couper du PS dans l’hypothèse d’un second tour. La droite cherche ainsi à dépolitiser l’écologie, en insistant sur la responsabilité individuelle, aidée par les superproductions catastrophistes d’Al Gore (gérant de hedge funds), de Yann Arthus-Bertrand (financé par le groupe Pinault Printemps Redoute) et de Nicolas Hulot (financé par L’Oréal et EDF) pour mettre en œuvre une économie verte basée sur la peur. En revanche, une grande majorité d’écologistes de la première heure considère que l’écologie est incompatible avec les logiques productivistes. Il me semble que le Parti Socialiste gagnerait à évoluer sur ce terrain-là. Peut-être devrait-il chercher à diviser le mouvement écologiste pour mieux régner, selon la formule de César que connaissent bien les anglais et les irlandais. A propos des buveurs de Guinness, l’équipe de France aura du mal à séparer l’équipe irlandaise entre catholiques et protestants, mais elle pourrait essayer d’étirer au maximum son jeu pour isoler les combattants celtiques de leurs frères d’armes. Et surtout, qu’elle n’hésite pas à passer par la gauche…
Rassurez-vous, je ne pense pas une seule seconde que les destins de l’équipe de France de football et du Parti Socialiste soient liés, mais je trouve toutes ces ressemblances assez amusantes. Qui sait, il y a peut-être une raison… Si les Bleus s’inclinent face à l’Irlande, je pourrai au moins prédire le score du PS aux régionales. Et puis, si cela ne se passe pas comme je l’avais prédit, je pourrai toujours interpréter à ma convenance : c’est l’avantage du "commentateur qui commente" cher à Nicolas Sarkozy, ou du politicien cher à Churchill :
« Un bon politicien est celui qui est capable de prédire l’avenir et qui, par la suite, est également capable d’expliquer pourquoi les choses ne se sont pas passées comme il l’avait prédit »
Sources :