Nouvel ordre mondial
« Les perspectives économiques des Etats-Unis ne sont pas brillantes, mais celles de l’Europe sont pires. » Michael Hudson, économiste (1)
« Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, la Commission européenne, gardienne des traités, fondée en 1957 et composée d’émissaires des états membres, sert de bras armé au Département d’Etat des Etats-Unis, subissant, à travers l’histoire, les aléas de sa politique extérieure qui, actuellement, déplace son centre d’intérêt vers l’Asie, laissant l’Europe sur le banc de touche dans le jeu de la géopolitique mondiale. » (Michael Hudson)
L’économiste américain Michael Hudson publie actuellement la troisième édition de son ouvrage « Super-Imperialism, The Economic Strategy of American Empire » (2) dont la première édition parut en 1972, une année après l’événement historique qui bouleversa l’ordre économique mondial établi, la suspension de la convertibilité du dollar en or par le président Richard Nixon.
Sorti victorieux de la Deuxième guerre mondiale, seule nation avec une économie florissante à l’époque, le nouvel empire américain naissant se trouvait alors dans une position unique dans l’Histoire, pavant le chemin vers une gouvernance planétaire.
Un nouvel ordre économique mondial fut pour ainsi dire décrété le 22 juillet 1944, par les Etats-Unis et son « junior partner », la Grande Bretagne, à l’hôtel Mount Washington, dans la station de ski huppée de Bretton Woods dans le New Hampshire, sous la direction de l’économiste britannique John Maynard Keynes et l’assistant au Secrétaire du trésor américain, Harry Dexter White, dont évidemment la proposition finale fut retenue, à savoir la création d’un nouveau système monétaire international, basé sur le dollar américain, avec un ancrage à l’or, faisant du dollar américain la monnaie de réserve internationale, toutes les devises du monde devant dorénavant être définies par rapport au dollar et, seul le dollar, par rapport à la valeur de l’or.
Les dépenses militaires des belligérants pendant, et le boom économique grâce à la reconstruction, après la Deuxième guerre mondiale, permirent aux Etats-Unis d’enregistrer de larges excédents commerciaux et, par conséquent, l’accumulation d’un important stock d’or, trois quarts des réserves mondiales, entreposées dans les coffres de la base militaire de Fort Knox dans le Kentucky.
En contrepartie, chaque nation aura dorénavant le droit, hypothétique, de se faire livrer de l’or par le trésor américain, en échange de dollars, à un cours de change prédéfini, un gage de confiance en quelque sorte, dans le but de garantir la stabilité du système financier international.
L’Europe, dévastée par cinq années de conflit, ne disposant plus de ressources (or), nécessaires pour financer la reconstruction, voire son développement futur, dépendait entièrement des crédits du trésor américain qui, lui, détenait des réserves d’or en suffisance pour créer des dollars. Un vaste programme de financement fut mis sur pied, connu sous l’appellation « Plan Marshall », programme assorti d’une condition sine qua non, celle de l’obligation des débiteurs d’importer uniquement du matériel en provenance des Etats-Unis.
Au fur et à mesure que l’Europe sortait de la récession et ses entreprises se mirent à exporter des biens et services à leur tour, leurs recettes en dollars, converties en monnaie locales, créant ainsi de la nouvelle monnaie locale, sont déposées au fur et à mesure, via les banques commerciales, auprès des banques centrales respectives, qui à leur tour investissent ces dollars en bon du trésor américain.
Comme toute médaille, celle-ci a également deux faces.
Ce système, permettait aux Etats-Unis, et permet encore à ce jour, d’activer la planche à billets, au-delà du raisonnable, et surtout, de financer une machinerie de guerre que l’ancien président Dwight D. Eisenhower appelait le « complexe militaro-industriel », avec les surplus commerciaux de ses partenaires. Dans les années 1970 et 1980, par exemple, le Japon finançait jusqu’à 20 % du déficit budgétaire américain avec le surplus de sa balance commerciale.
Avec la création simultanée d’instances supranationales, également sous la férule des Etats-Unis, telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce GATT, devenu Organisation mondiale du Commerce OMC en 1995, la dollarisation, décidée à Bretton Woods, s’étendait à la planète entière en guise d’outil de promotion du « made in America » et de contrôle militaire.
Sous prétexte de réduire la pauvreté dans le monde, ces institutions accordent des crédits aux nations qui en ont besoin, à condition que celles-ci recyclent les dollars obtenus en produits américains, notamment agricoles, dans le cas de la Banque Mondiale.
Ainsi, au lieu d’aider les pays débiteurs, notamment d’Amérique Latine, d’atteindre une autosuffisance alimentaire, les crédits sont essentiellement destinés à financer l’exportation de céréales américaines, ou, dans le cas d’aliments qui ne poussent que dans les tropiques, tels que le sucre, les bananes, le café ou l’huile de palme, d’exploiter des plantations par des conglomérats américains dans le but d’écouler les récoltes sur le marché américain.
La dépendance ainsi crée est ensuite utilisée à des fins de pressions politique voir militaires, en cas de velléités démocratiques ou indépendantistes, voire de réformes sociales indésirables.
Ainsi s’expliquent les nombreux coups d’états et autres assassinats politiques par la CIA dans l’arrière-cour des Etats-Unis à travers l’Histoire, dont un des derniers en date, le coup d’état, orchestré par la Secrétaire d’état Hillary Clinton, en 2009, au Honduras où le président Manuel Zelaya, pourtant issu d’une grande famille de propriétaires terriens, avait la mauvaise idée de lancer une réforme agraire, ou à Haïti, où la sémillante Hillary sut empêcher une augmentation de salaire des travailleurs d’ateliers clandestins de 37 à 45 cents l’heure. (Wikileaks)
En créant des déficits budgétaires de plus en plus insoutenables, notamment par les dépenses militaires, notamment pendant les guerres de Corée et du Vietnam, déficits qui s’additionneront année après année à la dette souveraine, les partenaires commerciaux commencèrent à douter de la solidité du système et à exiger la livraison de « leur or », comme le malheureux président Charles De Gaulle, qui cherchait à convertir les dollars, investis par les américains dans la guerre d’Indochine en or au lieu d’acheter docilement des bons du trésor américain. (Michael Hudson)
Mal lui en avait pris, car, comme se vantait la CIA plus tard, les révoltes de mai 1968, qui avait conduit à la chute du héros de la Deuxième guerre mondiale, furent encouragées avec enthousiasme par les agents de Langley, qui, par ailleurs, réussirent également à débarrasser l’Italie de son Parti communiste. Toujours est-il, en 1972, le président Richard Nixon, déclara unilatéralement la fin de la convertibilité du dollar en or et ouvrit, par la même occasion, la « Boîte de Pandore » de la création monétaire sans lendemain.
On inventa, entre tant d’autres subterfuges, les pétrodollars, le recyclage des recettes pétrolières, notamment de l’Arabie Saoudite en actifs financiers américains, bons du trésor, immobilier, actions, sans jamais autoriser une prise de contrôle décisive bien entendu, comme c’est d’ordinaire le cas pour les vassaux du FMI, et les japonais et autres allemands et français continuaient à recycler leurs surplus commerciaux en dollars, ce qui mit une pression à la hausse de sa valeur, 50 % face aux plus importantes devises entre 1980 et 1985, hausse exacerbée par la nouvelle politique fiscale néolibérale du président Ronald Reagan, favorisant le capital au détriment du travail, ou, ce que le président de la Réserve Fédérale Alan Greenspan appelait « le syndrome des travailleurs traumatisés », menant du même coup à une flambée des taux d’intérêts, due au besoin accru de financement du trésor public.
L’accord de Plaza, signé le 22 septembre 1985 à l’hôtel Plaza à New York, entre les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, le Japon et le Royaume Uni, visa à réduire les déséquilibres commerciaux en dévaluant le dollar par des interventions massives sur les marchés des devises. Le résultat fut particulièrement douloureux pour le Japon qui vit flamber sa monnaie, occasionnant une bulle immobilière qui éclata en 1992 et dont le pays du soleil-levant n’a jamais récupéré jusqu’à ce jour.
L’effet sur les déséquilibres économiques fut de courte durée, car la planche à billet du trésor américain continuait à tourner à plein régime, favorisant une financiarisation de sa propre économie et une délocalisation sans précédent de sa base de production vers des cieux plus cléments en matière fiscale et de coût du travail, tels que le Mexique ou la Chine.
Le résultat fut une économie domestique non compétitive, faute d’investissements, et une triple dette, souveraine, actuellement de 28'000 milliards USD, privée, de 15'000 milliards USD, et une dette des entreprises domestiques de 12'000 milliards USD.
S’il y a un pays qui a appris la leçon de cette « Histoire » c’est la Chine et son défunt leader spirituel Deng Xiao Ping, pour qui « peu importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape des souris ».
Aujourd’hui, la Chine a réussi à éradiquer l’extrême pauvreté telle que la définit la Banque Mondiale et qui touchait encore 750 millions de ses habitants en 1990. En même temps, 1,1 milliard d’habitants ont accédé à ce que la Banque Mondiale définit comme la « classe moyenne », 5,5 USD de revenu quotidien, grâce à ce que le Parti communiste à son tour appelle « économie socialiste de marché », un modèle économique mixte, pas très éloigné du modèle allemand des Trente glorieuses, l’économie sociale de marché, très éloigné en revanche du néolibéralisme.
Dans une économie mixte, telle que la Chine, les besoins fondamentaux, tels que logements, santé, éducation, transport sont financés exclusivement par les pouvoirs publics et, contrairement aux économies européennes classiques de ce type, qui ne sont plus tellement classiques d’ailleurs puisqu’ils favorisent le modèle néolibéral du partenariat public-privé, la clé de la redistribution des richesses, la création monétaires, y est en mains de l’état.
La privatisation de la création monétaire, entre les mains des banques commerciales, conduit in fine à la financiarisation de l’économie. Dans le but de maximiser les profits et de minimiser les risques, les banques ne prêtent pour ainsi dire que contre la mise en gage d’un actif financier existant (80% des crédits octroyés aux Etats-Unis). Elles ne contribuent donc pas à la création de nouveaux moyens de production, ce qui se vérifie aisément en observant la bulle financière et immobilière qui est actuellement sur le point d’éclater à nouveau.
Ainsi, contraire au sauvetage des banques par le trésor américain en 2008, une éventuelle mise en faillite du conglomérat immobilier chinois « Evergrande », qui représente entre 2 et 3 % de l’économie chinoise, touchera en premier lieu les créanciers imprudents, puisque la Chine n’a pas de contentieux basé sur la dollarisation.
Au contraire, la Chine vise une diversification en renforçant ses liens avec la Russie, l’Iran et le Venezuela, tous touchés par des sanctions économiques américains.
Son projet phare, la « Nouvelle route de la soie », un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires entre la Chine et l’Europe, englobant 68 pays, représentant 4,4 milliards d’habitants ou 40 % du PIB mondial, un outil de restructuration de la gouvernance mondiale selon certains, laissera l’Europe le cul entre deux chaises devant un choix plus que cornélien.
- Michael Hudson, économiste américain professeur à l’université Missouri- Kansas City, mettant l’accent de ses analyse sur l’effet de la dette sur le développement économique,
3rd Edition : Super-Imperialism | Michael Hudson (michael-hudson.com)
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