Paquet de cigarettes neutre : parcours d’une fausse bonne idée
Le 8 septembre avait lieu dans toute la France une journée d'actions des buralistes, mobilisés une fois de plus contre les mesures du projet de loi de Santé de Marisol Touraine. Dans leur ligne de mire, l'instauration du paquet de cigarettes neutre, prévue initialement en 2016. Alors que le projet de loi est actuellement examiné au Sénat, de nombreuses personnalités politiques commencent à s'ériger contre cette initiative, doutant de son efficacité.
Pour Marisol Touraine, c'est une affaire personnelle
En juillet dernier, le Sénat supprimait le projet de paquet de cigarettes neutre en commission des affaires sociales. Ce qui devait être l'une des mesures phares du « plan national de réduction du tabagisme » (PNRT), prolongement du Plan Cancer 2014-2019, passait donc à la trappe, au grand dam de son instigatrice, Marisol Touraine. C'était cependant sans compter sur l'opiniâtreté de la ministre de la Santé, bien décidée à réintroduire dans son programme l'idée d'un paquet dénué de logo et de tout ce qui pourrait rappeler la marque des cigarettiers, quitte à en faire son principal cheval de bataille. « Le texte arrivera à l'examen au Sénat en septembre, je déploierai toute la conviction que je peux avoir parce que c'est pour moi un engagement fort et personnel », déclarait-elle alors.
Loin de laisser indifférent, cette initiative divise, aussi bien l'opinion publique que le monde politique. Si elle peut être considérée comme une mesure choc, efficace en termes de communication pour le gouvernement, Marisol Touraine a-t-elle seulement pensé à l'avenir des 27 000 buralistes français ? En Australie, seul pays à avoir mis en place à ce jour le paquet neutre, la consommation de tabac n’a pas baissé et le marché parallèle a augmenté, de 12,7 %, selon une étude KPMG.
Avec son programme, qui comprend en plus du paquet neutre d'autres actions comme l'interdiction du vapotage dans certains lieux publics, celle de fumer en voiture en présence d'enfants de moins de 12 ans mais également l'encadrement de la publicité pour les cigarettes électroniques, Marisol Touraine espère diminuer la consommation de tabac de 10 % en cinq ans. Un pari qui semble perdu d'avance au vu des efforts déjà déployés par le gouvernement dans le passé pour lutter contre le tabagisme, en vain. De la loi Veil de 1976 (interdiction de la publicité pour le tabac à la télévision ou à la radio) à la loi Evin de 1991 (interdiction de vente aux mineurs), à la guerre contre le tabac lancé par Jacques Chirac dès 2003, en passant par l'interdiction de fumer dans tous les lieux publics de 2006 et par les images dissuasives apposées sur les paquets dès 2010, rien n'a fait véritablement reculer le commerce du tabac.
En France, la consommation de tabac est en perpétuelle progression. Selon les derniers éléments publiés par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (Ofdt) : « En juin 2015, les ventes de cigarettes ont progressé de 4 % et celles de tabac à rouler de 11 %, par rapport au mois de juin 2014. Sur le premier semestre 2015, les ventes de cigarettes sont en très légère hausse (+0,3 %) alors que celles de tabac à rouler progressent de 6 % par rapport à la même période en 2014. »
Le secteur du tabac profite d'une croissance qui semble faire fi de toutes mesures de prévention, de toutes actions dissuasives à l'encontre des consommateurs. Que Marisol Touraine prône un programme plus musclé, plus offensif en multipliant les directives est très compréhensible mais à vouloir dégainer l'artillerie lourde, la ministre prend le risque de se tromper de cartouches et de tirer à blanc. Il faut dire que la légitimité du paquet neutre est de plus en plus remise en cause par la classe politique, qui doute de son efficacité et dénonce également une disposition contraire au droit.
Législation européenne et droit des marques : les freins du paquet neutre
A vouloir imposer coûte que coûte la mise en place du paquet neutre, la ministre de la Santé s'est risquée à la critique de ses pairs qui n'ont pas manqué de lui rappeler les conséquences que pourraient provoquer une telle mesure. En tête de peloton, le Premier ministre Manuel Valls a demandé à Marisol Touraine « d'entendre les revendications des buralistes », et de redoubler de considération pour cette profession. Un conseil d’ami qui a eu les résultats escomptés du côté du Parti socialiste alors que selon Bruno Leroux, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, désormais « les députés PS sont ‘sensibles’ à la situation des buralistes ». Avec plus de 100 000 personnes employés dans le secteur en France et 31 milliards de chiffre d'affaires réalisés chaque année, les buralistes ne sont pas une partie de la population que le gouvernement Hollande peut négliger, qui plus est à l'approche des élections régionales.
Richard Yung, député socialiste, n'a lui aussi pas hésité à monter au créneau et a déposé en juillet l'amendement contre l'idée du paquet neutre. Son argument majeur ? La défense des marques. « L'instauration du paquet neutre représente un risque de hausse considérable de produits du tabac contrefaits ainsi qu'un risque d'atteinte au droit des marques », assure-t-il. Pour le député, l'idée de paquet générique engendrerait un risque fort d'expropriation de marque. En avril, lors du premier passage du projet de loi à l'Assemblée nationale, le géant du tabac Imperial Tobacco menaçait déjà de porter l'affaire devant la justice, une plainte qui pourrait coûter 20 milliards d'euros à la France. Avec son amendement, le groupe socialiste souhaite transposer la directive européenne, « en rendant neutre 65 % de la surface avant et arrière ». Une position que l'on retrouve aussi dans les rangs de l'opposition puisqu'un amendement du même ordre avait été déposé par Les Républicains.
Frédéric Barbier, député socialiste en charge de l'avenir des buralistes, défend également l'application du droit européen. « Fin septembre, je rendrai mon rapport sur l'avenir des buralistes. Je comprends leurs préoccupations. Et pour que notre politique de lutte contre le tabac soit efficace, je porte l'intime conviction que la réponse doit être pensée de façon globale, et être européenne », a-t-il récemment déclaré dans un communiqué. Une conviction faisant écho à la volonté des buralistes, qui souhaitent s'en tenir uniquement à la directive européenne. Pour le député du Doubs, il faut aider les buralistes, plus que leur mettre des bâtons dans les roues. « Le marché a perdu 20 % en dix ans et perdra encore 10 % d'ici 2020 avec le paquet neutre. Il faut poursuivre la revalorisation de leur rémunération si on veut qu'ils ne ferment plus ».
Le plan anti-tabac présente donc ses limites et si Marisol Touraine ne semble pas vouloir l’abandonner aussi facilement, ses soutiens se font de plus en plus rares. En parallèle, d'aucun déplore une véritable prise de position au niveau de la cigarette électronique, qui convainc de nombreux spécialistes. Lorsqu'on interroge le docteur William Lowenstein, président de SOS addictions, et Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction, sur la pertinence du paquet neutre, ces spécialistes attendent d'évaluer son efficacité, mais reprochent « le fait de glorifier à ce point le paquet neutre et de demeurer toujours aussi frileux vis-à-vis de la cigarette électronique, qui constitue un levier majeur pour lutter contre la consommation de tabac ». Si la lutte de Marisol Touraine contre la consommation de tabac est louable, reste aujourd’hui à espérer qu’elle finira par mieux choisir ses armes.
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