Photographie : Images bidonnées & photomontages
Les photographes du XIX° siècle ont rapidement découvert qu’il était possible de superposer deux plaques photographiques pour les fusionner en une seule image, ou de procéder à une double exposition (surimpression). Le débat entre artistes peintres et photographes apparaît lors de l'exposition universelle de 1855 : « La spécificité de l’art photographique repose sur le fait que le photographe ne saurait se passer des objets qu’il veut reproduire ». Ce qui n'est pas le cas de l'artiste peintre. Le premier-peintre de l’empire, Jacques-Louis David, a travesti la réalité lors de la représentation du « Sacre » dans le seul but de glorifier l’événement. Letizia Bonaparte, la mère de l’empereur y apparaît souriante alors qu’elle avait refusé d’assister à la cérémonie, le cardinal Caprara et l’ambassadeur d’Istanbul étaient absents, et Fouché, le ministre de la Police n’est pas représenté alors qu’il assistait à la cérémonie.
La retouche ou le photomontage est destiné à une modification des clichés : amélioration du contraste, de la luminosité, de la netteté, modifier le cadrage, le rendu des couleurs, créer une ambiance, appliquer un effet, redresser des fuyantes, ajouter et/ ou supprimer un élément, affiner une silhouette, adjoindre un lettrage, etc., afin de transmettre une émotion ou un message. Le photomontage peut être artistique – un « cri » contestataire – une publicité – un faux document – un mensonge d’État – voire servir d’instrument de propagande.
La carte-postale récréative se généralise vers le début du XX° siècle. Elle ne recherche pas une reproduction authentique mais plutôt le pastiche avec une mise en scène du sujet qui désigne immédiatement le photomontage. La personne passe la tête dans la découpe d'un décor photographique qui ne trompe personne. En 1910, le dadaïste allemand Helmut Herzfeld a recours au photomontage pour la couverture d’un livre. La Première Guerre mondiale terminée, les Soviétiques et les Nazis dénoncent la peinture abstraite dans laquelle ils perçoivent un aspect politique et social. Le mouvement dadaïste allait donner naissance au surréalisme dans les années vingt. En 1932, Herzfeld compose un portrait d’Adolphe Hitler à partir d’une radioscopie thoracique, d’une pile de pièces d'or pour la colonne vertébrale et d'un insigne nazi sur la cage thoracique. Herzfeld embarque pour les États-Unis et va angliciser son patronyme. Heartfield va utiliser la photographie comme une arme : « Si je rassemble des documents photographiques et que je les dispose face à face intelligemment et habilement ils exerceront sur les masses un effet énorme de propagande et d’agitation ».
L’art de la retouche est apparu à l’époque durant laquelle les photographes étaient obligés de « nettoyer » leurs plaques afin d’en faire disparaître les défauts, les éraflures, les grains de poussière de la gélatine ou restaurer une plaque brisée. L’utilisation habile d’un scalpel, d’un crayon à la mine de graphite, voire la gouache suffisait pour faire disparaître les défauts et améliorer le portrait en supprimant rides, poches sous les yeux, « satiner » la peau, ou un flou artistique venait estomper les défauts. Sous Staline, le petit père des peuples exige que ceux qui lui déplaisent soient effacés des épreuves avant d’être envoyés à l'imprimerie. Sur les photographies le représentant, aucune trace de la variole n’apparaît alors qu’il avait le visage grêlé comme la surface de la Lune.
Plusieurs paramètres interviennent lorsque l’on regarde une photographie, certains de conduire à une interprétation tendancieuse. La photographie reste une représentation en deux dimensions d’une scène en 3D. Le cadrage, l’angle de prise de vue et la longueur focale restent les moyens les plus simples pour transposer la réalité. Une photographie représentant deux personnes marchant côte à côte peut traduire une réalité fausse qui dépend de l’angle de la prise de vue, un téléobjectif permet de noyer l’arrière-plan dans une zone floue et ainsi occulter un élément d’information utile (endroit, moment de la journée) ou faciliter les raccords lors du photomontage.
Dans les années cinquante, un photographe de mode professionnel demandait à des jeunes femmes de poser pour une marque de maillots de bain en « bikini » confectionné à partir d’un film plastique de couleur bleue en échange de leur press book gratuit. Elles ignoraient que l’éclairage, un filtre (Wratten 87) et le film infra-rouge rendaient le maillot quasi transparent et que les photographies érotiques étaient revendues sous le manteau. L’usage des filtres en N&B permet une transposition des couleurs en différentes nuances de gris. Le filtre permet de foncer sa couleur complémentaire et d'éclaircir celle de sa teinte. Un filtre rouge pourra traduire un ciel d’orage en faisant ressortir les nuages et en assombrissant le ciel. Les films couleur lumière du jour sont équilibrés pour un rendu correct à la lumière du ciel de midi. Les photos prises au lever et au coucher du soleil ou sous une lumière artificielle accusent une dominante colorée qui dépend de la température de couleur de la source d'éclairage.
Au mois d’octobre 1968, les Renseignements Généraux montrent au Premier ministre Georges Pompidou un photomontage qui circule dans les rédactions parisiennes sur lequel on aperçoit Madame Pompidou dispenser une fellation (affaire Markovic) au cours d’une partie fine ! En 1973, le réalisateur André Cayatte, avocat de profession, tourne « Il n’y a pas de fumée sans feu », scénario inspiré d’une histoire bien réelle et pour qu’une photographie ne puisse plus être considérée comme une preuve recevable, un trucage étant toujours possible. Dans le film, la tête d’Annie Girardot a été placée sur le corps dénudé de l'actrice Micheline Boudet. La surimpression consiste à réaliser deux prises de vue sur la même pellicule sans avancer le film, certains appareils possèdent un bouton de débrayage prévu à cet effet. Le photographe peut aussi avoir recours à un demi-cache avec une zone médiane dégradée fixé sur l’objectif qui permet l’exposition de la moitié de la pellicule, et ainsi faire figurer deux sujets sur la même photo alors qu’ils n’étaient pas réunis.
D'autres opérations sont réalisées au « labo ». Le détourage permet de rassembler plusieurs sujets appartenant à des photographies différentes. On découpe les parties retenues pour les disposer dans la composition désirée. La jonction se fait entre les images dans les zones de texture, de densité et contraste identiques en veillant à en respecter les proportions, les perspectives, l’orientation des ombres et des lumières. La scène peut-être fausse, mais rester vraisemblable. Il est toujours souhaitable de travailler sur des images de grandes tailles et d’en faire un cliché en petit format. Si le négatif présente des différences notables d’exposition, il faut procéder à son renforcement ou affaiblissement. Le montage terminé est photographié pour en estomper l'ensemble et délivrer un nouveau négatif sans traces de montage (Le Transcryl permet le transfert d’une image imprimée sur papier et photographiée pour dissimuler le repiquage). Le maquillage se pratique lors du tirage à l’agrandisseur. Il consiste à modifier l’exposition d’une zone pour obtenir la densité désirée et à masquer ou faire ressortir certaines parties exposées. Le tireur retient une partie de la lumière avec un cache découpé selon la forme souhaitée et fixé à l’extrémité d’un fil de fer qu’il agite en permanence pour estomper son intervention.
Si des photographes réalisent des images fantaisistes, voire utopiques, qui ne trompent personne, des photo-reporters abusent et mystifient leurs lecteurs. Janvier 1990, des images de presse montrent une quarantaine de victimes des massacres de Timisoara (Roumanie) du 17 décembre 1989 ; des journalistes de préciser « On a parlé de benne à ordures transportant d’innombrables cadavres vers des endroits secrets pour y être enterrés ou brûlés. (…) Comment connaître le nombre de morts ? Les chauffeurs de camions qui transportaient des mètres cubes de corps d’hommes abattus d’une balle dans la nuque par la police secrète pour éliminer tout témoin ». Roland Dumas, in petto : « On ne peut assister en spectateur à un tel massacre » et l’OTAN de déclarer unilatéralement une intervention militaire en Serbie au nom du droit d’ingérence à partir d’images invérifiées, des journalistes n’avançaient-ils pas le chiffre de 70.000 morts ! Il s’agissait d’une mise en scène macabre, les soit disant victimes des atrocités serbes avaient été exhumées du cimetière des pauvres pour berner les reporters, leur rédaction et le lectorat ! Approche échotière qui rappelle le Massacre des Dominicains d’Arceuil le 25 mai 1871 rue d’Italie à Paris, une « peinture-photographique » représentant des communards assassiner des Catholiques.
Les logiciels de retouche d’images allaient permettre la retouche et la falsification à portée de clics à condition de maitriser la colorimétrie et la lumière. Le logiciel Photoshop 1.0 sort au mois de février 1990 suivi quatre années plus tard de la version 3.0 qui intègre la gestion des calques. Les outils du « compositing » et du photomontage (Photoshop, Gimp, Blender, Illustrator) rendus accessibles à un large public allaient contribuer à tourner le politique en ridicule et remplacer les affiches sérigraphiées des étudiants des Beaux-Arts. La publicité va sublimer les corps (mannequinat, chirurgie esthétique, diététique photos : « avant-après ») pour mieux berner les clientes potentielles qui ne demandent qu’à y croire. Des escrocs n'ont pas hésité à embellir la photo d’une tapisserie vendue sur un site en ligne afin de tromper l’acheteur. La police scientifique utilise des logiciels (Tungstène, Forensically) qui repèrent les parties suspectes ou falsifiées (clonées, artefacts).
En 2007, Paris-Match « Le poids des mots, le choc des photos » publie une photo de Nicolas Sarkozy dont les poignées d’amour ont été gommées. Juin 2008, le Figaro fait sa une avec une photo de Rachida Dati, sa bague, un diamant de plusieurs carats a été supprimée. En 2012, une affiche détourne le slogan une « France Forte » par « France Morte » avec en arrière plan le naufrage d’un navire. Mars 2014 un montage juxtapose la photo d’une guenon légendée « bébé à 18 mois » à côté d’une photo de Taubira. Août 2019, le député Eric Woerth poste une photo le montrant en train de gravir le glacier de l'Aiguille d’Argentière dans les Alpes. Des Internautes crient à la supercherie et pointent des détails qui semblent incohérents, la vraie-fausse photo. Au mois de janvier 2020, un Internaute publie sur Twitter un photomontage représentant le président E. Macron en dictateur chilien, E Philippe et C. Castaner en généraux de Pinochet. La photo originale prise par Gerretsen (prix Robert Capa médaillé d’or) en 1973 a été largement réutilisée et détournée. Le 10 mai 2020, Philippe Petit publie une affiche représentant Laurent Berger et Murielle Pénicaud, ministre du Travail, en tenue sadomasochiste ! Autant de montages repris par certains médias pour créer le buzz du moment. « le journal télévisé est un show dont l’information n’est qu’un prétexte » G de Caunes.
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