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Accueil du site > Tribune Libre > Pierre Cot et Jean Moulin contre le général Franco

Pierre Cot et Jean Moulin contre le général Franco

Évidemment, en France la Résistance active n’aura été, dans la population générale, qu’un phénomène extrêmement minoritaire. Et la collaboration active avec les nazis, plus minoritaire encore. Ce qui n’a pas empêché celles et ceux qui en avaient la possibilité, de faire leurs petites affaires au milieu d’une pénurie de tous les instants. Mais, en raison de l’existence du gouvernement de Vichy et de ses relais parisiens, et en raison de la proposition répétée par Pétain, Laval, Déat et quelques autres, de collaboration avec l’Allemand sur la base d’une politique d’État, il y avait aussi un net intérêt, pour la haute administration et pour les entreprises les plus importantes, à se désolidariser de l’ensemble de la population, et à faire jouer à plein un rapport de classe nettement en défaveur de celles et de ceux qui n’avaient que leur travail pour vivre.

En réalité, cet état de fait apparemment exceptionnel n’était qu’une accentuation de la situation ordinaire d’un pays où règne l’exploitation capitaliste.

Mais quelle figure tout cela allait‒il prendre à la Libération ? S’agirait‒il de retrouver la dynamique d’un Front populaire dont il faut dire aussitôt qu’il n’avait rien eu de révolutionnaire, s’il faut voir, dans la révolution, un bouleversement qui modifie le statut de la propriété ?

Qu’en pensait le parti communiste lui‒même ? Rien de très précis, c’est le moins que l’on puisse dire. Ainsi, manifestement, pour les possédants, il n’y avait aucune crainte à avoir. J’y reviendrai à un moment ou à un autre.

Mais, Jean Moulin  ?... Pourquoi avoir voulu imposer, dès 1943, à Charles de Gaulle, la souveraineté du Conseil de la Résistance ?

N’oublions pas qu’en 1936, au ministère de l’Air du Front populaire, Jean Moulin avait été le principal organisateur des transferts d’armes et d’avions à destination du Frente popular occupé, en Espagne, à défendre la république dans la guerre civile menée par le général Franco.

Comme j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de l’écrire, la réponse se trouve dans l’ouvrage publié par Pierre Cot en 1944 : Le Procès de la République.

Il faut tout d’abord revenir sur le potentiel que celui‒ci voyait dans le peuple de France et qu’il déniait aux ministres du Front populaire, lui‒même y compris. Ainsi rappelle‒t‒il comment le peuple de France avait répondu à la politique de non‒intervention finalement décidée par Léon Blum  :
« La volonté du peuple se traduisit de la plus émouvante façon : des milliers de jeunes gens passèrent la frontière pour aller se battre contre le fascisme ; l’esprit des volontaires de la Révolution française vibrait dans ces jeunes héros. Mais les masses françaises furent découragées et démoralisées par la politique de non‒intervention. » (Michel J. Cuny ‒ Françoise Petitdemange, Fallait‒il laisser mourir Jean Moulin ?, page 194)

Et si Jean Moulin et Pierre Cot ont dû agir dans la clandestinité pour aider la république espagnole assaillie par les généraux putschistes, ce n’était certes pas pour établir plus tard, sur la France, le règne d’un De Gaulle. D’où leur décision d’organiser un Conseil de la Résistance souverain parce que représentatif d’une volonté populaire de libération politique et économique.

Bien plus proche de Lénine qu’aucun des responsables du parti communiste français, Pierre Cot savait le poids du schéma institutionnel sur l’expression des volontés politiques de tout un peuple, et avait donc à l’esprit la nécessité d’y porter remède, sauf à tout perdre, comme cela s’était produit dès 1938 :
« Le Gouvernement de Front Populaire, dont le bon vouloir n’était pas contestable, donna l’impression d’être impuissant, soumis aux influences des conservateurs britanniques, manœuvré par les pires éléments d’une bourgeoisie française dont le peuple demeuré sain voyait déjà la décadence et la décomposition. Les masses populaires comprirent que le système de gouvernement était mauvais et que la Troisième République Française avait atteint ce point de développement où la contradiction éclate entre le principe démocratique et le principe capitaliste. » (page 202)

La même pantalonnade allait‒elle se reproduire à la Libération ? C’est ce que Pierre Cot ne peut que redouter. Certainement, tout allait, cette fois encore, reposer sur la question de savoir quel schéma institutionnel développer pour permettre au peuple de France de prendre enfin son sort en main, en poussant son rôle jusqu’à l’exercice direct d’une souveraineté qui lui va mieux qu’à n’importe quel chef politique, y compris ceux de 1936, ainsi que Pierre Cot le reconnaît :
« Les dirigeants du Front Populaire agirent comme ces généraux qui ne savent pas exploiter le succès de leurs troupes, parce qu’ils n’avaient pas prévu que l’ardeur de ces troupes leur permettrait de pénétrer aussi profondément dans les lignes ennemies. En juin 1936, les chefs du Front Populaire étaient dépassés par leurs troupes. En écrivant ces lignes, je n’oublie pas que je fus un de ces chefs, et je prends ma part du reproche collectif que j’adresse aux Cabinets dont je fis partie. La seule question qui se pose aujourd’hui est de savoir si nous avons compris, les uns et les autres, la leçon des événements. » (pages 211‒212)

Sans quoi, ce processus se reproduirait à sa façon, d’un Pierre Cot et d’un Jean Moulin coupés des volontés populaires, et abandonnés, dès 1936, au beau milieu d’une non‒intervention officielle de la France en présence de ce Franco qui aura été le dernier homme politique dûment salué par Charles de Gaulle qui lui rendrait visite, à Madrid, le 8 juin 1970…


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