Placer la raison en haut
Le problème c'est ce qui s'est intercalé entre la raison et les moyens.
Il faut que l'argent soit créé en fonction de raisons réelles, mesurées et évaluées entre elles, jamais pour satisfaire des mécanismes intermédiaires.
L'école occidentale de la raison s'est trouvée pervertie par la prédominance du besoin, vital et morbide, de tout commercialiser. La raison est devenue un exercice tourné contre le bon sens, une argumentation de plus en plus énergique et fatidique utilisée pour entrer en rivalité et faire taire les velléités humanistes et altruistes.
Pourtant, tant qu'on n'est plus capable de s'émouvoir, l'intelligence ne peut plus germer sur un bon sol, et il en découle une sorte de frénésie psychotique, où on observe des tentatives forcenées de rendre plus autoritaires les arguments rationnels opposés à la psychoaffectivité.
Il se produit bien souvent que la raison intercède avec l'intuition, où se réfugie l'altruisme et l'amour. C'est la société du commerce qui a produit cela, de par son mécanisme elle oblige les gens qui ont pour obligation vitale de s'en sortir de faire abstraction de ce qui est éthique et moral, termes qui sont présentés comme une discipline philosophique ludique réservée à quelques charitables penseurs, dont la pensée reste sans effet, à part pour se divertir un moment, avant de devoir reprendre une activité « normale ».
J'essaie peut-être de comprendre le phénomène de déni que le bon penseur Jacques Richaud arrive à décortiquer en observant l'étendue de la psychopathologie que renferme le fait de « pisser sur des cadavres » (1).
Surtout j'ai observé qu'au lieu de parler de déni il faut parler d'incapacité à voir, de cécité mentale, due précisément à une carapace défensive pseudo-critique permettant de se protéger contre les intrusions d'idées-virus, qui sont puissants et nombreux, et qui « par-dessus le marché », génèrent eux-même cette carapace défensive afin de germer, et faire tomber le psyché dans la démence.
La capacité à s'émouvoir est celle de mémoriser et mettre en relation l'observé avec ce qui est connu et enfoui. C'est une question de souplesse et de fluidité de l'esprit, que d'être capable d'aller chercher loin en soi la signification de ce qu'on observe. Qu'un être aimé dise une vérité ou qu'elle sorte de la bouche d'un tortionnaire ne lui confère pas du tout la même signification. Sans cette capacité à se laisser envahir par l'observé, toute un pan de la réalité n'est carrément pas vu. Et cette capacité dépend de la confiance qu'on peut avoir ensuite à s'en débarrasser grâce à un esprit critique puissant et juste. Plus il est juste, précis, et plus il est puissant, et inversement moins il est entraîné, plus il est grossier, et finalement produit l'effet de refuser l'ingestion de l'observé.
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La rationalité occidentale dont je parle peut se définir par un jeu d'opposition entre l'intelligence et la culture. Pour les habitants de la société de consommation, la raison est une somme d'arguments qui poussent à consommer, et la rationalité c'est, dans cet environnement, une déduction logique qui pousse à trouver de l'argent à tout prix. On peut le voir depuis que la crise économique est devenue le principal sujet de conversation des occidentaux, toutes les discussions tournent de façon psychotique autour de la question de savoir comment trouver de l'argent. C'est tout ce qui les intéresse, le reste, c'est à dire l'ensemble des questions qui se posaient avant la crise économique, est oublié.
Il se passe que la culture prend le pas sur l'intelligence et que, tel que leur instruction scolaire les a formaté, pour eux culture = intelligence, pas de culture = pas d'intelligence. Etant privés d'intelligence, chose qui consiste à combiner et créer du nouveau, qui ensuite devrait normalement être reçu et facilement accepté comme une « bonne idée », la seule rationalité qui reste est celle qui consiste à être logique avec la culture. Pour eux une bonne idée est quelque chose de déjà entendu dix mille fois, à laquelle ils viennent seulement de faire attention, qu'ils ont eu le temps de voir arriver, et qu'ils sont devenus capables d'accepter, puisque d'autres le font aussi.
De façon diamétralement opposée, il y a les gens « intelligents sans culture ». Et ce qui se passe dans le cadre du passage d'une époque à l'autre est le transfert d'amour qu'on peut avoir pour les premiers (cultivés et inintelligents) vers les seconds, autodidactes, avec l'esprit clair, capables de recevoir l'information, de s'instruire rapidement, de s'adapter logiquement, et de faire preuve d'un esprit logique, capable d'assembler et combiner, bricoler, et innover, découvrir.
Ce n'est pas si facile de bricoler, ça demande une certaine capacité à s'affranchir de ce qu'on connaît et de ce qu'on croit. En programmation, j'ai constaté le temps qu'il avait fallu pour oublier les premiers enseignements, qui servaient à démarrer dans cet art, avant de devenir capable de contredire cette culture scolaire et commettant des raccourcis qui auraient pourtant été déconseillés au début, en raison de ce qu'ils ne sont pas didactiques. Le bricolage, c'est toujours ça, ça consiste à sauter par-dessus un ravin dont les voituriers disent que c'est impossible, qu'il faut trouver un autre chemin.
Il y a un charmant auteur dont la fraîcheur est parlante de toute cette génération d'internautes, qui considèrent la culture comme une chose extérieure à eux-même, dont ils sont les visiteurs et les utilisateurs, plutôt que les détenteurs (2).
Et c'est avec le plus grand bonheur du monde qu'on voit comment cet esprit autodidacte, non cultivé mais intelligent, est rapidement capable d'aller beaucoup plus loin que les limites imposées par une culture considérée comme intelligente, peut être mit en pratique, dans l'Université des va-nu-pieds (3) - à voir absolument. Tous les esprits scientifiques, traditionnellement en bute contre un dogmatisme impitoyablement débile, doivent être ravis d'obtenir une fois de plus la preuve que la culture est quelque chose qui se crée, non quelque chose qui se conserve, se défend, et souvent elle se défend en usant d'un rationalisme blindé d'arguments retenus par coeur, qui ne s'encombrent même pas du besoin d'être logiques les uns avec les autres.
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Maintenant j'en arrive au système, le truc, la mécanique qui régit la vie des gens, ou tout du moins qui est sensée rendre logique l'activité que les gens désirent avoir, pour peu que leur désir soit motivé par autre chose que de gagner de l'argent.
J'ai exposé environ cinq cent idées novatrices et fraîchement créées, qui fonctionnent toutes ensemble, craignant qu'en les exposant une à une, on ne cesse de s'y opposer en raison de la logique. Mais au final il y en a une qui mérite d'être exposée toute seule, sur un trône, indépendamment de toute la mécanique qui a été pensée et étudiée avec soin pour la rendre faisable dans la pratique, c'est à dire en laissant le lecteur-visiteur libre de trouver lui-même d'autres rampes d'accès à cette recommandation de première importance.
Il s'agit de placer la raison en haut.
Mais avant d'expliquer cette idée, observons le cheminement qui conduit nos joyeux penseurs économiques - qui économisent leur pensée de façon à entrer dans le cadre étroit du système injuste, mais dont il faut saluer les tentatives de vouloir s'en dégager - qui émettent des observations aussi abruptes que indubitables.
On peut en citer des centaines, au hasard, tien celui-là : « Quel remède à la crise démocratique européenne ? », ma réponse : Le soulèvement ou la table rase par l'effondrement financier. », nous dit Frédéric Lordon, qui est parmi les plus crédibles. J'aime beaucoup l'idée de la table rase, qui d'ailleurs ne peut être consécutif qu'à un soulèvement en masse, puisque les grandes instances ne sont capables d'agir qu'en étant forcées à le faire, au lieu de conférer à l'intelligence le soin de profiter de cette liberté.
Je trouve que c'est encore très insuffisant comme analyse, que d'opposer démocratie et économie, qui sont des vocables vaporeux, et malgré cela, sont présentés comme des enseignes publicitaire en néon (avec une lettre qui clignote). Souvent les meilleurs analystes sont les moins bons créatifs. Cela arrive tout le temps, comme on dit, il y a les chercheurs, qui cherchent et ne trouvent jamais, même s'ils sont brillants et motivants, et il y a les trouveurs, qui mettent 0,00028 seconde à trouver des solutions magistrales, et qui ne savent ni quoi en faire ni comment les expliquer. C'est rare que les deux coïncident ou s'entendent, et ne s'accordent mutuellement la moindre crédibilité, parce qu'on ne trouve que ce qu'on mérite de trouver, c'est à dire ce qu'on cherche au niveau subconscient, c'est pourquoi le niveau psychoaffectif est si important dans la démarche qui consiste à « trouver ».
On peut aussi observer l'élan de l'Amérique du Sud (5) dont l'esprit critique a été affûté par un impérialisme sauvage et prédateur, qui, sans pour autant remettre en cause des règles qui se sont introduites dans leur culture, cherchent toutefois à se dégager de l'injustice en inaugurant un nouvel embranchement historique, que les sociétés occidentales ont volontairement négligé, continuant leur chemin contre toute raison, dont pourtant ils se considèrent détenteurs exclusifs, vers une situation promise à être catastrophique et criminogène.
Et enfin je vous conseille cet article (6), dernière marche avant d'arriver à ma « trouvaille », qui est intéressant dans la mesure où des faits concrets viennent s'opposer à des pratiques qualifiables de rituéliques, qui sont l'apanage du capitalisme, et où « la raison » s'oppose à « des » raisons.
L'idée c'est que les principes ne sont justifiables qu'en mesure des effets qu'ils produisent, et non pour eux-même ou la joie de se positionner en défenseur de dogmes qui souvent, appartiennent à une autre époque (et donc une autre civilisation).
L'idée c'est que la démocratie est l'art de surveiller ces enfants ingrats et dégénérés que sont les politiciens en leur tapant sur les doigts au moyen d'un vote, afin de leur faire comprendre ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas, étant donné qu'eux-mêmes sont parfaitement incapables, selon toute vraisemblance, de s'en rendre compte, c'est à dire de faire leur travail correctement, c'est à dire de penser de façon globale.
Penser de façon globale c'est être capable de prendre en compte un grand nombre de facteurs au moment d'une réflexion, et en mesure de prévoir mentalement, sans attendre de le constater, les conséquences d'un choix, et partant de là de faire peser ces tendances antagoniques et de préférer les solutions les plus éthiques, à petite comme à grande échelle. C'est un exercice de philosophe et de penseur, très soigneux et méticuleux, et surtout très craintif face à l'erreur ou à l'oubli de facteurs qui n'auraient pas été pris assez en considération.
C'est un job que tout programmeur est exercé à faire, puisque chaque évolution dans un système peut avoir un impact redoutable (il faut penser à des dizaines voire des centaines d'effets que peut avoir la moindre modification - le nombre de bugs étant factoriel de la complexité).
Et ensuite, quand les effets apparaissent, on est sensés être très attentifs et être capable, comme tout bricoleur, de cerner l'origine de ces effets inattendus et ne jamais hésiter à tout repenser si jamais on a en réserve des idées qui sont restées inexplorées ou qui demandent encore à être découvertes.
Aucun bricoleur au monde n'attend de sa machine qu'elle se mette à fonctionner sur la seule foi des principes qui sont à l'origine de sa construction.
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L'art qui consiste à placer la raison en haut de l'échelle des motifs qui rendent logique et donc faisables les activités que les humains désirent avoir dans un esprit participatif et désintéressé... est le noyau d'un système qui fonctionne (correctement).
Je veux dire, pour en revenir aux mécanismes de déni dont je parlais au début, qu'on a beau constater que les trains se mettent à dérailler dès lors que le profit est la motivation principale pour les faire circuler, on a beau assister à des génocides, l'accaparement et la destruction de richesses naturelles, l'avarice hissée comme summum de la rationalité économique, la mise en esclavage de peuples à qui on confisque tout espoir et toute envie de « bien faire » (puisque cette envie de bien faire ne profitera jamais aux gens, seulement aux banquiers), on a beau assister à un véritable cataclysme économique, social, culturel, détruisant les liens qui font ce qu'est une société et attisant ainsi la haine et la guerre, tous ces faits, tous ces constats, toutes ces raisons restent toujours insuffisantes face aux raisons rituéliques, culturelles et dogmatiques du principe du commerce.
Il ne s'agit pas tant de placer la pratique du commerce en-dessous des vraies raisons qui poussent à agir, que de placer ces raisons, palpables, vérifiables, indubitables, elles mêmes comme déclencheur de l'activité humaine.
Si ensuite, dans la pratique, ça consiste à faire que l'argent soit créé en mesure de la raison, évaluée avec des systèmes sophistiqués pour estimer et comparer les facteurs dont elle est faite, c'est secondaire. Ce qui compte c'est que la raison, qui nait des constats, soit à l'origine, au centre, et le noyau du système social humain.
Directement, et non par l'entremise d'un principe du commerce sensé produire cet effet, alors pourtant que ça n'a jamais marché.
(1) Pisser sur des cadavres... par Jaques Richaud : philum.info
(2) Nous les enfants du Web, par Piotr Czerski : philum.info
(3) Bunker Roy : Apprendre d'un mouvement va-nu-pied : philum.info
(4) « Leur dette, notre démocratie... » Frédéric Lordon : philum.info
(5) « Nous avons sauvé les gens plutôt que les banques », Gérard Thomas : philum.info
(6) Le « bénéfice social » est aussi une valeur économique. : philum.info
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