Plus tard, je veux être bouquetin !
Parfois, j'me dis : "ras-le-bol d'être humain, j'voudrais tellement être bouquetin"... encore qu'on serait bien fichu de fusiller !
Malgré l’avis défavorable du Conseil National de Protection de la Nature, l’Etat, atteint d’une regrettable psychose sanitaire, tue des bouquetins par dizaines (plus d'informations : là et là). Une pétition a été lancée, et a déjà récolté plus de 10.000 signatures. Ce massacre m’est insupportable, et je tiens à exprimer ce que ces animaux protégés représentent à mes yeux. Il y a quelques années, séparé d’eux, j’écrivais :
« Mélancolique sur mon lit albanais, je songe aux bouquetins. Je voudrais tant les revoir.
Ce sont eux qui ont raison. Dès que j’en approche, ne sachant trop pourquoi, je ne peux plus les quitter des yeux ; je suis comme envoûté par leur splendeur métaphysique. Quelle vie impeccable : ne passant pas leur temps à courir après des désirs furtifs, rien ne leur manque. Ils se posent simplement sur les crêtes. Calmes et immobiles, « trônant dans l’azur comme des sphinx incompris », ils regardent le paysage, et n’interrompent leur contemplation que pour brouter ; puis, une fois l’herbe en bouche, tout en la mâchant mollement, ils reprennent leur posture de statue fixant l’horizon, et se replongent dans le cours de leur méditation. Ils mangent peu, dépensent peu, ne se remplissent le ventre que pour admirer la beauté du monde : le sublime leur suffit.
Au cours de l’évolution, s’assurant ainsi, avec plus ou moins d’efficacité, sa perpétuation, chaque espèce a développé sa méthode pour lutter contre la prédation. Millénaire après millénaire, la tortue a perfectionné sa carapace, le lapin son terrier, le loup sa mâchoire, le caméléon son camouflage, l’homme son intelligence pragmatique, ses outils, ses armes. Le bouquetin, lui, sans se fatiguer, s’est contenté de grimper au-dessus du reste de la faune. Loin de tous les prédateurs, il a appris à monter sur les rochers, puis s’est installé sur les cimes.
Par-delà le domaine de la loi du plus fort, il n’a pas eu à développer le réflexe de fuite, de sorte qu’il ne sait qu’être doux et paisible. Rien ne le menace, rien ne l’énerve.
« Etre riche, c’est se suffire à soi-même » disait Diogène. Qui, de l’humain ou du bouquetin, est le plus fortuné ? Occasionnellement, nous nous battons pour quelque chose de grand, l’atteignons parfois, puis, vite lassés, nous nous dépêchons de passer à autre chose. Toujours pressés, jamais satisfaits. L’homme est un animal qui s’agite dans tous les sens, qui s’invente des impératifs, qui se fait du souci pour un oui, pour un non…
Une fois, face à des bouquetins, quelqu’un m’a froissé en me disant : « Ce qu’ils ont le regard vide, ces bestiaux ! » Quelle inattention ! Oui, dans leur regard, il n’y a pas toutes ces futilités qui nous hantent, nous autres êtres humains ; cependant, je n’appelle pas cela avoir le regard vide, mais, au contraire, avoir le regard plein de sagesse. Si tout le monde vivait comme les bouquetins, il n’y aurait jamais eu la moindre guerre, pas de rideau de fer, pas d’arme nucléaire… On serait tous peinards à mâchouiller de l’herbe en contemplant de lointains horizons. Irréductible à un simple bestiau, le bouquetin est un animal sacré qui porte en lui une paix perpétuelle.
Plus tard, je veux être bouquetin. »
Voilà, ce qu’à mes yeux les bouquetins représentent. Voilà, ce qu’à mes yeux l’Etat détruit. Voilà pourquoi j’ai signé cette pétition :
http://avaaz.org/fr/petition/Petition_Stop_a_labattage_des_bouquetins_du_Bargy
Texte et photos : Matthieu Stelvio. Sur Le Bruit du Vent, on ne lâche rien : http://lebruitduvent.overblog.com/
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