Politique de lutte contre les addictions : l’insoutenable légèreté de l’indécision
En matière de drogue, la France a bien du mal à adopter une ligne de conduite claire. C’est qu’elle est partagée entre la loi du 31 décembre 1970, essentiellement répressive pour l’usage et le trafic de stupéfiants, et les avancées qui ont lieu en coulisse pour prévenir les risques, dans une approche plus pragmatique. Pour faire court, la loi se surimpose aux réalités du terrain. Dépassée, elle est rapidement devenue contreproductive. Il est temps de se mettre d’accord sur la politique à adopter et laisser un peu plus de place à la prévention.
Le deux poids deux mesures des autorités de santé publique
La loi de 1970 ne convient en effet plus guère en l’état. Elle condamne sans prendre en compte l’hétérogénéité des stupéfiants et des consommations. Un usager de drogue risque un an d’emprisonnement et une amende de 3750 euros, et ce peu importe la quantité de drogue saisie. Il risque même de se voir frappé d’interdictions professionnelles, et ces dernières concernent notamment la fonction publique (en particulier l’éducation nationale), les commerçants, la banque et l’assurance, les agents immobiliers et les agents de voyages ou l’édition de livres et de journaux destinés à la jeunesse.
Les professionnels de santé, les médecins et les pharmaciens qui prescrivent des traitements de substitutions aux opiacés sont pour leur part soumis à de plus en plus de condamnations. La dernière affaire de trafic de stupéfiants impliquant un professionnel de santé remonte à novembre 2013. Un pharmacien a été mis en examen à Annecy pour falsification volontaire d’ordonnances et vente de médicaments sans avis de médecins à des toxicomanes qui en faisaient le trafic.
Le Skenan, puissant antalgique contre les douleurs persistantes intenses ou rebelles aux autres analgésiques, en particulier douleurs d’origine cancéreuse, est l’un de ces médicaments au cœur de trafic médicamenteux. En théorie délivrée sur ordonnance, il l’est en réalité grâce à l’utilisation frauduleuse de cartes vitales et la complicité de certains médecins. Les toxicomanes qui l’essayent une fois sont condamnés à devoir se l’injecter régulièrement par la suite, non plus pour se défoncer, mais pour apaiser la douleur provoquée par le manque. Une réalité ignorée, pourtant tout aussi inquiétante et dévastatrice que la toxicomanie en tant que telle et qui amène à considérer la nécessité de soumettre les traitements à davantage de régulations. Il n’y a qu’en restreignant cette trop grande liberté de prescription que le trafic aura effectivement des chances de diminuer.
Autre fait sous-estimé, les médicaments délivrés sans ordonnances que les Français ingèrent, mais dont ils ignorent les conditions de consommation et les propriétés addictives. Une étude officielle menée par une équipe de cinq pharmacologues et épidémiologistes français s’est intéressée pour la première fois à ce sujet. Elle révèle que toute une gamme de médicaments a des propriétés psychoactives peut conduire à une forme d’addiction s’ils sont consommés au-delà de la durée réglementaire. C’est le « deux poids deux mesures » des autorités de santé publique.
Évolution des produits et des usages : la loi ne suit plus
La loi méconnaît en outre les évolutions des produits et des usages alors qu’elles sont significatives depuis 40 ans. Le dernier état des lieux de l’Observatoire des drogues et des toxicomanies (OFDT) est très révélateur de l’inadéquation existante entre la position des autorités de santé publique et la réalité de la toxicomanie en France. L’expérimentation de l’héroïne progresse au sein de l’hexagone et il n’est plus seulement question d’injection, mais d’une multiplication de pratiques telles que la chasse au dragon ou la consommation en snif. Les drogues dites récréatives (MDMA, ecstasy, amphétamines) ont vu leur disponibilité s’accroître du fait de leur vente sous différentes formes (en comprimé, en poudre, en cristal). Le cannabis est plus dosé qu’avant, la consommation de la cocaïne s’est banalisée.
Soigner ou punir, il faut choisir
Réprimer apparaît donc comme une solution non seulement hypocrite, mais aussi nettement insuffisante. Pourtant, une approche modernisée de la prévention s’est mise en place dès 1987, mais elle entrait en conflit avec la législation. En 1987 en effet, la vente libre des seringues est pérennisée par la ministre de la Santé de l’époque, Mme Barzach. 8 ans plus tard, les autorités autorisent les associations à délivrer gratuitement des trousses de prévention contenant seringues, ampoules d’eau, tampon et préservatifs. Depuis, absolument rien de neuf en la matière. Le statu quo règne et les autorités publiques se contentent de subventionner des associations douteuses.
En 1992 nait ASUD (Auto-Support des Usagers de Drogues). Sous prétexte de promouvoir la réduction des risques auprès des usagers et ex-usagers de drogues, cette association rend disponibles en ligne tous les moyens possibles et imaginables pour se mettre la tête à l’envers. Le fait qu’elle soit officiellement agréée comme association de patients par le ministère de la Santé est encore la preuve que la France ne sait décidément pas comment se positionner en termes de prévention, confondant parfois véritablement accompagnement médical et encouragement opérationnel à la toxicomanie.
Il faudrait savoir ce que l’on privilégie : la répression ou la prévention, la punition ou les soins ? Pourquoi adopter la loi de 1987 si c’est pour interdire en 2013 l’ouverture d’une salle de shoot pour sécuriser les pratiques des toxicomanes ? Tout cela manque de cohérence.
D’autant qu’en matière de politique de réduction des risques, l’opinion des Français évolue vers davantage de prise en charge. Ils sont désormais 83 % à être d’accord avec le principe de base de cette politique mise en action dans les années 1990, qui est d’« informer les consommateurs de drogues sur la façon la moins dangereuse de les consommer afin de diminuer les risques pour la santé ». Ils n’étaient que 70 % en 2008.
En dehors de toute visée comptable, diminuer les risques, ce serait aussi diminuer les coûts d’une sécurité sociale exsangue à qui les drogues coûtent 1,5 milliard d’euros à l’assurance maladie (2010).
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