Pour un monde gastronomiquement meilleur
Une petite initiative de soutien aux peuples de Chine, dont les Tibétains : se rendre dans un restaurant tibétain le 8 août 2008, de préférence à 8 h 08 (du soir).
La situation des droits de l’homme en Chine est mauvaise, c’est un fait. L’opération de prestige de la République populaire de Chine constituée par les jeux Olympiques de Pékin 2008 (dont je possède une casquette promotionnelle datant de mon voyage dans ce pays) est certes une occasion tentante d’effectuer des pressions en faveur des droits de l’homme. Il convient cependant de ne pas être contre-productif par fierté mal placée : ce n’est pas en fâchant la Chine qu’on fera avancer quoi que ce soit. Le rapport de force peut certes être pertinent avec Monaco, mais pas avec la super-puissance en devenir et très ombrageuse qu’est la Chine.
La situation au Tibet est symbolique des difficultés de la Chine moderne. Mais le Tibet est autant chinois que la Bretagne est française. Cette province n’a jamais été véritablement indépendante depuis d’innombrables siècles, même si la décadence de l’Etat en Chine de la fin du XIXe siècle à la prise du pouvoir par les communistes a permis au Tibet d’être, dans les faits, quasiment indépendant, comme le Somaliland peut l’être de la Somalie aujourd’hui, et malgré un pouvoir local monarchique et féodal soumis à l’empereur de Pékin.
Nul ne conteste - même dans les organes centraux du Parti communiste chinois - que la Chine est diverse, constituée de multiples peuples, la plupart bénéficiant du régime très particulier de "minorités ethniques". Une province "autonome" doit ainsi obligatoirement être dirigée par un représentant de la minorité ethnique majoritaire sur place. C’est le cas notamment du Tibet. Il est donc faux de dire que le peuple tibétain est nié par le gouvernement chinois ou l’objet d’un génocide, même culturel. Bien entendu, cette mesure ne suffit pas à assurer une bonne prise en compte des droits culturels particuliers ou des coutumes particulières de telle ou telle ethnie. L’abolition de certaines coutumes, jugées barbares ou rétrogrades, peut être volontaire même si c’est mal vécu sur place (par exemple, la polygamie chez les musulmans chinois).
Par ailleurs, il faut être conscient que beaucoup de difficultés "locales" en Chine sont directement liées à la malédiction que connaît la Chine depuis des millénaires : la corruption des caciques locaux. Il est difficile de savoir combien d’émeutes paysannes ont eu lieu récemment, mais il semblerait que le phénomène soit en croissance forte, certains caciques locaux expropriant de petits propriétaires pour spéculer sur leurs terres. Tant que la Chine ne connaîtra pas une véritable démocratie locale, transparente, je pense que le phénomène ne cessera pas, même si les autorités centrales veillent à faire savoir aussi bien en interne qu’au monde entier que les corrompus condamnés sont exécutés publiquement.
En Occident, il est de bon ton de bien aimer le Dalaï-Lama et de considérer qu’il est le "gentil" face à la "méchante" Chine. Vous me permettrez de nuancer cette caricature. Même si le Dalaï-Lama actuel est un homme affable, probablement sympathique et en tout cas très bon client des médias, il faut se souvenir qu’il est une sorte de "pape" local, successeur d’une dynastie de tyrans religieux ayant exercé une autorité monarchique absolue sur une population maintenue dans la pauvreté et l’ignorance au nom de la religion. Ladite religion n’a pas grand-chose à voir avec le "bouddhisme" au sens où on l’entend souvent en Occident : il s’agit d’un syncrétisme entre le chamanisme traditionnel du Tibet et un bouddhisme très spécial dit du "Grand Véhicule", considéré comme hérétique par la plus grande partie des bouddhistes. Dans le Grand Véhicule, on ne peut atteindre le véritable Nirvana que collectivement. Les "illuminés" continuent donc de se réincarner pour guider les humains moins avancés, ce qui est fort pratique pour maintenir une monarchie absolue de "droit divin sans dieu".
Les communistes chinois ont à peu près autant de sympathie pour le système monarchiste, théocratique et monarchiste tibétain que les Radicaux et les Francs-Maçons peuvent en avoir pour l’Eglise catholique. A ma connaissance, nul n’a jamais songé à accuser les Radicaux et les Francs-Maçons de génocide à l’égard des Bretons, des Vendéens ou de quelques autres habitants de provinces très papistes par tradition. A l’inverse, la Vendée se souvient bien de la période révolutionnaire des années 1790. L’histoire récente de la Chine et du Tibet doit être vue à la lumière de ce qui a été vécu chez nous dans des conditions similaires.
La Révolution culturelle a été sans doute particulièrement sévère au Tibet comme notre Révolution a été peu tendre envers les Vendéens. Comme toujours, les excès sont contre-productifs et les Tibétains se sont soudés autour du Dalaï-Lama pour résister à la répression, comme les Polonais se sont soudés autour de l’Eglise catholique pour lutter contre les Soviétiques. Aujourd’hui, en Pologne, les églises se vident... Les problèmes actuels du Tibet ne sont ni pires ni moindres que ceux du reste de la Chine : manque de démocratie, manque de transparence judiciaire (d’où un manque justifié de confiance dans la justice par le peuple), corruption des caciques locaux, volonté claire du gouvernement central d’unifier le peuple chinois en multipliant les migrations internes (donc les implantations de Hans au Tibet)... et inadéquation de certaines coutumes locales à l’évolution du monde.
Les dernières émeutes semblent liées à des mesures très mal expliquées par des fonctionnaires arrogants (les énarques semblent parfois bien humbles quand on les compare à leurs homologues étrangers...) contre certaines formes d’élevage extensif particulièrement préjudiciables à l’environnement très fragile du Tibet, mais il est difficile de savoir ce qu’il en est effectivement.
Alors, pour soutenir la véritable culture du Tibet sans applaudir démesurément le "pape local"*, le peuple du Tibet et, au travers de lui, le peuple chinois dans son ensemble dans son cheminement vers la démocratie, je vous propose de vous joindre à une initiative sympathique et gastronomique : vous rendre dans un restaurant tibétain le 8 août 2008, jour d’ouverture des jeux Olympiques de Pékin. Pour un monde meilleur, au sens gastronomique du mot. Si vous habitez dans une ville sans restaurant tibétain, vous pouvez boire à l’heure fatidique un thé vert avec du beurre rance accompagné d’orge grillé. Les commentaires sont ouverts pour trouver des méthodes alternatives d’honorer la gastronomie et donc la culture du Tibet sans honorer ses hiérarques religieux.
* Je rappelle que, pour garantir un bon équilibre alimentaire, il convient de ne pas seulement bouffer du curé, mais également du pasteur, du rabbin, de l’imam et, pour ajouter une touche d’exotisme, du lama.
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