Pour un nouvel « Etat de nature » ?
Xavier Ricard Lanata en appelle à la « conversion écologique » d’un Etat chargé de faire respecter un ordre respectueux des aspirations naturelles.
Le philosophe et ethnologue franco-péruvien Xavier Ricard Lanata (1973-2021), disparu suite à un cancer foudroyant, a juste eu le temps de revisiter la littérature anarchiste et écologiste pour son plaidoyer en faveur d’un véritable « Etat de nature » réinstitué sur les ruines écologiques, économiques et sociales d’une « civilisation » asservie à un impératif d’accumulation et d’accélération techniciste. Il est publié à titre posthume par les Presses universitaires de France, avec une préface de Dominique Bourg.
Pour les premiers penseurs écologistes, de Charles Fourier (1772-1837) à Elisée Reclus (1830-1905), l’appareil d’Etat s’est mis au service d’un projet de « transformation du monde en ressource appropriable », avec le régime de propriété bourgeoise qui va avec – celui d’un « droit d’exploitation qui n’admet aucune limite », surtout pas celle des vrais besoins du corps social ni de sa capacité autocréatrice.
Le monde occidentalisé s’est construit sur un consentement collectif fondé sur l’aspiration au « Progrès » selon une norme de consommation et de confort plus ou moins étendue, créatrice de souffrance entre les humains et entre les espèces. Cela suppose une ébullition productiviste et consumériste qui ne peut être maintenue indéfiniment sans saper notre socle commun d’existence.
Voilà arrivé le stade de « tropicalisation du monde » où le capitalisme, « autrefois indissociable de l’entreprise coloniale qui permettait d’exporter la violence de l’accumulation primitive (...), se retourne désormais contre les anciennes métropoles qui lui ont donné naissance et les traite à son tour comme des « colonies », c’est-à-dire de purs substrats pour les opérations de production et d’échange » - et en « stocks de ressources » qui ne peuvent plus opposer la moindre vélléité de « souveraineté » à la frénésie d’accaparement du « capital »...
Ainsi se consomme la catastrophe écologique globale, avec l’éradication de tout ce qui « fait nature », dans une suffoquante prolifération d’artefacts techniques écocidaires à obsolescence programmée réduisant les hommes à la condition de servants de la machine, sous un "régime de contrôle absolu des corps" au prétexte de "sauver la planète", transformée en décharge...
Voilà l’avènement d’un « Etat cyborg » qui étend sa déprédation et son « codage » à l’ensemble du vivant. On ne peut prétendre « sauver la planète » ou "le climat" en l’envisageant comme un système codé d’exploitation cybernétique qui la détruit : « L’extension planétaire du règne de la cybernétique réduit les prérogatives de l’Etat au contrôle des données temporairement produites par ses ressortissants ou leurs exocorps (téléphones portables, capteurs de toutes sortes). »
Les bénéficiaires de cette aliénation technicienne, les écocrates de la « biotechnocratie » en place ne tirent leur « légitimité » que de la « menace perpétuelle de l’effondrement » qu’ils brandissent.
Ainsi, il n’est plus de nature, de refuge ou de « dehors » dans un univers technicisé, sursaturé de capteurs et de sondes, pris dans une gigantesque toile d’araignée machinique. Pour sortir du cercle de l’enfer numérique, la conscience de l’humanité terrestre devrait coïncider avec son habitat et la biosphère dont elle se fait expulser...
Une nouvelle « saisie du monde » ?
Pour le haut fonctionnaire, membre du corps préfectoral, l’Etat est un « bien nécessaire », puisque qu’ayant pour lui « les prérogatives qui s’attachent au collectif, dont il revêt la puissance instituante » - à condition de le « détacher du capitalisme » dont il a « épousé l’imaginaire ». Il propose de l’arracher à « l’emprise délétère du capitalisme pour qu’il puisse exercer, contre ce dernier, sa fonction stabilisatrice, pour qu’il préserve le corps social menacé de dissolution et lui garde consistance ».
Ainsi, « l’imaginaire instituant » ne serait plus celui du capitalisme et engendre une contre-fiction baptisée « Etat naturel », vécue comme un « habiter terrestre » conscient, régi par un « droit naturel inscrit dans l’ordre des choses ». L’utopie, c’est de croire que tout peut continuer ainsi, aussi longtemps que certains s’imaginent « participer coûte que coûte au grand jeu de l’accumulation capitaliste », sous cette emprise techniciste prétendant « solutionner » les dévastations qu’elle crée par... toujours plus de technique.
Comment fonder une démocratie polique sur une infrastructure économique qui en est la négation même, avec ceux qui la détruisent ? L’espèce humaine domestiquée n’a plus d’avenir dans une société-machine dont l’emballement précipite son effondrement, avec une « écologie » vidée de sa substance et recyclée en posture ou spectacle... Il lui faut se relier au vivant et se « réapproprier le monde vécu » avec un Etat réinstitué, converti à un nouvel « agir terrestre » et respectueux d’un ordre social prenant appui sur l’ordre naturel – « l’autorité impérieuse du vivant ».
Se « saisir du monde », c’est aussi être saisi par lui. Et si l’aspiration à la vie l’emportait enfin sur celle de l’accumulation du capital ou de l'accaparement ordinaire ? Et si l’Etat exerçait sa souveraineté contre celle du capital ? Suffirait-il de cet « habiter terrestre » vécu comme expérience de conscience en même temps qu’en acte politique et pratique ? Un ajustement s’impose, à l’échelle territoriale des biorégions : « celui de nos consommations d’énergie et de matière aux capacités de régénérescence des écosystèmes ». Avec le concours actif d’un corps social qui en ferait sa « seconde nature »...
Xavier Ricard Lanata, L’Etat de nature, Puf, 260 pages, 22 euros.
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